SERMON Prêché dans L'Eglise Francoise de la Savoye, le 28 me de Novemb. 1675.

Jour de l'Abjuration de deus persones de l'Eglise Romaine.

Par Richard du Maresq, Ministre du S. Evangile dans la dite Eglise.

Vous les conoïtrez à leurs fruits.

Math. 7.

A LONDRES, Imprimé par J. M. pour Moyse Pitt à l'Enseigne de l'Ange, dans le Cemetiere de S. Paul. M DC LXXV.

Imprimatur

Concio haec (in com. 10. cap. 2. Apocal.)

Reverend mo D no Ar­chiepiscopo Cant. à Sacris Domesticis Geo. Hooper.

PREFACE.

IL nous vient si souvent des Moines de tous les Ordres dans le dessein d'em­brasser nôtre Religion, & il s'en tronve si peu d'honêtes entre plu­sieurs qui ne le sont pas, que nous avons tout sujet de nous d'efier des uns, & des autres. Nous n'avons que trop de preuves pour établir cette défiance, & les exemples que nous avons du passé, & sous nos yeus, nous metent plus qu'en possession du droit de l'authorizer pour l'avenir. Je ne prétens pas renfermer dans, cette génêralité ceus qui se sont unis à nous dans le dessein de faire leur salut, & qui depuis long tems ont fait pa­roìtre par une vie sans reproche la since­rité de leur conversion. J'en veus à ces [Page] libertins qui n'abjurent les Erreurs de Rome que pour acomplir les convoitises de la chair; qui ne font banqueroute à leurs voeus, que pour s'abandoner aus vices; & qui apres avoir scandalizé les sidéles par l'impureté de leurs moeurs, s'en retournent d'où ils sont venus. Et le nombre de ces Hypocrites est si grand, que de plus de trente qui depuis sept ans ont paru dans l'une & dans l'autre Eglise, en posture d'abjurateus des Erreurs de Rome, à peine s'en trouve-t-il six qui soient restés parmi nous. Je scay bien que nous devons avoir du zéle pour la propagation de la foy, & que ce nous doit étre un grand su­jet de joye, quand nous voyons que la Provi­dence apéle des hommes, du fonds des ténê­bres, à la lumiere▪ de l'Evangile; mais il faut que nôtre zéïe soit evangelique, point aveugle ni indiscret, mais plutôt acompagné de conoissance capable de discerner, s'il est pos­sible, l'yvroye d'avec le bon grain, l'or d'avec le clinquant, le fourbe d'avec le sincére, l'hypocri­te d'avec le fidéle, autrement si nous donons tête baissée dans tout ce qui se presénte à nous, sans le péser à la balance du sanctuaire, nous exposons nôtre reputation, nous donons juste [Page] sujet à nos adversaires de nous accuser d'éter avides de prosélytes à quelque prix que ce soit; mais ce qui est de plus criant, nous prostituons nos chaires, & la bourse de nos povres, à des imposteurs & à des sang­sües, qui n'ont pour but que de saire de l'une le teatre de leur vanité, & de l'autre un revenu seur, pour fournir à leur libertinage. Il s'est passê depuis peu de tems des choses qui ont doné lieu à toutes ces reflexions, je ne suis pas le seul à qui elles ayent été un ample sujet d'aplication; & c'est aus plaintes de plusieurs persones doüées de bon sens, & de probité, qu'on est redevable de ce dis­cours icy & du Sermon qui le suit. On a veu pareître dans nos Assemblées, & dans la Chaire de verité, un homme d'ont la conduite nous a été tres long tems un pro­fond mystére, nous l'avons veu sous divers noms, & ce n'est que depuis peu qu'on est informé, fort malgré luy, qu'il doit l'être, & la lumiere à la sçene & au Teatre. Sa Recidive dans le bourbier a éclaté aus yeus de tout un monde: par un ressort plus qu'ad­mirable; il a denoüé des intrigues qui a­voient été long tems cachées, & comme un [Page] Dieu de Machine, il a developé des secrets impénetrables à la raison humaine; mais l'incident le plus étrange à ma fantaisie, est que sa chûte, a produit son élévation, & que ce qui devoit le rendre odieus à tout le monde, est cela même qui luy acquiert & l'estime & la reputation de la part de plusieurs. Ʋn petit acte de contrition, quelques larmes res­pandües à propos, quel ques gemissemens étudiez l'ont par une vertu miraculeuse sanctifié dans l'esprit de quantité de gens. Mais ceci ne conclut pas la piéce, pour marquer les pro­fondes lumiéres, qui ont été la cause de son changement; Peu de tems aprés la recantation de la retractation, dans une entretien qu'il eut avec un homme aussi éclairé, & aussi sin­cére qu'il en vienne de la part des Romains. Il disoit que la Confession auriculaire man­quoit Mr. Vic­vard. à l'Eglise d'Angleterre pour la rendre accomplie: sur quoy cet bonête homme luy ayant répondu qu'elle y étoit établie selon les lois de l'Evangile, & que tous les jours les Ministres donoient l'absolution des pechés à ceus qui étoient vrayement repentans, il ré­p [...]ndit qu'une telle Absolution ne valoit ri [...]n, paree que les Ministres qui la do­noient, [Page] n'avoient ni caractére, ni pouvoir. Voila les s [...]imens de nôtre fameus Prosé­lyte. A la verité, quand il fit sa prémiere re­tractation, c'étoit par la [...]rainte de la mort, a cé qu'il dit; mais quand il fit celle-cy, qui est une partie de celle qu'il prétend luy avoir été extorquée, persone ne l'y forçoit, comme elle n'a pas tant d'élat que l'autre, aussi ne luy a-t-elle pas acquis tant de crédit, & c'est pour luy faire plaisir que j'ay trouvé bon d'en faire part aus Lecteurs. Je n'insisteray point sur le party qu'il a pris de mentir à tous propos, de­puis que nous le conoissons, ni sur bien d'au­tres choses que le papier ne pouroit soufrir sans rougir. Il m'arriva de d'ésapprouver la palinodie de cet homme, & de la traiter plu­tôt d'Apostasie que de Martyre, bien des gens soit par ignorance, soit par un faus zéle se sont ingerés de m'en blàmer, les clabauderies des uns & des autres, me portérent à pronon­cer le Sermon suivant; mais au lieu d'en re­cueillir le fruit que je m'étois proposé, plu­sieurs l'ont fait passer pour une sanglante in­vective, au lieu d'en fair leur profit: il y a même des gens d'honeur qui sont imbus de ce sentiment, c'est pour me justifier dans l'esprit [Page] de tous, que je l'expose au public, sans cette ne­cessité il seroit demeuré dans l'obscurite de mon cabinet, & j'avois d'assez grandes rai­sons pour l'y laisser, si je n'avois consideré qu'il s'agissoit ici & de la gloire de Dieu, & de l'edification du Prochain.

Apoc. 2. Vers. 10. So is fidéle jusques à la mort, & je te donneray la Couronne de vie.

NOus aprenons de l'historie, que les Anciens Ro­mains, avoient étably parmy eus des récom­penses pour les actions de vertu, de generosité, & de valeur: ainsi celuy d'entr-eus qui au jour de la bataille avoit mis à mort cinq ou six mille des ennemis de la Republique, ou qui avoit remporté quelque grande, & quelque signalée victoire, recevoit les honneurs du Tri­omphe (spectacle si pompeus & si magnifique, que S. Au­gustin en a mis la veüe au nombre des ses plus chers sou­haits.) Selon cette même ordonnance, celuy qui avoit mon­té le prémier à la breche; ou qui avoit sauvé la vie à quel­que Citoyen Romain, obtenoit une Courône. Je ne doute point que cét ordre, fait avec tant de justice & de prudence, ne fut une des plus considerables causes de la puissance, & de la grandeur de cette redoutable Nation: Car il est cer­tain que l'interêt est le plus puissant motif, qui fait agir les hommes, & que par conséquent, pour les porter à quelque chose de grand & d'auguste, il faut les animer par la douceur, & par la force de l'espérance de quélque glorieus avantage, c'est ce qui a fait dire à quel-qu'un, que l'espe­rance nourit le soldat.

