SCENE PREMIERE.
ARTENICE. CLEANTE.
ARTENICE.
TV ne peux ignorer ô ma chere Clorise!
De quelle affection ie cheris ta franchise?
Tu lis dans mes pensers qui ne souurent qu' à toy,
Combien ton iugement à de pouuoir sur moy.
C'est la raison mon coeur pourquoy ie t'importune
De prendre maintenant le soing de ma fortune,
Tu sçais comme Alcidor apres ses longs trauaux
Aselon son desir surmonté ses riuaux:
Et comme son amour qui tousiours perseuere
A touché de pitié la rigueur de monpere:
Ie pense qu' à ce soir nous nous donnons la foy,
Ie ne te puis celer l'aise que i'en reçoy.
Mais comme à tous les biens que le Cielnous enuoye
Tousiours quelque douleur se mesle à nostre ioye;
Vn doute assez fascheux qui n'est point éclaircy
Tenant mon coeur glacé d'vn timide soucy
Me fait apprehender si ie t'ose le dire,
Le succez de l'accord que mon amour desire.
CLORICE.
Vous me le deuez dire & ne me rien celer
Ie souffrirois la mort plûtost que d'en parler:
Il ne faut rien cacher aux personnes qu'on aime,
Ie suis aupres de vous comme vn autre vous-mesme,
Ce seroit faire tord à mon affection
Que de vous deffier de ma discretion.
ARTENICE.
Il faut donc aduoüer le regret qui me presse
D'aller contre l'aduis de la bonne Déesse,
Qui s' apparoist la nuict aux yeux de mon penser,
Et d'vn front couroucé me semble menacer,
De rendre en mes amours ma vie infortunée
Si ie ne me marie au sang d'où ie suis née,
Ie l'ay tousiours seruie auec deuotion
Depuis que l'on me mist en sa protection:
Aussi ie recognois ses graces tousiours prestes
A me fauoriser en toutes mes requestes:
Quand mon pere voulut inconsiderement,
Preferant la richesse à mon contentement,
Auecques Lucidas me rendre miserable,
Ce qu' elle m' ordonoit m' estoit fort agreable,
Parce que ie sçauois que ce riche Berger
Estoit comme Alcidor du sang d'vn estranger:
Mais ma mere Chrisante à qui ie dis mon songe,
Non sans quelque raison le prinst pour vn mensonge,
Estimant qu' à dessein ie l'auois inuenté
Pour empécher l'accord qu' elle auoit proietté.
Et moy qui ne voyois que le seul Tisimandre,
Où selon cét aduis mes voeux puissent pretendre,
Mon coeur n'estant pas libre en cette election,
Ce Berger fut l'obiect de mon affection.
Ie fais ce que ie puis pour diuertir la flame,
Qúe l'ingrate Ydalie a fait naistre en son ame:
Mais ie trauaille en vain son tourment & le mien
Font que depuis cinq, ans ie ny profiterien,
C'est pour quoy mon amour apres tant de martyre,
Ie ne puis deuiner ce que cela veut dire.
Et voguant en ces flots sans espoir d'aucun port
I' abandonne ma bar que à la mercy du sort,
Si ton bon iugement à mon mal Salutaire
Ne me donne conseil à ce que ie dois faire.
CLORISE.
Toutes les Deïtez dont l'on sert les Autels,
Et de qui la bonté veille pour les mortels,
Aux belles comme vous se monstrent fauorables
Et d'elles prennent soing comme de leurs semblables.
Vous y deuez penser auecques iugement,
Et ne point reietter cét aduertissement.
ARTENICE.
Ce Berger me possede auec vn tel Empire
Qu' il sera mal aisé de m'en pouuoir dédire,
Et puis si ie ne l'ay que sçaurois-ie esperer.
CLORISE.
Les Dieux y pouruoiront il s'en faut asseurer,
Vous en verrez l'effect & dedans peu d'espace.
ARTENICE.
Cependant ie vieillis l'occasion se passe.
CLORICE.
