RÉPONSE AU Plaidoié de Mons r. Herard, Avocat au GRAND CONSEIL, Ou plutost A l'Invective, ou Libelle, Que Monsieur LE DUC MAZARIN A fait imprimer contre MADAME La DUCHESSE son Epouse.

A LONDRES, Chez la Veuve Marret & Henry Ribotteau, Li­braires en Salisbury Buildings dans le Strand, 1696.

PREFACE.

IL n'est pas honneste d'entrer dans le secret des Familles, beaucoup moins d'exposer au Jour ce qui se passe entre une Femme & un Mary; Mais puisque Monsieur Mazarin a bien voulu le declarer au Grand Conseil, & Monsieur Herard son Avocat le faire imprimer, il n'étoit pas juste que le Monde n'écoutat qu'une partie; Et la Réponse au Plaidoié m'estant tombée entre les mains, J'ay crû la devoir donner au public pour le faire Juge des Raisons; Et j'espere qu'aprés les avoir examinées, on trouvera d'une Commune voix Madame Mazarin digne d'un autre sort, & d'un autre Epoux.

Si Monsieur le Duc Mazarin s'en étoit tenu aux Froideurs, aux secheresses, aux duretés, Madame Mazarin se seroit con­tentée de pleurer son malheur en secret, es­perant de pouvoir ramener un Esprit si ex­traordinaire par sa Constance a souffrir, & par sa douceur a luy complaire: Mais s'étant porté a des excés qui luy otoient tout le repos & a une Dissipation qui ruinoit en­tierement la Famille, elle a cherché des remedes qui pussent conserver son bien, & sa Liberté!

Les Parents ont agi, les Directeurs s'en sont meslés, l'Authorité du Roy est inter­venue, rien n'a pû persuader Monsieur Mazarin, falloit il que l'Epouse fut eter­nellement assujettie tantot aux Caprices, tantot aux entousiasmes, souvent aux Re­velations fausses de l'Epoux?

C'est ce que Monsieur Herard a soutenu avec autant d'Injures que de Calomnies. voicy quelques passages du plaidoyé qui feront Connoistre l'Esprit furieux de l'A­vocat.

A la 3 e. Page.'Les Affaires d'Angleterre sont venuës a un point qu'il n'a plus été per­mis ny a un François, ny a un Catholique ny a un homme de bien de demeurer a Londres. Si Ma­dame Mazarin ajoute t-il, avoit eu quel­que attachement pour le Roy Jaques, & la Reine, & quelque reconnoissance de leur bontés, si elle avoit seulement eu les Sentiments d'honneur, & de Religion qu'elle devoit avoir pris auprés d'eux; auroit elle pû voir sans horreur, l'Usurpa­teur de leurs Estats, & le Destructeur de nostre Foy établir sa Tirannie sur le de­bris de leur Throne legitime, & sur les ruines de la veritable Religion?

Dans un autre endroit.

'Amoins qu'un beau Zele ne fit cher­cher a Madame Mazarin une glorieuse Palme, & ne luy fit concevoir une saincte Ambition d'estre immolée par cette Na­tion Farouche.

[Page]

Page 28.'Mais enfin comment pretendra-t-on encore faire servir les noms du Roy, & de la Reine d'Angle­terre a excuser l'évasion, & l'absence de Madame Mazarin, maintenant qu'on la voit offrir au Prince d'Orange, le mesme encens qu'elle leur offroit, mais avec tant de bassesse, & d'Indignité, qu'il y avoit d'honneur pour elle a les reverer.

Et a la fin de son Plaidoié,

'Qu'elle excuse peut avoir a present Madame Mazarin? Le Prince d'Orange est il son Parent? Tous ces Libertins ces Presbiteriens, ces Episcopaux, ces Trem­bleurs, en un mot ces Gens de toutes Religions, horsmis la bonne, sont ils ses Parents?

Il faudroit transcrire le Plaidoyé, si on vouloit citer tout ce qu'il dit injurieusement contre Madame Mazarin, & contre la Na­tion Angloise.

Monsieur Mazarin ne scauroit nier qu'il n'ait fourni un sujet de separation legitime. Mais il se vante de n'avoir rien oublié pour procurer la Reunion, & il est certain qu'il en a envoyé mesme les Articles. Le pre­mier, [Page]& sur quoy roulent presque tous les autres.

'Rien par Condition, tout par Amitié.

'Dans les difficultés qui ne manqueront pas de survenir, l'éclaircissement aussi tot.