Jesus Christ le Chef & le Consommateur de nôtre foy, [Page 2] tient à peu piês la même métode dans son Evangile cn­vers les hommes, connoissant que naturellement ils sont in­teress [...]z, & qu'ils regardent la récompense, il ne les en­gage à son divin service que sous la veüe d'un poids éter­nel d'une gloire excélament excélante. Demande-t-il qu'ils se dépoüillent de toute vanité, & de toute presomption charnele, en un mot qu'ils deviennent des Povres en [...]sprit? Mat. 5. 3. il les asseure que le Royaume des Cieus est à eus. Les exhorte-t-il à être nets de coeur, à se purifier de toute souillure de chair & d'esprit? il leur prom [...]t qu'ils verront Mat. 5. 8. Dieu, qu'ils contempleront dans la gloire éternele, cette adorable Majesté, en la présence de laquelle il ya des plai­sirs, & des rassasiements de joye pour jamais. Desire-t-il qu'ils combatent pour sa cause? il leur declare que s'ils triomfent, il les fera assoir avec luy sur son trône. Veut­il Apoc. 3. 21. enfin qu'ils luy soient fidéles jusques à la mort? il leur montre une Couronne inflétrissable de gloire, qu'il tient en ses mains, & qu'il est prêt à poser sur leur tête triomphante. Ecoutez l'assurance que ce divin Sauveur nous en donne luy même par la plume de S. Jean dans les paroles de mon Texte. Et c'est de cette inviolable fidelité que▪ Jesus Christ demande de tous ses enfans, & de la glorieuse récompense qu'il leur promet, dont j'ay dessein de vous entretenir aujourduy.

Cette matiere est extrémement, propre pour la circon­stance de ce jour, & pour celle du tems où nous som­mes. Je dis pour celle du jour: Car voicy devant vous deus personnes qui y sont venües, pour prêter le Serment de fidelité à Jesus Christ, & que puis-je faire de plus à propos à present, que de leur representer qu'elle est la na­ture de cette fidelité à laquelle ils s'engagent, & jusques où ils la doivent porter; Et en même tems, de leur montrer qu'elle est l'honneur & la gloire d'ont elle doit être un jour Courounée dans les Cieus: Mais sice sujet est propre pour la circonstance du jour, il ne l'est pas moins pour celle du tems: Car helas! nous vivons dans un siécle mal-heureus, où plusi [...]urs Chrétiens font de la Religion un manteau, que l'on peut prendre, & quiter selon les pais & les occasi­ons [Page 3] où ils se rencontrent Combien yen à-t-il qui croyent, que la crainte, ou les menaces de la mott, sont des raisons plus que sufilantes pour abjurer nôtre sainte Religion, & qui regardent comme un éfet de folie, ou de rage, cette noble ardeur, & cette constance invincible, avec laquelle cette grande nuée de [...]émoins & de fidéles martyrs, qui environ­nent l'Eglise de toutes parts, ont soufert la mort la plus honteuse, & la plus cruelle. Les beaus jours, le calme & la prosperité dont Dieu nous favorise, font croire à quanti [...]é de gens, qu'ils ne doivent se tenir avec J. C. que pendant qu'il les conserve dans ce tranquile, & dans cet heureus état. Mal-heureuse & maudite maxime, qui détruit la force & Pexcellence du service, & de l'amour divin, qui sape & renverse les sondemens de la Religion, & qui enseigne à nos ennemis un moyen bien court, & bien seur de nous per­dre, dans les lieus cù ils ont le pouvoir & la sorce en main. Lâche & detestable sentiment, que chaque fidéle Ministre de Jesus, doit tâcher d'ôter de l'esprit & du coeur des hommes, à moins que de vouloir encourir le blâme d'un infidéle Dispensateur.

De peur que je ne sois mis au nombre de ces malheureus en cette grande & redoutable journée en la quelle Jesus Christ jugeant les secrets & les actions des hommes par l'Evangile, m'appellera à rendre conte du Ministére qui m'a êté commis, je feray auiourduy mes foibles éforts pour déraciner cette pérnicieuse croyance du coeur de ceus cù elle peut être, & qui m'ecoutent à present, & je les feray sans craindre ni la colére, ni les fougues, ni les emportemens, ni les coups de langue de qui que ce soit; Car graces à Dieu, rien ne m'épouvante, pendant que je defens la cause, & les intérêts de mon divin Mâitre, & que je rends témoignage à son Evangile; son genereus Apôtre S. Paul m'aprend que Je­sus Christ n'a point doné à ses Ministres, un esprit de timi­dité, mais de force & de sens rassis.

Pour m'aquiter donc d'un si saint, & d'un si juste de­voir, je n'ay qu'a expliquer les paroles de mon Texte; Et pour le faire avec ordre, je les diviseray en trois parties. [Page 4] Dans la prémiere, j'examineray en peu de mots, qu'elle est la fidélité que Dieu demande des Chrétiens. Dans la seconde, je considereray jusques où il veut qu'ils la portent, c'ést jus­ques à la mort; & dans la troisieme je vous feray voir, qu'elle est le prix, & la récompense qu'il promet à ceus qui luy auront gardé cette fidélité, c'est qu'il leur donera la Couronne de vie.

Premiére Partie.

Il n'y a point de doute que quand Jesus Christ exhorte les Ch [...]étiens à luy être fidéles, il ne les considére comme des personnes qui ont fait un contract & une alliance avec luy. En éfét c'est à quoy tous les hommes qui vivent sous la dispensation de la grace se sont engag [...]z. L'Evangile por­te le nom d'alliance, & en le recevant, ils entrent dans un pact tres étroit avec son divin Auteur, & en même tems aussi ils prometent d'acomplir les clauses, & les conditions de cette alliance. Dieu de sa part nous promet icy bas, sa grace, sa protection & l'assistance de son saint Esprit; & la haut au Ciel, sa gloire & son Paradis: De nôtre côté nous nous engageons d'écouter sa divine parole, d'obeïr à ses saints comandemens, & d'être fidéles à son service tout le tems de nôtre vie. Et c'est ce me semble dans cette considération qu'on a doné aus deus seaus de cette alliance le nom de Sacremens; Car ce mot de Sacrement, est le même qui êtoit autrefois employé pour signifier le serment de fi­delité, que les Soldats Romains p [...]êtoient à leur Généraus: Serment qui êtoit si sacré, & si inviolable parmy eus, qu'il n'y avoit rien que la mort seule qui pût le rompre; Ce qui convient trés bien à ce qui se passe entre Jesus Christ, & les fidéles sous l'Evangile: Vous savez, mes Fréres, que ce di­vin Sauveur dans le Nouveau Testament, ne porte pas seule­ment les tîtres de Prophéte & de Souverain Sacrificateur, mais qu'il est aussi apelé nôtre Chef, nôtre Capitaine & le Prince de nôtre salut. Dans nôtre Ba [...]ême nous avous Heb. 2. 10. & 12. 2. comencé à luy prêter solennellement le serment de fide­lité; [Page 5] c'est alors que nous avons autentiquement promis de luy être fidéles, de combatre vaillamment sous ses en­seignes contre le monde, contre la chair & contre Satan, & de renoncer au Diable & à ses pômpes; Et si nous ne l'avons pas prononcé à haute vois, comme faisoient autre­fois les Catecuménes de la Primitive Eglise, quand on les bâtisoit, on l'a promis pour nous, & en nôtre nom. Et quand nous sommes venus en âge de conoissance, & de dis­cretion, nous avons ratifié cette promesse, autrement nous ne sommes pas de vrays Chrétiens. Ap [...]ês avoir prêté ce serment dans nôtre batême, nous le renouvelons dans la sainte Cêne, toutes les fois que nous y participons: Car ce pain, & ce vin mystique que nous y recevons, sont autant de gages sacrez & d'asseurances, par lesquelles Jesus Christ s'engage de sa part envers nous, & nous avec luy; Il nous ass [...]ure qu'il nous veut rendre participans des fruits de sa mort bénite, & nous donner la vie & l'immortalité qu'il nous a aquises par sa passion sanglante, & qu'il met en evidence dans son Evangile, afin que par ces deus choses immua­bles, sa parole & son sacrement dans lesquelles il est im­possible que Dieu mente, nous ayons une ferme consolation, nous qui avons nôtre refuge à obtenir l' [...]sperance qui nous est proposée: De nôtre côté nous confirmons, & nous ra­tifions alors le voeu que nous avions fait à nôtre entrée dans son service & dans son Eglise, de le serviren sainte [...]é, & en justice tous les jours de nôtre vie: Comme donc Dieu de sa part demeure fidéle, qu'il ne se peut renier soy même, aussi [...]l nous demande de la nôtre que nous tenions les promesses de fidelité que nous luy avons faites, que nous soyons fermes & constans dans la resolution que nous avons prise, de nous consacrer à son service, & dans la foy que nous luy avons ju [...]ée.