Si la bonne Déesse a pour nous tant de soing,
Croyez qu' elle viendra vous aider au besoing:
Aux choses d'importance il faut estre timide,
Comme elle est vostre espoir qu'elle soit vostre guide,
Elle est aussi puissante en la terre qu' aux Cieux.
ARTENICE.
Mais dis moy donc mon coeur que puis-ie faire mieux
Que de prendre vn mary ieune, gallant, & sage,
Et qui de son amour m' a rendu témoignage.
CLORISE.
[Page 68]
Craindre les immortels suiure leur volonté.
ARTENICE.
Il n'en faut plus parler le sort en est iettée,
Vos raisons desormais sont pour moy superflues,
En vain l'on prend conseil des choses resoluës:
Quand les Dieux me deuroient enuoyer le trépas,
Ie ne puis auoir pis que de ne l'auoir pas.
ACTE QVATRIESME.
SCENE SECONDE.
TISIMANDRE.
VErray-ie donc tousiours mon esper ance vaine?
Per dray-ie sans loyer ma ieunesse & ma peine?
Brûleray-ie tousiours sans estre consumé?
En vain ie pousse aux Cieux mes plaintes effroyables,
Les Dieux sont impuissans ou sont impitoyables:
Ie cherche le remede & ne veux pas guerir,
Ie me déplais de viure & ne sçaurois mourir
Malheureux que ie suis, quelle chaude furie
Me fait passer les iours en cette réuerie,
Que me sert de chercher les bois les plus secrets
Pour les entretenir de mes iustes regrets,
Imprimer sur leur front les chifres d'Ydalie,
Ne nourrir mon esprit que de melancholie,
Méditer tous les iours des supplices nouueaux
Nous n'en sommes pas mieux ny moy ny mes troupeaux,
Mes brebis ont en nombre égalé les estoilles
Do
[...] les plus claires nuicts enrichissent leurs voiles,
Et mes jerbes lassant le soigneux Moissonneur
Rendoient les plus contents jaloux de mon bon-heur,
Mais à present tout suit mes tristes destinées,
Mes champs n'ont que du chaume aux meilleures années
Et mes pauures moutons se mourants tous les iours
Seruent dans ses rochers de pasture aux Vautours.
Ie suis en me perdant l'autheur de tant de pertes,
Ie n'ay plus soing de rien mes terres sont desertes,
Tandis qu'en ces forests tout seul ie m'entretiens,
Ie laisse mon troupeau sur la foy de mes chiens.
Il faut, il faut quitter cette humeur solitaire,
Et reprendre le train de ma vie ordinaire:
Chasser de mon esprit ces inutiles soings,
Qui ne veulent auoir quc les bois pour témoings.
Mépriser à mon tour celle qui me méprise,
Et rompre sa prison pourr' auoir ma franchise.
Mais, ô Dieux! qu'ay▪ ie dit, amour pardonne moy,
Ie ne puis ny ne veux iamais viure sans toy,
Quand ie parle autrement ie suis hors de moy mesme,
Contre vne deïté ie commets vn blaspheme:
Ie te voy dans ses yeux plus puissant que iamais,
Fais ce que tu voudras à tout ie me sousmets,
Aussi bien ma raison ne m'en sçauroit deffendre,
Le salut des vaincus est de n'en plus attendre.
ACTE QVATRIESME.
SCENE TROISIESME.
TISIMANDRE. YDALIE.
TISIMANDRE.
BEauté dont la nature admire les apas,
Quelle heureuse fortune a peu guider vos pas
Dans ce valon affreux où mon inquietude
Ne cherche que l'horreur, l'ombre & la solitude.
ALCIDOR.
Berger qui de nature estes si mal plaisant,
Quel malheureux destin vous conduit à present
Dedans cette valée effroyable & profonde;
Où pour fuir de vous ie fuis de tout le monde.
TISIMANDRE.
Vous fachez-vous de voir vn miserable amant,
Qui banny de vos yeux ne peut viure vn moment.
Esloignez-vous plustost de cét esprit barbare,
Qui ne sçait point gouter vn merite sirare.
Tandis que vous suiurez ce Berger qui vous fuit,
Vos plus belles saisons se pesseront sans fruict.