'Copier le meilleur menage du Roy­aume, Modelle sur le quel il faudra re­gler le nostre.

'Ne donner Jamais au public le detail de nos Affaires Domestiques, moins aux curieux ce qu'il y a de secret, mais leur dire en peu de mots, que le raccommode­ment s'est bien passé.

Monsieur Mazarin ne se contentant pas d'avoir reglé l'Epouse, & l'Espoux, a voulu faire des reglements qui fussent observés dans toutes ses Terres, sans considerer la Jurisdiction des Evesques, ny l'Authorité des Gouverneurs. Il a commencé par les Af­faires Ecclesiastiques qui doivent aller de­vant les civiles avec raison. Comme ces Articles sont imprimes, on en parlera en gros seulement.

Il aporte, 'le bon ordre dans les Con­freries, ou il s'est glissé, dit il, beaucoup d'abus.

Il prescrit 'Aux Curés leur devoir dans les messes parochiales & particuliere­ment dans les prones: vespres & Com­plies ne sont pas oubliées; il touche le­gerement le Sermon.

Passant de là a quelques regles pour les seculiers. 'Il veut qu'un Apothicaire ou son garçon qui portera un remede soit habilé decemment, & que le Malade prest a le recevoir garde en se tournant toute la modestie qu'il pourra.

Il deffend aux femmes, 'de tirer les va­ches, & de filer au rouet acause d'un exercice des doits, & d'un mouvement du pied qui peuvent donner des Idées malhonnetes.

Il demande ‘une grande pureté aux ber­geres qui conduisent les moutons, & plus grande aux bergers qui gardent les chevres.’

Pour les pastres, 'tant ceux qui ont les taureaux que ceux qui leur menent les vaches Ils doivent détourner les yeux de l'éxpedition, aprés la quelle on pro­cédera au payement selon la taxe qu'il y a mise.

Ayant de grandes Terres en plusieurs Pro­vinces, il y va luy mesme pour faire obser­ver ses Reglements, & comme ils sont mal receus par tout, il achéte bien cherement l'Obeissance a ses ordres. L'attirail de ses confreries, l'Equipage de ses devots errans, moitié Ecclesiastiques, moitié Seculiers fai­roient en Asie une Caravane asses nom­breuse; Et ce n'est pas la maniere de se ruiner la moins magnifique qu'il ait trou­vée. Cela Suffiroit pour Justifier la Sepa­ration de Madame Mazarin, ne laissés pas d'entendre son Avocat.

RÉPONSE AU Plaidoié de Mons r. Herard, Avocat au Grand Conseil, ou plutost à l'Invective, au Libelle, que Monsieur le Duc MAZARIN a fait imprimer contre Madame la Duchesse son Epouse.

C'Est une chose assurée Messieurs, qu'on ne va point tout d'un coup à l'Impudence. Il y a des degrés par ou l'on monte à l'audace de dire & de foutenir les grands mensonges. La Véri­té n'a besoin ni d'instructions ni dessais. Elle est née, pour ainsi dire, avec nous: [Page 6]A moins que de corrompre son naturel; on est véritable. Jugés Messieurs, combien il a falu d'étude, & d'exercice à Monsieur Herard pour arriver à la perfection du ta­lent qu'il s'est donné. Que de Vérités dé­guisées, que de supositions, que de faits in­ventés il a falu pour former la capacité de ce grand homme.

Dire que Monsieur de Neuers accompag­na Madame sa soeur jusqu'au premier re­lais; ce qu'il ne fit point.

Que Madame Mazarin emporta de riches ameublemens, & beaucoup de Vaisselle d'Argent, Elle qui n'a jamais eu aux païs étrangers ni meubles, ni argent, ni pierre­ries, si vous en exceptés un simple collier qu'elle portoit ordinairement en France.

Dire qu'elle a demeuré dans les estats du Roy d'Espagne ou elle ne fit que passer en pleine paix par la necessité du Voiage.

Qu'elle a scandalisé tous les convens ou elle a esté, quoiqu'on l'ait veuë cherie, & honorée de Madame de Chelles, de Madame Dulis, & de toutes les superieures des Mai­sons ou elle a vécu.

Que sa Pension en Angleterre a esté don­née on consequence d'un Argent deu a Monsieur le Cardinal; Debte que les deux Roys ont toujours traittée de Chimerique, & de Ridicule.