Mais pour comprendre mieus qu'elle est la nature de de cette fidelité, & en quoy elle consiste; il faut scavoir qu'ell [...] a trois parties principales. La foy, la confession, & les bonnes oeuvres. La foy dans le coeur, la confession dans la bouche, & les oeuvres dans les mains. De coeur [Page 6] on croit à justice, de bouche on fait confession à [...]wodr [...] [...] & les bonnes oeuvres sont le chemin, qui condui [...] [...] [...]y­aume & à la couronne, & que Dieu a prep [...]ées a fin q [...] nous y march [...]ons. Il faut que ces trois choses soi [...]nt toûjours unies ensemble, Dieu les a jointes, que l'homme ne les [...]epare point. Sans la foy il est non seulement impossible dêtre fidélez, mais même d [...]ê [...]re agréable à Dieu, & vous savel, Heb. 11. 6. que c'est cette divine & cette noble vertu qui purifie les coeurs, qui recoit & qui embrasse les grandes & les p [...]é­tieuses promesses qui nous sont faites dans l'Evangile. Mais il faut que cette fidelité que nous portons dans le coeur, se montre & se fasse parôitre au dehors par nos paroles & par nos actions: qu'elle soit sur nos lévres en con [...]ssant le nom, & la verité de nòtre divin Redempteur, toutes l [...]s fois que nous y sommes appell [...]z, & qu'il y va de l'in [...]é [...]é [...] de sa gloire; Car ce même Jesus qui nous assure que quiconque croira sera sauvé, & qu'il confessera devant son Pére ceus qui l'auront confes [...]é devant les hommes, proteste qu'il reniera devant son Pere & devant ses Anges ceus qui l'auront renié devant les hommes. Par consé­quent il faut que le Chrétien, pour être fidéle à Dieu, ne prene point à honte son Evangile, qu'il le confesse devant les hommes, & qu'il soit toûjours prê [...] à repondre, non seul [...]ment avec douceur & avec humilité, mais aussi avec fermeté & avec courage, à quiconque luy demande raison, de l'espérance qui est en luy. Car certes si dans le mon­de on méprise un ami froid; si un soldat, qui apres avoir ê [...]é en [...]ôlé sous un Capitaine, auquel il a promis fidelité, change de party selon sa fantaisie & ses intérets, est con­sideré comme un infame déserteur; asseurément que le Sau­veur du monde regarde come des lâches, & des infidéles, ces miserables Nicodémites, ces tiédes, qui changent leur foy & leur confession, selon les lieus, & les occasions où ils se trouvent; Et sans doute qu'au dernier jour, lorsque ce magnifique Redempteur aparôitra dans les nües, apelant les Cieus & la Terre d'une vois redoubtable depuis le so­leil couchant jusques au levant, & disant assemblés moy [Page 7] mes saints qui ont fait alliance avec moy; les timides, & les menteurs seront punis de perdition éternele par la face du Seigneur & par la gloire de sa force: qu'ils d'éguisent, & qu'ils extenuent à present leur faute, tant qu'ils vou­dront devant les hommes, leur châtiment au dernier jour sera aussi sevére que celuy que Dieu déployera sur les in­crédules, & les exécrables, sur les meurtriers, les empoi­soneurs, & les Idolatres, ils seront tous mis au même rang par le Soverain Juge de l'Univers qui a deja prononcé le funéste arrêt de leur condanation éternele, dans son Apocal. où il nous asseure que leur partage à tous sera dans Apoc. 21. 8. l'étang de f [...]u & de soulfre, qui est la seconde mort.

Mais enfin ce n'est pas assez d'embrasser ce divin Sei­gneur par la foy, de luy of [...]rir des sacrifices de loüanges, c'est à dire, le fruit des levres, qui confessent son nom, si nous ne luy sommes sidéles aussi dans nos actions: Car si quelqu'un dit qu'il a la foy & qu'il n'ait point les oeuvres, Jac. 2. 14. de quoy cela luy servira-t-il? la foy le pourra-t-elle sauver?

Certes toute cette conoissance que nous avons de Dieu, & la foy au sang de Jesus Christ, si elle ne sont accompa­gnées de la sanctification, ne passent au sentiment de S. Paul que pour une abnegation de la Divinité même. Tite. 1. 16.

Voila quelle elle est en general la fidelité que Jesus Christ demande de nous, voyons dans nôtre seconde par­tie jusques où il veut que nous la portions. Sois fidéle jus­quà la mort, nous dit-t-il.

Ces paroles ont un double sens: Car ou elles signifient, 1. Qu'il faut que nous perseverions tout le cours de nôtre vie, & jusqu'à l'heure de nôtre mort, dans la fidelité que nous avons jurée à Christ, 2. Elles marquent que nous devons luy être fideles jusques à souffrir la mort, même la plus violente, qui est le martyre, plutôt que d'ab­jurer sa verité.

Jesus Christ demande la premiere chose de tous les Ch [...]ê­tiens: Car ce glorieus salut qu'il leur fait esperer, & qu'il leur anonce, n'est sondé que sur des promesses conditio­nélles de constance & de perseverance, dans l'obeïssance [Page 8] Mat. 24. 3. qu'ils luy doivent, celuy qui aura perseveré jusqu'à la fin, ce­luy-là ser a sauvé: Car il ne sert de rien d'avoir bien com­mencé, si on ne finit de même. Le Chrétien qui abandonne son Sauveur, perd par cette action, la gloire de tous les services qu'il peut luy avoir rendus auparavant. Si le juste (dit Dieu luy même par la bouche de son Prophete Eze­chiel) Ezeck. 18. 24. si le juste se detourne de sa justice, & commet iniquité, vivra-t-il? toutes ses justices qu'il a faites auparavant, ne luy seront point rementues, il mourra dans son peché qu'il a com­mis. Et il y a cette diference entre la perseverance & les autres vertus Chrêtiennes, que celles-cy nous disposent & nous metent en état d'obtenir la gloire éternelle; mais celle la l'obtient en éfet; elles courent, elles combatent toutes, dans la cariére & dans la lice du salut, mais la per­severance seule emporte le prix & la couronne: la foy est une substance des choses que nous espérons, & une démon­stration des choses que nous ne voyons point; l'Espé­rance est une ancre ferme & assurée pour nôtre ame, & qui pénétre jusques au dedans du voile où Jesus est entré comme précurseur pour nous: la charité & la sainteté nous changent & nous transforment en l'image de la di­vinité; mais la perséverance seule nous met en possession de Dieu même, & nous fait entrer en la joüissance de ces joyes etérnelles que nous croyons par la foy, que nous atendons par la patience, & où nôtre coeur est déja placé par amour: Car nous sommes faits participans de Christ, si Heb. 3. 6. 14. nous retenons ferme jusqu'à la fin le fondement de ce qui nous soutient, & l'asseurance de la gloire de nôtre espèrance.