YDALIE.
Tandis que vous suiurez vos entreprises vaines,
Vous y perdrez sans fruict vostre temps & vos peines.
TISIMANDRE.
Puis qu' Alcidor pour vous n'a point de sentiment,
Pourquoy differez-vous de faire vn autre amant.
YDALIE.
[Page 71]
Si ie suis insensible autourment qui vous pressé,
Pourquoy differez-vous de changer de maistresse.
TISIMANDRE.
Croyez, que si i'en parle auecque passion,
C'est moins par interest que par affection:
Mais ie crains que ce feu dont vous estes éprise,
Vostre honneur ne se perde apres vostre franchise:
Vous sçauez que desia l'on murmure tout bas,
De vous voir si souuent le suiure pas à pas.
YDALIE.
Quoy qu'on ait dit de moy par haine ou par enuie,
Tousiours mes actions répondront de ma vie.
TISIMANDRE.
Bien qu'aucun à bon droit ne vous puisse blasmer,
D'estimer sa vertu, de le voir, de l'aimer,
Pourquoy recherchez-vous de penibles conquestes,
Vous à qui le bon-heur en offre de si prestes.
YDALIE.
Vous perdez vostre temps, ne m'importunez plus,
Ie suis lasse d'ouïr vos discours superflus.
TISIMANDRE.
Aquelle dures loix me voulez vous contraindre,
Ne m'est-il pas permis en mourant de me plaindre.
YDALIE.
Ne vous affligez point vous n'en sçauriez mourir,
Le mal que vous auez est facile à guerir.
TISIMANDRE.
[Page 72]
Rien ne me peut guerir du mal qui me possede,
Si vostre belle main n'en donne le remede.
YDALIE.
Le remede d'amour dépend de la raison.
TISIMANDRE.
Suiuez donc son conseil pour vostre guerison.
YDALIE.
Mon tourment est si doux qu'il m'en oste l'enuie.
TISIMANDRE.
Le mien est si cruel qu'il m'ostera la vie,
Si vous ne moderez vostre inhumanité.
YDALIE.
Pensez-vous m'y forcer par importunité?
TISIMANDRE.
Non certes, mais plustost par mon amour extreme.
YDALIE.
Amour m'oblige-t'il d'aimer tout ce qui m'aime?
TISIMANDRE.
Ouy plustost qu'vn ingrat qui ne vous aime pas.
YDALIE.
Ie choisiray plustost dépouser le trépas,
Que iamais vous voyez vostre vaine entreprise,
Rendre dessous vos loix ma liberté sousmise.
TISIMANDRE.
O cruelle beauté, quel astre malheur eux
Se plaist à trauer ser nos desirs amoureux,
Quel charme, ou quelle erreur ont troublé nos pensées?
Quels traits enuenimez ont nos ames blessées?
Quel funeste ascendant nostre destin conduit,
Qui nous fait à tous deux aimer ce qui nous fuit.
Nous verrons écouler l'Auril de nostre vie,
Sans gouster les plaisirs où l'âge nous conuie.
Et lors qu'en cheueux blancs nous les verrons finir,
Nous pleurerons le temps qui ne peut reuenir.
Les ans coulent sans cesse, & iamais leur carriere
Non plus que les torrents ne retourne en arriere.
Ils faniront bien tost la fleur de vos beautez,
Et vengeront ma foy de tant de cruautez.
D'ARAMET.
Prenons cette victime & couronnons sa teste,
De guir landes, & de fleurs pour honorer la feste,
Chindonnax a de sia le bucher preparé
Vous viendrez vostre crime est assez aueré.
YDALIE.
Dequoy m'accuse-t'on? quelle noire impudence
Peut d'vn front asseuré taxer mon innocence.
D'ARAMET.
Vous le pourrez sçauoir du Sacrificateur.
YDALIE.
O Ciel iuge de tout, soyez mon protecteur,
Soustenez mon bon droict contre la calomnie.
TISIMANDRE.