Inventer cent faits de cette nature, la déguiser, feindre, suposer ont esté comme les degrés par ou Monsieur Herard a mon­té a la hardiesse de son éloge pour Monsieur le Duc, à l'Impudence de ses calomnies contre Madame la Duchesse Mazarin.

Si tant de louanges, tant d'opprobres ne sont pas formés dans vostre Esprit, dites nous Monsieur Herard qui a pû vous in­struire des vertus de Mr. Mazarin; Est ce dans la Cour, dans les Provinces, dans les Villages, qu'on vous en a donné de si belles Notions? Qui vous a instruit des mé­chantes Qualités de Madame Mazarin? Est ce à Paris, a Rome, a Venise, à Londres qu'elles vous ont esté déclarées. Je puis vous donner de meilleures lumieres sur tous les deux, & pour empécher que vous ne retombies dans l'Erreur, je vous dirai cha­ritablement que Monsieur Mazarin se fait mépriser par tout ou il est, & ou il n'est [Page 8]pas, que Madame Mazarin est generalle­ment estimée, par tout ou elle a esté, & par tout ou elle est.

Mais en quel païs esties vous, ou dans quelle obscurité passiés vous la vie, pour ignorer comment se fit le Mariage de Mon­sieur Mazarin.

Monsieur le Cardinal au commence­ment de sa Maladie, voulut examiner le merite de nos courtisans pour en trouver un à son gré, digne d'épouser sa belle niepce, & capable de soutenir l'honneur de son nom: Comme il lui restoit encore quelque vigueur, il neût pas de peine à re­sister aux vertus qui se trouvoient avec peu de bien; mais son mal augmentant tous les jours, & son jugement diminuant avec ses forces, il ne resista point à la fausse opi­nion qu'on avoit des richesses de Monsieur Mazarin. Voila, Monsieur Herard, voila ce noble & glorieux choix de Monsieur le Cardinal; Choix, à parler serieusement, qui faillit à ruiner sa reputation malgré tout le merite de sa vie passée. Là se perdit le respect des courtisans; là les plus retenus se laisserent aller aux railleries, & des Mi­nistres [Page 9]Etrangers écrivirent à leurs Maitres qu'il ne faloit plus compter sur son Emi­nence aprés le Mariage ridicule qu'elle avoit fait.

Quelque Aversion que vous puissiés avoir pour les Verités, faites vous la violence d'écouter celles que je vais dire de Mon­sieur Mazarin. Vous ne scauriés avoir plus de repugnance pour les Verités, que j'en ai pour les mensonges; Cependant il ma falu écouter ceux que vous avés dits sur le sujet de Madame Mazarin avec autant de mechanceté que d'Impudence.

A la mort de Monsieur le Cardinal, les courtisans qui ne connoissoient pas encore la delicatesse du goust du Roy, apprehen­derent que Monsieur Mazarin ne fût heri­tier de la faveur, comme des biens & du nom de son Eminence. L'on a oui dire à Monsieur de Turenne qve s'il voioit cette Indignité là, il quitteroit la France avec la mesme facilité qu'il l'avoit quitée autrefois pour aller servir Monsieur le Prince.

Le Marechal de Villeroy qui devoit mieux connoistrele discernement de sa Ma­jesté pour avoir esté son Gouverneur, [Page 10]ne laissoit pas d'avoir ses apprehensions.

Le Marechal de Clarambaut qui s'estoit signalé à rendre ce Mariage ridicule, fut allarmé; mais Monsieur Mazarin plus dans leurs Interests que dans les siens, demeura seulement à la Cour autant de tems qu'il lui en falloit pour se décrier, & pour don­ner au Roy les indicieux mepris qu'il à conservés de sa Personne.

Toutes les craintes neantmoins ne furent pas leuées. On eut peur que le Marechal de la Meilleraie qui avoit tenu dans son tems le premier Poste à la guerre, ne servit d'ex­emple à son fils pour s'y donner la plus grande consideration.

Monsieur Mazarin estoit trop homme de bien pour laisser le monde dans cette Erreur. Il renonca à la guerre, comme il avoit fait à la Cour, & vous m'avoüerés Mes­sieurs que ce ne fut pas la chose la moins sage de sa vie.

Il ne lui restoit que trop de quoi se faire considerer. Les charges, les Gouverne­mens, les richesses, en quoi il surpassoit tous les sujets de l'Europe, lui attiroient as­sés de respect; mais il s'en defit, comme [Page 11]de choses superflues, en Philosophe; ou comme de Vanités dangereuses au salut en Chretien. De quelque maniere que ce fût, il ne se laissa rien d'un amas si pretieux à l'égard des hommes.