La seconde chose qui est comprise dans les paroles de nôtre Texte, est que Jesus Christ veut que nous luy soyons obeissans, & fidéles, même jusqu'à endurer la mort, & la mort la plus cruelle, plutôt que d'abandoner son service; Et c'est particulierement de cette fidélité dont il s'agit dans ces paroles. L'état où étoit la personne à laquelle ce divin Sauveur adresse cette belle exhortation, le mon­tre assez clairement. Il parle à l'Arge de l'Eglise de Smyrne, c'est a dire, à l'Evêque: cette Eglise soffroit alors une vio­lente [Page 9] persecution, de la part des Juiss, & des Payens; Jesus Christ contemplant du haut de son Ciel les maus, & la persecution où elle étoit exposée, pour la consoler, il l'avertit, qu'il sait, & qu'il conoit le déplorable état où elle est reduite, Je connois, luy dit-il, ton affliction. Mais en même tems, ce divin Chef de nôtre salut, prend soin de l'aver­tir des autres combats qu'elle avoit encore à soutenir, Ʋoicy il aviendra que le Diable mettra quelques-uns de vous en prison, afin que vous soyez éprouvez & vous aurez une tribu­lation de dix jours. Cette prophécie fut accomplie peu de tems apres; Car sous le gouvernement de Marcus Aurelius, apelé communément le Philosophe, & de Lucius Verus, son Col­légue, l'Eglise de Smyrne soufrit une persécution qui fut à la verité de peu de durée; mais aussi trés rude & trés-violente. Et comme dans ces occasions, les ennemis de la verité, s'ataquent ordinairement plutôt aus chefs de l'E­glise qu'aus particuliers, (s'imaginant que le berger étant trapé, les brebis seront (parses) aussi prirent ils principale­ment ce bon, & ce saint Evêque, pour l'object de leur cru­auté, & de leur fureur. Ce saint personage, d'ont le nom étoit Polycarpe, avoit alors environ quatre-vint & six ans; ses amis eurent bien de la peine à l'obliger de se re­tuer dans un petit vilage, assez proche de la ville: ceus qu'on avoit envoyez pour le chercher, & pour le prendre, Eusebe. le trouvérent bien tòt. L'histoire raporte que peu de tems apres qu'on se fut saisi de sa personne, il vid en songe une grande flame qui s'atachoit au lit où il étoit couché, laquélle en peu de tems le reduisoit en cendres, ce qui luy fit croire que Dieu l'avertissoit par là, que son corps scroit bien tôt consumé par le seu. Ce bon viesillard fut amené devant le Proconsul, qui fit tout son possible pour l'obliger à renier la foy de Jesus, & à outrager son saint nom; à quoy Polycarpe répondit, Il y à plus de 80 ans que je le sers, & il ne m'a jamais fait que du bien, comment pour­rois-je l'outrager, ou dire mal de luy? Le Proconsul le pressant extremement, ne luy demandoit autre chose sinon qu'il jurát par la fortune de Cesar: le saint Evêque, pour­toute [Page 10] réponce luy dit, Je suis Chrétien. Le Proconsul, ir­rité de sa ir­rité de sa fermeté, luy dit, qu'il avoit les bêtes toutes prê­tes à le dechirer: fais les venir, repondit courageusement Polycarpe, je les attends. Le Juge voyant qu'il ne pouvoit l'éfrayer par la crainte des bêtes, le menace du feu; Mais le venérable vieillard encore plus inébranlable, luy repon­dit, Tu me menace du feu qui ne dure qu'un moment; mais il y à le feu terrible du jugement que tu ignores, & qui est reservé aus orgueilleus, & aus Infidéles, qu' attends tu? fais les venir ces bêtes, allume ces feus? Le Proconsul voyant qu'il ne pouvoit l'ébranler, comanda que le corps de ce saint home, fut brulé tout vif: Ma [...]s le feu, cet elément tout aveugle qu'il est, dans son activité devorante, come s'il eut respecté le corps de ce bien-heureus Martyr, & qu'il n'eut osé en en aprocher, se sendit en ondes autour de luy, & les flames parurent comme le voile d'un navire enflé par le vent: de sorte qu'aus yeus des spectateurs, ce bon Evêque paroissoit au milieu d'elles come de l'or qu'on ra­fine: ses ennemis voyant que son corps n'étoit point en­domagé par le feu, ils comandérent au boureau de le per­cer d'une épée: ce qui ayant été executé, il en sortit une si grande abondance de sang, que le feu en fut entiere­ment éteint.

C'étoit done au milieu de ces soufrances, que Jesus le Chef de nôtre salut, consideroit ce généreus Atléte, quand il luy adresse cette exhortation, il l'anime par sa vois, & par ses promesses, & luy crie du haut des Cieus, aye bon courage Polycarpe, sois moy fidéle même jusques à soufrir la mort du martyre, & je couroneray ta fidelité d'une joye, d'une gloire, & d'une felicité eternéle.

Mais ce que ce divin Seigneur dit à ce saint home, il le dit sans doute en sa persone, non seulement à tous le mem­bres de l'Eglise de Smyrne; mais aussi à tous le mem­bres de l'Eglise de Smyrne; mais aussi à tous les Pasteurs, & à tous les fidéles de l'Evangile; Car bien que plusieurs d'entr'eus soient dans des lieus, dans des conditions, & dans des tems bien diférens, cependant il faut qu'ils re­gardent tous, les exhortations que Dieu faisoit autrefois [Page 11] aus Chrétiens, come adressées à eus-mêmes, quand ils se trouvent dans de semblables occasions: car tout ce qui a été écrit, a été écrit pour nôtre instruction. Ces paroles done, sois fidele jusqu'à la mort, se doivent entendre non pas come on disoit autresois, amy jusqu'aus Autels: mais [...]s'il faut ainsi parler, jusqu'à la mort, inclusivement: Au même sens que S. Paul dit, que Jesus Christ a été obeïssant jusqu'à la mort, ce qui ne signifie pas seulement que ce divin Sau­veur rendit une exacte obeïssance aus ordres sacrez de son Pére, tout le tems de sa vie; mais qu'il fut même fidéle, & obeïssant, jusqu'à soufrir cette mort honteuse & maudite que son Dieu luy avoit ordonée. Ainsi Jesus Christ veut que nous endurions toute sorte de supplices, plutôt que d'abjurer sa verité, que de renoncer à l'obeïssance que nous luy avons promise, & à la fidelité que nous luy avons jurée. Il demande qu'il soit magnifié en nôtre corps, soit par la vie, soit par la mort: que s'il nous y apéle, pour l'intérêt de sa gloire, nous le confessions, sous une sanglante grêle de piéres, come un S. Etiene; sur un Echafaut, come un S. Paul; sur une crois, come S. Pierre & S. André; dans une chaudiere d'huile boüillante, come S. Jean; sur les grils, sur la glace, & dans les flames, dans les cavernes, & dans les antres de la Terre, come tant d'anciens & de nouveaus Martyrs. C'est sur ce fondement, que S. Paul [...]crivant aus Hebreus, qui étoient alors sous la persécution, & qu'il exhorte à prendre garde qu'il n'y ait en quelqu'un d'eus un mauvais coeur d'increduli [...]é pour se révolter du Dieu vivant. Apres avoir raconté dans le chap. 11. la fi­delité, & la constance de ces anciens Martyrs, qui avoient été lapidez, qui avoient été ciez, qui avoient été éprouvez, qui avoient été tuez par l'épée, il en conclut aussi tôt dans l'entrée du chap 12. cette belle exhortation, qu'il leur a­dresse en des termes si forts, & si patétiques, pour porter les Chrétiens à la constance, & au courage, par l'exemple de tous ces généreus Martyrs, & de Jesus même nôtre Chef, Nous done aussi (leur dit-il) puis que nous somes environez d'une si grande nuée de témoins, rejetans tout fardean, & le [Page 12] pêché, qui nous envelope si aisement, poursuivons constament la course qui nous est proposée. Regardant à Jesus le chef & le consomateur de la foy: qui pour la joye qui luy etoit pro­posée, a soufert la croix, ayant meprise la honte, & s'est assis à la dextre du trône de Dieu. C'est là ce qu'il veut qu'ils considerent, afin qu'uls ne devienent point lâches en perdant courage; mais qu'ils combatent j'usqu'au sang. Et c'est pourquoy aussi, nous voyons que ce fidele Apôtre luy-même, quand il s'assure que Jesus Christ luy rendra la Courone de justice, il ne se considere pas come matant son corps, & le réduisant en servitude, ni come comba­tant pour le service de son Prince céleste: mais come ayant achevé ses services, & sa course; come ayant fini ses glorieus combats, & fourny son illustre carriére. J'ay combatu le bon combat (dit-il à Timothée j'ay achevé ma 2 Tim. 4. 7. & 8. course, j'ay gardé la foy; Du reste la Courône de justice m'est reservée. Par où il est visible, qu'il parle par anticipation, & qu'il se considére, come ayant déja soufert le martyre par lequel il est certain qu'il finit sa sainte course: Car nul n'est courôné, s'il n'a legitimement combatu; & com­batre duement, c'est observer les lois du combat, c'est com­batre avec courage, avec fidelité, & avec ardeur; c'est combatre jusqu'au sang, & jusqu'à la mort pour le temoi­gnage de la verité de Jesus, quand il nous y apéle. Et bien loin d'y avoir une Courône de justice, & de vie, re­servée pour les lâches & pour les timides Apostats, qui craignent de pendre la vie pour l'amour de luy, qu'il ne leur est preparé qu'un étang de feu & de soulfre. Et Dieu nous declare luy même, que quiconque se soustrait, son ame ne prend point de plaisir en luy. Le martyre est le sceau du Chrétien; quand la Providence Divine engage le fidéle à le soufrir, il faut alors qu'il l'endure. C'est dans cette veue que les saints Apôtres du Seigneur l'ont cou­rageusement sousert: Car s'ils n'eussent crû que c'étoit un devoir indispensable, ils essent pû l'eviter: Mais sans doute ils êtoient persuadez qu'ils ne pouvoient être fide­les à Jesus Christ, ni obtenir le salut, s'ils ne soufroient pour son nom, quand il le vouloit.