Arrestez, arrestez, perdez cette manie,
De vouloir de mes bras ma maistresse rauir,
Ie leur resiste en vain, ie ne luy puis seruir:
Tout ce que ie puis faire en ce dernier of fice
C'est de m'offrir pour elle au feu du sacrifice.
ACTE QVATRIESME.
SCENE QVATRIESME
DAMOCLEE. LVCIDAS.
DAMOCLEE.
QVe sert de me celer ce que ie veux sçauoir,
Pensez vous m'empescher de faire mon deuoir:
Cette pasle couleur qui vous monte au visage
Du malhenr de ma fille est vn mauais presage.
Il est hors de propos de le taire à present,
Vostre discretion l'accuse en l'excusant.
Parlez donc librement, n'vsez plus d'artifice,
Celuy qui taist le mal semble en estre complice.
LVCIDAS.
Qui vous fait de siprés vn crime rechercher,
Que vous-mesme deuriez à vous-mesme cacher.
DAMOCLEE.
Cela ne ce peut plus, cette desesperée
Qui c' est pour ce malheur dis monde retirée,
Par ce grand changement en elle suruenu,
Rend de son déplaisir le suiuect trop cogneu:
Chacun sçait le peché dont ma fille est blasmée,
Mon deuoir seulement preuient la renommée.
LVCIDAS.
Le deuoir vous oblige à aimer vostre enfant.
DAMOCLEE.
Quand il est vicieux l'honneur me le deffend.
LVCIDAS.
Quoy la loy de l'honneur est-elle si cruelle?
Qu'elle fasse oublter l'amitié paternelle.
DAMOCLEE.
Nostre honneur suit tousiours la loy de l'equité,
Qui veut que chacun ait ce qu'il a merité,
Si ma fille est coupable, il faut que dans la flame
Elle purge son corps, en expir ant son ame:
La loy de Lute ssie en faueur de nos Dieux
Condamne l'impudique à la flame des Cieux:
Donc pour estre pieux soyez moins pitoyable
Et me dites le mal dont ma fille est coupable.
LVCIDAS.
Ie ne vous diray point ce que vous sçauez bien.
DAMOCLEE.
Las vous me dites tout en ne me disant rien.
Ie voy bien ce que c'est il faudra qu'elle meure,
Ie luy vois preparer sa derniere demeure.
LVCIDAS.
O iustice eternelle à quelle impieté
A la fureur d'amour mon esprit transporté,
Ie me verray forcé de faire vne iniustice,
Mais ie ne suis pas seul, l'amour est mon complice.
Cette ingrate beauté qui m'a manqué de foy
A contr ainct vn dieu mesme à faillir comme moy.
Innocente victime aussi chaste que belle
Que ma jalouse rage a rendu criminelle,
Pourray-ie auoir le coeur de te voir auiourd'huy
Souffrir le chastiment de la faute d'autruy?
En ces iustes remors, mon Dien que puis-ie faire,
Dois-ie dire ma faute, ou si ie la dois tatre?
Pour la iustifier il me faut accuser
Du mal que méchamment i'ay voulu supposer.
Lors que l'on a failly contre sa conscience,
La honte de le dire est pire que l'offence.
Il faut donc per sistant à ma méchanceté,
Pour parestre équitable accuser l'équtté.
Mais de sia Chindonnax attend la criminelle,
Il est temps de penser à témoigner contr'elle.
ACTE QVATRIESME.
SCENE CINQVIESME.
CHINDONNAX. DAMOCLEE. LVCIDAS. YDALIE. TISIMANDRE. DARAMET. CLEANTE.
CHINDONNAX.
VOus serez estimé des hommes & des Dieux:
Quand nous auons produit vn enfant vitieux
Il faut de nostre sang retrancher ce prodige,
Ainsi qu'vn mauuais bois indigne de sa tige,
Et d'vn coeur genereux témoigner constamment
D'oublier pour l'honneur tout autre sentiment,
Mais dites-nous Vieillard comment peustes-vous faire
Pour cognoistre leur faute en ce bois solitaire.
DAMOCLEE.
Lucidas decouurit leur impudicité
A trauers le cristal d'vn miroir enchanté.
CHINDONNAX.
Gardez-vous bien mon fils d'accuser l'innocence
Les Dieux iustes & bons veillent pour sa deffence,
Qui des faits incogneus arbitres & témoings
Découurent tost ou tard ce que l'on sçait le moins.
Ils parlent par ma voix des actions passées,
Et par mes propres yeux lisans dans les pensées,
My font voir clairement les faits les plus douteux:
Bref, estant deuant moy vous estes deuant eux,
Tirez donc de vostre ame vn discours veritable,
Qui rende l'accusée innocente ou coupable.
LVCIDAS.
Pour quoy pere sacré me faites vous ce tort,
De vouloir que ie sois la cause de sa mort.
CHINDONNAX.
Vous n'estes de sa mort ny cause ny complice
Ce n'est que son peché qui la meine au supplice.
LVCIDAS.
Mais son crime sans moy n'eust point esté prouué.
CHINDONNAX.
[Page 78]
Mais son crime sans vous fust tousiours arriué.
LVCIDAS.
Mais tousiours c'est par moy qu'on l'arend criminelle.
CHINDONNAX.
Non, mais plustost par vous la iustice eternelle,
Dont l'absolu pouuoir qu'elle m'
[...] mis és mains
Deffend de me celer le crime des humains.
LVCIDAS.
Que vous puis-ie celer, ny que vous puis-ie dire,
Chacun sçait le malheur dont ce vieillard souspire,
Luy-mesme vous la dit,
CHINDONNAX.
Aussi ce que i'attens
Est de sçauoir le lieu, la façon & le temps.
LVCIDAS.
Desia le chaud du iour chassoit la matinée
Lors que c'est consommé ce funeste Hymenée.
Vn bois au bord de Seine en son ombre a caché
De ces ieunes amans la honte & le peché.
CHINDONNAX.
Reste à sçauoir l'endroit où c'est commis l'offence.
LVCIDAS.
Où le mont de Valere en la plaine s'auance.
CHINDONNAX.
Nous en sçauons assez, retirez-vous Berger,
On ameine Ydalie, il faut l'interroger.
YDALIE.
[Page 79]
Quelle timide horreur se glace dans mon ame,
Ie voy l'autel, le fer, le bucher & la flame,
Qu'apreste contre moy l'iniustice du sort,
O Dieux! combien de morts pour vne senle mort.
CHINDONNAX.
Asseurez vostre esprit, que la honte & la crainte
Qui tiennent maintenant vostre voix en contrainte,
Ne vous empéche point de vous iustifier.
YDALIE.
Où montimide esprit se peut-il plus fier?
Le Ciel iuge de tout est icy ma partie,
Puis que de son Autel, ie dois estre l'hostie.
CHINDONNAX.
Le Iuge de là haut exempt de passion
Ne peut estre sensible à la corruption,
Luy qui tient en ses mains le ciel, la terre & l'onde,
Accepte sans besoing les offrandes du monde,
Et ce qu'à ces autels nous faisons auiourd'huy
C'est pour nous seulement, on ne fait rien pour luy:
Mais d'vn si haut subiect nos esprits incapables,
De blaspheme ou d'erreur se roient iugez coupables,
C'est pour quoy d'vn discours medité promptement
De qui la verité soit le seul ornement,
Dites nous franchement sans faire l'estonnée,
Où vous auez passé toute la matinée.
YDALIE.
[Page 80]
Sous le mont de Valere aupres d'vn buisson clos
Où quelque fois la Seine a répandu ses flots,
CHINDONNAX.
Quel Berger estoit lors en vostre compagnie?
YDALIE.
Alcidor.—
CHINDONNAX.
—C'est tout dire.—
YDALIE.
—O quelle calomnie
Me veut-on accuser d'auoir fait dans ce bois
Quelque chose auec lny contre ce que ie dois?
Que plustost ie perisse en l'infernelle flame
Que iamais ce desir tombe dedans mon ame.
DAMOCLEE.
Ah pauure malheureuse, helas! où pensois-tu?
Alors que tu faisois ce tort à ta vertu,
Faut-il qu'aux yeux d'vn Iuge & d'vne populace
Ie t'offre pour victime à l'honneur de ma race.