Les prémiers Chrêtiens avoient apris Jesus Christ de la sorte: de à vient, que non s [...]ulement ils soufroient le martyre avec joye; mais que plusieurs d'entr'eus alloient le chercher. De à vient encore qu' [...]ls [...]âtisoient leur en­fans prés des Tombeaus des Martyrs; & que les Chrê­tiens, qui pour la crainte de la mort, renioient Jesus Christ, é [...]otent considerez parmy les fidéles, non seule­ment come de laches Apostats; mais aussi come des gens entierement perdus. Les Novatiens ne vouloient point les réadmettre au nombre des fidéles; Car ils croyoient que c'êtoit de ces sortes de persones d'ont S. Paul avoit voul [...] parler dans le 6. chapitre de son Epître aus Hebreus, quand il dit, Qu'il est impossible que ceus qui ont eté une fois illuminez, qui ont gouté le don celeste, qui ont eté faits parti­cipans du S. Esprit; Et qui ont goute la bone Parole de Dieu, & les puissances du siécle à venir; s'ils retombent, soient renouvelez par la repentance, veu que quand à eus ils cruci­fient de nouveau le Fils de Dieu, & l'exposent à à oprobre. Ils disoient aussi que l'apostasie étoit le peché à mort, d'ont 1 Jean. v. 16. parle S J [...]an, & pour lequel il ne dit point que nous pri­ons. Et si on admettoit derechef ces sortes d'Apostats, c'étoit apres une longue & une sévere penitence, apres que pendant plusieurs années, ils avoient doné des marques de leur pieté, & de leur repentance. On en a v [...]u ausquels Tertul. lib. de poenit. on a doné jusqu'à dix années d'épreuve? Mais ordinaire­ment on ne leur en donoit pas moins de trois: Et pour entendre le procedé de l'Eglise Primitive envers ceus qui tomboient de la sorte, il ne faut qui lire Phistoire de la chûte d'Origéne. La crainte de voir son corps honteuse­ment prostitué à un Etyopien, le forca d'osrir de l'encens Suidas Niceph. lib. 5. cap. 32. à l'Idole, encore luy mit-on Pencensoir à la main: ce­pendant il sut excomunié, & on le regarda avec tant d'horeur, que ne pouvant suporter la honte, d'ont on le couvroit; il fut obligé de quiter Alexandrie, & d'aler à Jerusalem: Là étant obligé de monter en chaire, il recita seulement les paroles au Pseaume cinquanti [...]me, Dieu dit au méchant, qu'as tu à faire de reciter mes statuts, & de [Page 14] prendre mon alliance en ta bouche, veu que tu hais corection & que tu as jetté mes paroles dériere toy; Et les larmes luy tombant alors des yeus, il descendit aussi tôt de chaire. Je say bien que les Gnostiques, cette maudite secte, qui a tant fait de tort au nom Chrêtien, tâcha d'introduire un autre Evangile: Car ils enseignoient qu'on pouvoit abjurer la Religion Chrètiene, par la crainte de la mort. Mais toute l'Eglise s'èleva contre ces Hérétiques, & condana cette doctrine pernicieuse; Et il y a de scavans homes qui croyent, que ce sont ces gens, & leur doctrine, que S. Jean, combat dans ses Epîtres; & particulierement, dans ses Revelations, parce qu'elle comencoit à se répandre avant qu'il mourut; Et certes il y à bien de l'aparence; Car il semble que ce bien-aymé Disciple tâche dans son Apocal. de montrer que le Martyre est le bon-heur des fidéles. Des l'entrée il done à Jesus le nom de fidéle Martyr, afin de doner aus Chrétiens une favorable idée du martyre. Pour le même dessein, il raconte les merveilleuses faveurs, d'ont Dieu le favorisa luy-même apres ses soufrances, & dans son banissement. Ensuite il propose aus Chrétiens de grandes & de glorieuses récompenses; Mais il ne les sait espérer qu'à ceus qui vaincront.

De cette maniere d'exhorter au martyre, il passe à une autre bien forte, & bien touchante; nous faisant voir, les Evangelistes, les Apôtres, & les bien heureus Martyrs revêtus de gloire, prosternez aus pieds du trône de Jesus, luy ren­dans grace, & luy faisans homage de leur courônes. En­suite il nous montre une grande multitude que persone ne Chap. 7. pouvoit center, de toutes nations, tribus, peuples, & lan­gues, qui se tenoient devant le trône, & en la presence de l'Agneau, vêtus de robes blanches, & ayans des palmes en leur mains, qui crioient à haute vois, le salut apartient à nôtre Dieu qui est assis sur le Trône, & à l'Agneau. Il nous dit que ces personnes sont venus de la grande tribulation, qu'ils ont lavé leur robes, & les ont blanchies dans le sang de l'Agneau. Il nous assure que c'est pour cela qu'ils sont devant le Trône de Dieu, & qu'ils le servent jour & nuit. [Page 15] Ensin, si ce bien aymé disciple nous fait la description de la Jerusalem Celeste, s'il nous montre, qui sont ceus qui y doivent entrer, il nous proteste que ce ne sont ni les lâ­ches, ni les timides; Et que son divin Maitre luy a doné un commandement particulier d'écrire que bien-heureus sont les morts qui meurent au Seigneur (il y a dans l'ori­ginal, pour le Seigneur) qu'ils se reposent de leur travaus, & que leurs oeuvres les suivent. En un mot, il semble que ce livre soit une source de Consolations pour ceus qui sou­frent le Martyre, un traité fait exprés pour prouver aus Chrétiens qu'ils doivent être fidéles à Jesus Christ jusqu'à la mort.

Voila, mes fréres, qu'elle est l'etendue de la fidelité que nous devons à nôtre divin Maitre, qui consiste, come je viens de vous le faire voir, a soufrir la mort même la plus cruelle plutôt que d'abandoner son service, & sa veritè: Et même, pour le dire en passant, plutôt, que de rien entre­prendre contre la foy & l'obeissance que nous devons aus Puissances Superieures qu'il a ètablies sur nous, si nous avions le mal-heur de nous trouver dans des tems sembla­bles à celuy de nôtre bien-heureus Martyr Polycarpe, où nos Superieurs voulussent nous obliger à encenser à l'Idole, sous peine de soufrir la mort, comme ce saint homme, nous serions obligez de l'endurer avec constance, & avec courage. Defenda est veritas non occidendo, sed moriendo: Cypr. Il faut defendre la verité de Jesus Christ, non pas en tuant, mais en mourant.