YDALIE.
Mon pere appaisez-vous vn iour la verité
Découurira la fraude & mon integrité,
Et croyez qu'auiourd'huy, quelque mal qui m'aduienne,
Ie plaindray vostre peine autant comme la mienne.
DAMOCLEE.
En cét excez d'ennuis qui me vient tourmenter
Ie ne sçay quelle perte est plus à regretter,
Celle de son honneur, ou celle de sa vie.
Ie sçauois qu'à la parque elle estoit asseruie,
Puis que ie suis mortel il ne m'est point nouueau,
Que ce qui sort de moy soit suiect au tombeau.
Mais elle est sans raison aux vices adonnée,
D'vn pere vicieux elle n'estoit point née,
Ah ie pasme, ie meurs.
DARAMET.
—Ces cris sont superflus.
Il les faut appaiser—
DAMOCLEE.
Ah Dieux ie n'en puis plus
L'excez de la douleur m'empesche la parole.
CHINDONNAX.
Allez sage vieillard, l'Eternel vous console,
Allez verser chez vous ces inutiles pleurs,
Sa presence ne fait qu'augmenter vos douleurs.
Or sus il s'en va temps de conduire l'hostie,
Qu'on appreste l'encens, la farine rostie,
Et les cousteaux sacrez, c'est trop perdre le temps.
YDALIE.
Me faut-il donc mourir, Dieux qu'est-ce que i'entens,
Pense-t'on que le Dieu que ce bois represente
Se plaise à voir le sang d'vne fille innocente.
TISIMANDRE.
Que ce soit plustost moy que l'on meine à la mort,
Aussi bien chacun sçait que l'amour & le sort
M'ont condamné pour elle à mourir dans la flame.
CHINDONNAX.
[Page 82]
Cela ne ce peut pas i'enporterois le blasme,
Dieu n'aime rien d'iniuste, & iamais ne consent
De voir pour le pecheur endurer l'innocent.
TISIMANDRE.
Ie luy monstrer ay donc en mourant premier qu'elle,
Que ie ne suis pas moins courageux que fidele,
DARAMET.
Arrestez-vous Berger.
TISIMANDRE.
Ne m'en empechez point
Aussi bien que l'amour la raison me l'enioint,
C'est le meilleur aduis qu'à present ie puis suiure,
Il faut sçauoir mourir quand on ne doit plus viure.
CHINDONNAX.
Pour vn si beau suiect, vos pleurs sont approuuez,
Mais apres l'auoir plainte autant que vous deuez
Ne nous obligez point à vous plaindre vous mesme.
TISIMANDRE.
Ne me deffendez point de suiure ce que i'aime.
CHINDONNAX.
Quel espoir vous conuie à la suiure au trépas,
Vos yeux ny verront plus ces aimables apas,
La grace, la beauté, la ieunesse & la gloire
Ne passent point le fleuue, ou l'on perd la memoire.
TISIMANDRE.
Rien ne peut effacer les agreables traits,
Dont elle a dans mon ame imprimé les attraits,
L'enfer n'a point d'horreurs ny de nuicts assez sombres
Dont le iour de ses yeux ne dissipe les ombres.
CHINDONNAX.
Ces yeux & ce beau tainct de roses & de lis
Sous celuy de la mort seront enseuelis,
L'horreur qui l'accompagne est à toutes commune,
On ny recognoist point la blance de la brune.
TISIMANDRE.
Bien heureux si ie perds auec le sentiment
Le feu dont son amour me brusle incessament,
Mais plus heureux encor si mon ame eternelle
Conserue apres ma mort l'amour que i'ay pour elle.
CHINDONNAX.
Toutes les passions qui regnent icy bas
Ne suiuent point nostre ombre en la nuict du trépas,
Ce qu'on dit de Pluton & de ses Eumenides,
N'est qu'vne impression qu'ont les ames timides,
Ces lieux où prennent fin nos peurs & nos desirs
N'ont point de si grands maux ny de si doux plaisirs,
Que cét âge où l'amour armé de tant de flames,
Commence à s'alumer dedans les belles ames,
Chacun s'y rend luy-mesme heureux ou malheureux
Selon qui se gouuerne aux plaisirs ameureux.
L'vn attache ses voeux aux conquestes faciles,
L'autre volant trop haut, rendles siens inutiles:
Bref des fleurs que produit cette belle saison,
L'vn en tire le miel, & l'autre le poison:
Viuez donc & perdez cette ardeur incensée,
Qui depuis si long temps trouble vostre pensée;
Et sage à vos dépens joüissez des plaisirs
Qu'amour & la ieunesse offrent à vos desirs.
TISIMANDRE.
Non, non, il faut mourir, la raison my conuie,
La mort m'est à present plus douce que la vie,
I'aime mieux n'estre point que de d'estre malheureux.
CHINDONNAX.
Croyez-moy Tisimandre, vn esprit genereux,
Oppose la constance au malheur qui l'irrite,
Et se resout plustost au combat qu' à la fuite.
TISIMANDRE.
Lamort seule a pouuoir de vaincre mon ennuy.
CHINDONNAX.
Quelle erreur de mourir pour la faute d'autruy.
TISIMANDRE.
Mais quelle erreur plustost de iuger l'innocence
Sans vouloir seulement écouter sa deffence.
CHINDONNAX.
Il faut que laschement ie me laisse outr ager:
Car quel mal puis-ie faire à ce ieune Berger,
Que celuy que luy-mesme à luy-me desire?
TISIMANDRE.
La peur ne me fer a ny taire ny dédire,
Ie veux ouïr l'auteur de cette fausseté,
Qui veut taxer l'honneur de sa pudicité.
CHINDONNAX.
[Page 85]
Bien vous ser ez content dites que l'on r'appelle
Ce Berger, qui n'aguere a témoigné contr'elle.
YDALIE.
A quel point m'a reduit la cruauté des Cieux,
Qu'il faille qu'en mour ant les hommes & les Dieux
Cognoi ssent sa constance & mon ingratitude?
CHINDONNAX.
Voicy ce qu'on attend auec inquietude.
Venez-ça mon amy, dites la verité,
Comment l'a vistes-vous en ce verre enchanté?
LVCIDAS.
Apeine le Deuin auoit dit les paroles,
Que la magie enseigne en ses noires écoles,
Qu'il ressort de son antre, & m'apporte vn cristal,
Qui fait voir à mes yeux le bocc age fatal,
Où ces ieunes amans francs de honte & de blasme
Esteignent tous les iours leur amoureuse flame.
TISIMANDRE.
Osez-vous miserable accuser les absents?
Sur l'obiect qu'vne glace a produit à vos sens.
LVCIDAS.
I'ay regret de luy rendre vn si mauuais of fice,
Mais il me faut vouloir ce que veut la Iustice.
CLEANTE.
Graces aux Immortels, nos amans sont vnis,
Les pleurs sont appaisez, les tourments sont finis,
D'vne extreme douleur vient vne extreme ioye,
L'on plaint à tort le mal que l'amour nous enuoye,
Qui vit dessous ses loix doit tou siours esperer,
Il fait rire à la fin ceux qu'il a fait pleurer.
LVCIDAS.
Quelle bonne nouuelle en ce lieu vous ameine?
CLEANTE.
La nopce qui se fait au logis de Silene.
LVCIDAS.
Peut-on parler de nopce, & voir tant de malheurs.
CLEANTE.
Laize de toutes parts a terminé les leurs.
Ala fin d'Alcidor le fidele seruice
A touché de pitié la Bergere Artenice,
De son bon heur extreme vnchacun se ressent,
Il s'espouse demain, le bon homme y consent,
Son logis est desia tapissé de ramées,
De fenoüil & de fleurs les sales sont semées,
Et de sia maints aigneaux victimes du festin,
Le cousteau dans la gorge acheuent leur destin.
LVCIDAS.
O Dieux! quel changament, quelle estrange nouuelle,
O Bergere inconstante, ô teste sans ceruelle!