Nôtre divin Sauveur pouvoit avec beaucoup de justice attendre cette fidelité de ce bien-heureus Martyr auquel il parle, puis qu'il y étoit engagé par tant de sortes consi­derations: Cependant pour l'y porter plus puissament, il luy met devant les yeus une Courône de justice & de vie, d'ont il veut recompenser le zéle & la fidelité de ce saint personnage, Sois fidéle jusqu'à la mort, & je te doneray la Courône de vie. C'est la promesse ajoû ée à l'exhortation, & la derniere chose qui me reste à present a examiner, dans ma troisiéme partie.

Par cette Courône de vie, il faut entendre la vie eternél­le, la felicité d'ont D [...] p [...]om [...] d [...] [...]ire joi [...]ir les fidéles au sortir de ce monde: ce n'est pas S. Jean s [...]ul qui don [...] à la vie eter [...] éle le [...]om de Courône. Les autres Apô [...]res en usent de la sor [...]e, Fien heure [...]s, di [...] S. Jaques, est celuy qui [...]endure la tentation: Car quand il aur [...] éré rendu éprou [...]é, il recevra la Courône de vie, que Dieu a promise à ceus qui l'ay­ment. Jac. 1. 12. Et S. Paul voulant dire que la [...]licité eternéle luy é [...]oit reservée, s' [...]xprime en ces termes, la Courône de Ju­stice 2 Tim. 4. 8. 1 Pier. 1. 4. [...]. m'est réservée. S. Pi [...]rre la nome une Courône incor­ruptible qui ne se pout soi iller, ou comme il y a dans le Grec, une Courône d'amarante. D'où viennent ces sortes d'expressions? Po [...] quoy est-ce que l'Ecriture s'en sert si fréquament? Est-ce que les choses se doivent passer dans le Ci [...]l comme elles se passoient autrefois sur la Terre, dans les Jeux, dans les courses, & dans les combats de la Grece, cù on donoit des Courônes aus vainqueurs? Les fidéles doivent-ils porter des Courônes dans le Paradis, & étre élevez sur des t [...]ônes comme l'étoient autrefois ceus qui avoient fait de grandes choses pour leur Patrie? On diroit les prémiers Ch [...]é [...]i [...]ns auroient eu cette pensée; Car nous lisons dans l'histoire qu'ils arboroient des Mirtes & des Lauriers sur les Tombeaus de leurs Martyrs, qu'ils les acompagnoient au suplice avec des aclamatio [...]s & des hants de Triomfe, & qu'ils apeloient le jour de leur Mar­ [...]yre, le jour de leur couronement. Mais vous savez, mes fiéres, qu'il faut entendre cecy d'une maniere spirituélle & divine: Et que le Royaume des Cieus, étant un roy­aume spirituél, les recompenses que Dieu y donne à ses fi­déles qui ont vaincu, sont de la nature de leur combats, & come leur combats sont spirituels; leurs recompenses aussi sont spirituéles.

Ce que faisoient ces prémiers Ch [...]étiens n [...]é [...]oit pas pour persuader au monde que leurs Martyrs au sortir de cette vie, étoient Couronez d'une Courône matéri [...]le; mais qu'ils étoient comblez d'honeur & de gloire, qu'ils ob­tenoient da [...] le Ciel des honeurs du moins aussi grands [Page 17] pour ne pas dire infiniment d'avantage, que ne sont ceus d'ont jouïssent les têtes couronées sur la terre, & que mourir pour Jesus Christ étoit du moins une chose aussi glorieuse que d'être couroné dans le monde, que le jour des soufrances du Martyre merite autant d'aclamations, que le jour du couronement en demande pour la persone qui est couronée sur la Terre. Ainsi done quand icy, & en d'autres endroits de l'Ecriture, Jesus Christ promet des Courônes à ses fidéles, qu'il nous est di [...] que les Saints glori­fiez portent des Courônes dans le Ciel, [...] [...]evons pas prendre ces expressions au pié de la [...] [...] des fas­sons de parler figurées: Mais d'où vi [...]n [...] q [...] [...] s'en sert pour nous représenter la vie etern [...]l [...]? [...], mes Fréres, que come l'Epouse au Cantique des Can [...]ques, fait de toutes les Creatures un miroir où elle void les perfections de son bien-aymé, contemplant sa blancheur dans les lis; sa pureté admirable dans les sontames; sa douceur infinie dans les colombes; dans le soleil son éclat & sa merveil­leuse splendeur; dans les rochers sa force & sa durée: ainsi Dieu nous voulant representer la vie eternélle qui nous attend dans le Ciel, afin de nous en faire mieus compren­dre l'excellence & la grandeur, rassemble tout ce qu'il y a au monde de plus grand, de plus magnifique, de plus éclatant, & de plus agréable, & ce qui fait ordinairement le plus d'impression sur nos esprits, & luy done le nom de la vie eternéle. Suivant cet [...]e idée, il nous parle de f [...]stins continuéls, de Palais superbes, de grandeurs éminentes, de fleuves de delices, de Trônes, & de Courônes.

On peut à mon avis doner plusieurs raisons pour mon­trer que c'est avec beaucoup de justice que la vie etérnele nous est representée sous l'embleme d' [...]n. Courône.

1. Les Chrétiens sont souvent apelez des Rois; mais en­tant que fidéles, ils n'ont ni de royaume, ni de Courône sur la Terre; leur royaume est le Ciel. Or s'ils sont apelez Rois, parce qu'ils doivent un jour posséder ce royaume, il semble que la raison veut que la joye d'ont ils y doivent jouïr, le bonheur qu'ils y doivent posseder, [Page 18] soit apelé une Courône; Car les Rois doivent étre cou­ron [...]z.

2. Nous ne voyons rien sur la Terre de plus grand, ni de plus augusie que la Courône, c'est le plus prétieus, & le plus auguste ornement qui soit entre les hommes, c'est la marque de la dignité supréme, c'est pourquoy elle est mise sur la tête des Monarques qui sont des Dieus en Terre, & les images vivantes du Roy des Rois, ainsi elle est tres propre à representer la vie etérnele, qui est le plus grand bien où les hommes puissent aspirer, la marque de la plus haute dignité, le comble de la grandeur, le dernier degré de la gloi [...]e.

3. La Courône est le symbole de la victoire & du triomfe; ainsi en cela, elle est encore tres propre à doner une idée de la gloire éternele, cù nous triomferons de tous nos en­nemis. Pendant que nous somes dans le monde, nous avons toûjours quelques adversaires à combatre; mais au Ciel nous serons delivrez de tous; c'est là proprement que nous pourons nous écrier, Graces à Dieu qui nous a doné la victoire par nôtre Seigneur Jesus Christ.

4. La Courône étant d'une figure ronde, elle n'a ni comencement ni fin, & elle est l'emblême de la perfection & de la plenitude. Cela represente admirablement bien l'état des bien-heureus dans le Ciel, la vie glorieuse d'ont ils y jouïssent, est une vie qui n'aura point de fin, qui est éternele dans sa durée, come dans son bonheur. La mort qui fait tomber les Courônes de la Terre, & qui les ren­verse, ne sera pas capable d'aporter icy aucun changement: l'infinie durée de tant de siécles qui passeront, ne pourra al­térer ni ternir l'état & la splendeur de cette Courône de gloire & de vie, elle demeurera toûjours brillante & écla­tante d'eternité en eternité: alors les fidéles entreront dans une pleine possession, & dans une parfaite jouïssance de toute sorte de biens & de graces qu' [...]eil n'a point v [...]üs, qu'­oreille n'a point ouïs, & qui ne s [...]nt point montez au coeur de l' [...]ome; mais que Dieu a reservéz pour ceus qui l'ayment.