Où sont allez ces voeux pleins de zele & de foy?
Ser as-tu donc pariure à ton Dieu comme à moy?
Ie croy que ta promesse estoit plus incertaine,
Que les enchantements du deuin Polistene.
TISIMANDRE.
[Page 85]
Remarquez ce qu'il dit, écoutez-le parler.
LVCIDAS.
O Dieux le desespoir me fait tout deceler.
DARAMET.
Ie voy la verité, luy-mesme la confesse,
Lucidas enragé de voir que sa maistresse
Des flames d'Alcidor auoit le coeur touché,
A par l'art du Deuin produit ce faux peché,
Qui deceuant les yeux & l'ame d'Artenice,
La rend de cette erreur innocemment complice.
CHINDONNAX.
Cela n'est pas sans doute, il faut tout à loisir
Y penser meurement, & pendant se sai sir,
Du Deuin & de luy, peut-estre en la torture
Ils pourront l'vn ou l'autre auoüer l'imposture.
LVCIDAS.
Par donnez au Deuin, i'ay tout tout seul merité
Le iuste chastiment de cette iniquité,
I'en suis le seul autheur, il n'en est que complice.
CHINDONNAX.
Puis qu'il a confessé son in signe malice,
Qu'on mette hors des fers cette ieune beauté,
Qui recouure l'honneur auec la liberté.
Et que cét imposteur y soit mis en sa place,
C'est à vous d'or donner ce qu'il faut qu'on en face,
Prononcez donc ma fille ou sa vie ou sa mort.
LVCIDAS.
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Belle ame qui pouuez disposer de mon sort,
Si iamais les souspirs d'vn amant miserable
Ont peu tirer de vous vn regard fauorable,
Si vous auez le coeur aussi doux que les yeux,
Mettez fin à mes iours, ce sera pour le mieux,
Ie voy de tant d'ennuis ma fortune suiuie,
Que me donner la mort c'est me donner la vie.
YDALIE.
Non, tu ne mourr as point, ie veux pour te punir
Qu'à iamais ton peché viue en ton souuenir.
CHINDONNAX.
Laissez-le donc aller—
LVCIDAS.
—O Dieux quelle sentence!
Faut-il douc qu'à iamais ie pleure mon offence?
YDALIE.
Et vous fidele amant, mon support mon bon-heur,
Dont ie tiens à present ma vie & mon honneur.
De quel digne loyer qui soit en ma puissance
Puis-ie recompenser vostre extreme constance?
En vous donnant mon coeur ie ne vous donne rien,
Vous l'auez racheté, c'est vostre propre bien:
Disposez donc de moy fidele Tisimandre,
L'amour & le deuoir m'obligent à me rendre.
TISIMANDRE.
O l'heureux accident! en fin mon cher soucy,
L'amour at'il touché vostre coeur endurcy,
Belle & chere maistresse, en fin est-il croyable
Que ma fidelité vous rende pitoyable,
Et que ces deux soleils dont le Ciel est jaloux,
Se rendent à mes voeux si iustes & si doux?
YDALIE.
Vos extremes faueurs certes ie le confesse
M'ont fait vostre captiue & non vostre maistresse:
Oubliez donc ce nom, viuez plus franchement.
TISIMANDRE.
Vous auez tout pouuoir vsez-en librement,
Mon coeur est vostre esclaue, il ne vous peut dédire,
L'heur de vous obeïr est tout ce qu'il de sire,
Il se tient trop heureux d'estre en vostre prison.
YDALIE.
Quittons là ces discours qui sont hors de saison,
Et supplions chacun de rendre témoignage
De l'accord mutuel de nostre mariage.
TISIMANDRE.
Allons donc mon soleil rendre nos voeux contens.
YDALIE.
Allons le plus parfait des Bergers de ce temps.
CHINDONNAX.
En fin des Immortels la iustice prof onde
A découuert la fraude aux yeux de tout le monde,
A la fin chacun voit que leur bras tout puissant
Sçait punir le coupable & sauuer l'innocent,
Et quelque empeschement que l'artifice apporte,
Tousiours la verité se trouue la plus forte.