Mais je pense qu'outre ces raisons qui ont pü obliger [Page 19] Jesus Christ à apeler la vie éternele une Courône, il luy done ce nom par allusion à ce qui se passoit dans le tems cù Po­lycarpe vivoit: la fidelité & le courage faisoient parvenir à la Courône, avant qu'elle devint successive; celuy qui avoit témoigné une inviolable fidelité à sa Patrie, & qui avoit soufert pour elle, recevoit une Courône pour récompense de ses services, & cela étoit si assuré, que quand le fidéle citoyen avoit porté son courage & sa valeur jusqu'à mourir dans l'entreprise; on le couronoit tout mort qu'il étoit; Et non seulement cela, mais mëme on couronoit son Tom­beau: Et je ne doute point que Jesus Christ ne fasse icy allusion à cette coutûme; & que quand il adresse cette ex­hortation à Polycarpe, au milieu des glorieuses soufrances où étoit ce fidéle serviteur, il ne luy veüille dire, que s'il porte sa fidelité & son zéle jusqu'à la mort, come faisoient quelque fois les homes pour une courône morte & corrupti­ble, qu'il recevra de sa part, pour récompense, une Cou­rône de vie: Par où Jesus Christ nous insinüe encore la rai­son pour laquelle il ne dit pas seulement une Courône; mais une Courône de vie, par opposition aus Courônes que l'on donoit alors, & généralement à ce qui se partiquoit dans les courses & dans les jeux de la Grece, où ceus qui remportoient le prix, obtenoient des Courônes, d'ont les unes étoient de fleurs, les autres d'herbes, & les autres de feüilles; tantôt de Laurier, come aus jeux Phytiens; tantôt d'olivier sauvage, -come celles des jeux Olympiens; tantôt de Persil, come aus Neméens; & tantôt de Pin, come aus Isthmiens. Et il y avoit en outre un Herauld qui proposoit à haute voix les conditions de la course, ou du combat, & qui tenoit une Courône [...]n ses mains pour la metre sur la tête du vainqueur. Toutes ces Courônes étoient flé­trissables, mortelles, & corruptibles; mais voicy nôtre di­vin Jesus qui du haut de son Ciel, propose icy les conditi­ons▪ de la course, du combat, & de la victoire à son ge­néreus Atléte Polycarpe, assavoir une Courône; mais une Courône qui se conserve dans une éternele fraicheur, une Courône inflétrissable, & incorruptible de gloire, de [Page 20] justice, & de vie. Il la fait come briller & éclater devant ses yeus pour l'encourager, & l'assure luy-même de sa bouche sacrée qu'il la luy donera, & qu'il la posera sur sa tête fidéle & triomfante, Sois fidéle jusqu'à la mort, & je te doneray la Courône de vie.

En [...]in (pour ne multiplier point trop ces considerations) disons que Jesus Christ, ne done pas seulement le nom de vie à cette Courône par opposition aus Courônes mortes de la Terre; mais particulierement aussi par opposition à la mort d'ont il parle dans nôtre Texte, & qu'il exhorte Poly­carpe à soufrir pour luy. Come s'il luy disoit, par la fide­li [...]é que tu me garderas, tu ne peus perdre qu'une vie courte & miserable, tu ne peus soufrir qu'une mort de peu de moments, & au lieu de cette vie perissable & mourante, au lieu de cette mort qui ne fait que passer, je te doneray une vie glorieuse & immortéle qui te sera pour Courône. Ainsi le Seigneur qui est un bon medecin, & un sage dis­pensateur de ses graces, dés qu'il a anoncé un mal, il propose aussi tôt le remede, il a declaré auparavant les soufrances & la tribulation qui devoient arriver à son serviteur fidéle, il luy fait esperer ensuite, & luy met en veüe la gloire qui les devoit suivre, il luy propose la vie pour reméde à la mort. Il en use à peu p [...]és de même envers les Eglises d'Ephese & de Pergame; Car en les exhortant à fuïr les actions des Nicolaïtes qui mangeoient des choses sacrifiées aus Idoles, il leur promet des viandes bien plus exquises, & bien plus delicieuses, une arbre de vie, une manne cachée pour veu qu'elles perseverent à s'abstenir de ces banquets criminéls.

Mais remarquez icy que Jesus Christ dit qu'il donera cette Courône, pour marquer que la vie eternéle est un don de Dieu, & que quoy que nôtre fidelité soit le chemin à la gloire, au royaume, & à la Courône, ce n'en est pour­tant pas proprement la cause. Ce même Jesus qui parle icy, nous assure en un autre endroit, que quand nous aurions fait, disons aussi que quand nous aurions soufert tout ce qui nous est comandé, nous ne meritons rien à parler à la ri­gueur, [Page 21] il faut que nous disions, tout ce que nous étions ob­ligez de faire & de soufrir, nous l'avons fait, & nous l'avons soufert, nous n'avons rien fait ni enduré que ce à quoy nous étions engag [...]z par tant de raisons, nous le devions à la gloire de nôtre divin Maître, qui est non seulement nô­tre Createur & nôtre bienfaiteur, mais aussi nôtre Redemp­teur, que nous devons glorifier en nos corps & en nos esprits, qui luy apartiennent par tant de [...]îtres diférens; nous somes des serviteurs inutiles, (& plût à Dieu que nous le fussions en ce sens.) Ariére donc d'icy la doctrine orgueilleuse de l'Eglise Romaine, qui enseigne que par nos soufrances & par nos bonnes oeuvres nous meritons & nous achetons le Ciel & la Courône de vie. Ce n'est pas là, la pensée de S. Paul, qui quoy qu'il eut travailé luy seul plus que tous les autres Apôtres ensemble, & que mêmes ses liens & ses soufrances en Christ eussent é [...]é rendus celebres depuis Jeru­salem jusques en l'Illyrie, & jusques au Prétoire, nous assure pourtant que tout bien conté, les soufrances du tems preseut, Rom. 8. 18. & par conséquent le martyre même, tout grand, tout dif­ficle, & tout glorieus qu'il est, ne sont point à balancer con­tre la gloire avenir qui doit être revélée en nous. Ce n'est pas le sentiment de nôtre Apôtre, qui nous ayant representé dans le 7. de son Apocalypse, ces Martyrs glorifiez qu'il voyoit dans le Ciel vêtus de robes blanches, & qui étoient venus de la grande tribulation, nous assure, que selon qu'il luy fut revelé par un des vieillards, ces bien-heureus étoient Apoc. 7. 14, & 15. devant le Trône de Dieu, & le servoient jour & nuit, parce qu'ils avoient lavé leur robes, & les avoient blanchies dans l [...] sang de l'Agneau. Et c'est pourquoy aussi ces Esprits des Justes sanctifiez, nous sont representez en un autre endroir de ce même livre, jettans leur Courônes aus piés de l'Ag­neau, montrans par là, come l'interpréte un Pére de l'E­glise, que tout ce qu'ils ont de dignité & de bonheur, ils confessent le tenir de Jesus Christ & de sa liberalité, luy attribuans la gloire de leur victoire & de leur triomfe. Je say bien que S. Paul dans une de ses Epîtres done à cette vie éternele le nom de Courône de justice, ce qui semble être op­posé 2 Tim. 4. [Page 22] à la Courône de grace & de misericorde; mais cela s'acorde cependant tres bien; c'est une Courône de justice non pas de la justice de S. Paul: Car ce grand Apôtre ne de­siroit point d'étre trouvé ayant sa propre justice; mais de la justice de Dieu, non pas de la justice par laquelle il juge se­lon les merites, mais de celle par laquelle il est constant en ses promesses & en ses graces. Concluons donc cette ex­plication par les paroles de S. Augustin, que quand Dieu nous courone, il courone ses propres dons en nous, & finissons tout ce discours par quelques reflexions.

Premiérement, De ce que nous avons appris, que pour être fidéles à Jesus Christ, il faut non seulement croire en son nom, mais le confesser publiquement, & que cette foy & cette confession se doivent justifier & faire paroître au dehors, par des oeuvres de pieté, souvenons-nous que nous ne somes point fidéles à ce bien-aymé Sauveur, à moins que ces trois choses ne se trouvent en nous; pour être tels, nous devons être persuadez, qu'il est la propitiation pour nos pechez. Et dans cette assurance nous devons nous apuyer sur luy, le choisir pour nôtre réfuge dans nôtre vie, & à l'heure de nôtre mort. Mais ce n'est pas assez d'être per­suadez qu'il est nôtre Sauveur & nôtre Intercesseur; de nous apuyer sur luy come étant tel, il faut que nôtre bouche dé­clare cette foy, il faut que nous confessions ce bien-aymé Sauveur en qui nous croyons, & sur lequel nou [...] nous reposons toutes les fois que nous y somes obligez; & enfin, il faut que nous montrions nôtre foy par nos oeuvres, & que nous justifions par nôtre vie aus yeus de tout le monde que nous somes fidéles & enfans de Dieu. Somes nous donc fidéles à Jesus Christ de la sorte? Certes la foy de plusieurs est bien confuse; ils font profession de croire, mais c'est tout; ils regardent les promesses & les menaces de l'Evangile come des promesses & des menaces qui peut être s'accompliront & peut être ne s'accompliront pas: Ils flotent entre le doute & la foy pendant leur vie, & leur mort fait finir leur vie de la sorte; Et il ne s'en faut pas étoner: Car il est bien juste que ceus qui ont vêcu dans une [Page 23] continuéle défiance, meurent de la même maniere. Voila l'état de bien des Chrétiens, voila coment ils croyent, combien confessent Jesus Christ selon la mesure de cette foy? Il ne faüt à plusieurs que la presence d'une persone de contraire Religion pour les obliger, ou à blâmer l'E­vangíle, ou à noser le confesser: Et pour les oeuvres de pieté, combien peu de gens sont Chrétiens par cette marque? toute chair a corompu sa voye, les Adultéres, les paillardises, & les autres oeuvres de la chair sont maniféstes; & la vie de plusieurs Chrétiens est plus infame & plus débordée que celle de ceus qui ne conoissent point Dieu: C'est en vain que ces faus Chrétiens se fondent sur leur profession exterieure du Christianisme, c'est s'apuyer sur un roseau cassé; un jour le Seigneur leur criera, je ne vous conois point, ouvriers d'iniquité, departez vous d [...] moy.

Mes Fréres, ne les imitons pas, soyons fidéles à Jesus Christ come il le demande, & si nous luy somes fidéles, il nous sera fidéle selon ses promesses & nos esperances, & il nous metra infailliblement en possession du bonheur & de la gloire qu'il promet à ses enfans.

2. De ce que nous avons veu que nôtre fidelité doit aller jusqu'à la mort, aprenons aujourduy que nous somes dans le calme & dans la prosperité, ce que nous devons être dans la tempête & dans l'adversité, c'est d'être fi­déles à nôtre Sauveur jusqu'à mourir pour sa cause; je say que c'est une chose dure à la chair & au sang qui ne comprennent point les choses qui sont de Dieu: mais enfin il le faut, Dieu le comande, & c'est le devoir de tous les bons Chrétiens. Vôtre coeur vous dit-il donc, que si Jesus Christ vous apeloit à soufrir pour son Nom, vous-vous sentez résolus à mourir plutôt que de renoncer à la foy? ô combien y en a-t-il qui sont éloignez de ces nobles & gé­nereus sentimens, & que leur coeur condane sur ce su­jet? Combien qui s'imaginent qu'une menace est une excuse plus que suffisante pour les obliger à abjurer leur [Page 24] Religion: On croit l'apostafie un peché fi peu considerable, que c'est même un crime & un peché de luy doner son vray nom, quiconque apele Apostat un home qui abjure la bone Religion, passe dans l'esprit de plusieurs prétendus bons Chrétiens pour un calomniateur, & un home sans cha­rité, ô tems! ô moeurs! en quel siécle some nous? Il nous faut faire un autre Evangile, il faut brûler tous les livres de nos Martyrs, ils avoient bien tort de soufrir tant de suplices si cruels, plutô: que d'abandoner la pureté de leur croyance, on trouve aujourduy des accomodemens bien plus dous pour être fidéles à Jesus Christ, & selon le beau sentiment de plusieurs on peut abjurer sa Religion, & cependant demeurer toûjours fidéles; Ce n'estoit pas sans doute la pensée de ce grand & de ce fameus Ar­chevêque Cranmer. de ce païs, qui ayant eu le malheur de signer l'abjuration de la Religion Protestante, ensuite honteus & consus de sa lâcheté, retracta sa parole, ala hardiment au bucher, mit d'abord dans le feu la main qui avoit trahi son coeur en signant sa renonciation: Cette action a passé autrefois pour belle & pour glorieuse; Mais par­my plusieurs aujourduy, ce n'est qu'une folie, & en é­set selon leur principe, c'en étoit une tres grande, & ceus qui eussent voulu parler de luy faire faire une lon­gue penitence, eussent passé pour des calomniateurs & des gens sans charité.

Ce n'étoit pas non plus le sentiment de ce marchant nomé Gatine, qui vivoit en France au com [...]ncement de la Reformation. Il fut condané luy & son fils à être pendus pour avoir fait prêcher dans leur maison: come le pére é [...]oit au haut de l'échéle tout prêt être exe­cuté, on luy promit la vie en cas qu'il voulut se faire Papiste; cette promesse cut tant de pouvoir sur son es­prit dans ce moment, qu'il promit de faire ce qu'on voudroit. En même tems il comence à descendre de l'echéle: son fils qui êtoit au p [...]é du gibet s'en aperce­vant, luy parla de cette sorte, Quoy, mon pére, vous [Page 25] aviez un pié dans le Paradis, & [...]vous l'en retriez pou [...] vous précipiter dans l'Enfer? Ces paroles prononcées d'un ton ferme & assuré, firent tant d'impression sur l'esprit du Pére, que honteus, il remonta l'échele, & sou­frit courageusement; c'est ce que fit son fils un moment apres luy: La maison de ce marchand fut rasée, & on y planta une croix, qu'on nomma la Croix Gatine, de son nom. Si cela fut arrivé en nos jours, combien se fut­on moqué d'eus, on les eut fait passer pour des foux; car ils n'avoient qu'à abjurer, & on eut ensuite trouvé assez de moyens de les excuser, & de faire valoir leur action à leur avantage; on eut même jugé que c'étoit trop leur demander que de leur faire faire un compli­ment & une reconoissance devant leurs Pasteurs, s'ils eussent voulu se refaire Protestants. Ariére de nous ces lâches & ces maudits sentimens: ce n'est pas là l'Evan­gile que nous avons receu de Jesus, & de ses saints A­pôtres, qui enseigne qu'il nous faut être fidéles à Dieu, même jusqu'à soufrir la mort la plus violente, quand il nous y apéle; Si cet Evangile est couvert, il est couvert à ceus qui perissent, ausquels le Dieu de ce siécle a aveu­glé les entendemens, & endurcy les coeurs.

Mes Freres, pour conclure en un mot, que les do­ctrines des nouveaus Gnostiques de ce tems, ne fassent point d'impression sur vos esprits; regardez ces gens come des gens qui ont un amour secret pour Baby­lone, des gens qui ont dessein de se jetter dans son par­ty, ou de demeurer dehors, selon les tems, les menaces, la prosperité ou l'adversité des affaires publiques, & des leurs en particulier. Ecoutez cette voix celeste qui vous crie encore come au généreus Polycarpe, Sois fi­déle jusqu'à la mort, & je te doneray la Courône de vie. Et dans cette pensée soyez luy fidéles, s'il veut enfin é­prouver vôtre foy jusques à ce point. Ne craignez point la mort, la vie de l'home est courte & pleine d'ennuis, aprehenderiez-vous la mort temporele, vous à qui la vie [Page 26] éternele est promise? Cette vie, cette mort peuvent­elles être balancées contre la Courône de vie, de gloire, & de felicité éternele, que Dieu promet à ceus qui luy auront été fidéles jusqu'à la mort? Non sans doute, Chrétiens, je say que vous entombez d'acord pour peu que vous y fassiez de reflexion; si vous agissez done de la sorte, Dieu changera vôtre vie mortéle & perissable pour une heureuse & éternele immortalité toûjours glo­rieuse & triomphante. Amen.

FIN.

This keyboarded and encoded edition of the work described above is co-owned by the institutions providing financial support to the Text Creation Partnership. Searching, reading, printing, or downloading EEBO-TCP texts is reserved for the authorized users of these project partner institutions. Permission must be granted for subsequent distribution, in print or electronically, of this EEBO-TCP Phase II text, in whole or in part.