De mille Raretés que l'opulence, & la Curiosité avoient amassées; d'un nombre infini de tableaux, de statuës, de tapisseries, il n'y eut rien qui ne fut defiguré ou vendu; de toutes les charges; Monsieur Mazarin n'en conserva aucune; de tous les Gou­vernements, il ne garda que celui d'Alsace, ou il scavoit bien qu'on l'empecheroit de commander.

Enfin, Messieurs, de vingt millions que Madame Mazarin lui avoit aportés, on a Honte de nommer ce qui lui reste; & la feule raison qu'il en a donnée, c'est qu'en conscience, il ne pouvoit pas garder des biens mal acquis; ils n'estoient pas mal acquis, Messieurs, ils ne l'estoient pas; la Couronne défendue contre tant de forces au dedans, & tant de puissance au dehors, en avoit fait l'acquisition, que la Justice, & la liberalité du Roy ont confirmée; mais ces avantages là ont esté aussi mal Iaissés, [Page 12]que mal gardés. La Memoire de Monsieur le Cardinal est responsable du mauvais choix qu'il fit de Monsieur Mazarin, & Mon­sieur Mazarin du méchant usage qu'il a fait de ces grands biens.

Epargnons a Madame Mazarin la dou­leur d'entendre un plus long discours sur cette dissipation. Epargnons à Monsie ur Mazarin le honteux souvenir de la maniére dont il a tout dissipé.

Triste condition à Madame Mazarin d'avoir à souffrir la dissipation de ses ri­chesses; plus triste d'avoir toujours devant les yeux le dissipateur. Voila comment se passoient les malheureuses journées de Ma­dame Mazarin. Elle attendoit le repos des nuits qui ne se refuse pas aux miserables pour suspendre le sentiment de leurs maux; mais ce soulagement n'estoit point pour elle. A peine ses beaux yeux estoient fermés, que Monsieur Mazarin, qui avoit le diable pre­sent à sa noire imagination; que cette aima­ble époux eveilloit sa bien aimée pour lui faire part; vous ne devineriés jamais, Mes­sieurs, pour luy faire part de ses Visions nocturnes.

On allume des Flambeaux, on cherche par tout. Madame Mazarin ne trouve de Phantome que celui qui avoit esté auprés d'elle dans son lit. Sa Majesté fut traittée plus obligeamment. Elle eut la confidence des Revelations, des lumieres divines que le commerce ordinaire de Monsieur Maza­rin avec le Ciel, lui avoit données.

Le monde est plenement informé des Re­vélations; Et puisque Monsieur l'Avocat a tant fait valoir la Devotion qui a merité cette Grace, je vous suplie Messieurs, d'a­voir la Patience d'en écouter quelques ef­fets; ils sont singuliers, & dignes de vostre Attention.

Dans le tems que Monsieur Mazarin recherchoit Mademoiselle Hortense, il donna un Billet de cinquante mille Escus à Monsieur de Freius a condition qu'il le ser­viroit dans ce Mariage, qu'avec Raison il sollicitoit si ardemment. Le Mariage ce fit ou Monsieur de Freius eut beaucoup de part. Mais comme il n'estoit ni facile, ni honeste à un Prelat de se faire paiër d'une Promesse de cette nature la, il la rendit à Monsieur Mazarin, se fiant plus à sa parole [Page 14]qu'a son Billet: Quelque tems apres cette génerosité, Monsieur l'Evesque eut besoin d'argent pour l'establissement de ses neveux, & en demanda à Monsieur Mazarin, qui faisant violence à son bon naturel, refusa de le paier; instruit par son Directeur qu'a­cheter le Sacrement de Mariage eust esté une simonie plus criminelle pour lui, que celle d'acheter l'Episcopat pour un Evesque.

Voiés, Messieurs, la bonne & delicate Conscience de Monsieur Mazarin: Mon­sieur de Freius, tout Eveque qu'il estoit, eût receu l'argent sans avoir égard à la si­monie; Monsieur Mazarin simplement laïque fit scrupule de le donner, & religi­eusement ne le donna pas.

Voicy un exemple qui confirmera l'opi­pinion qu'on a de sa piété.

Monsieur Mazarin avoit un procés tres important dont il pouvoit sortir avec avan­tage par une accommodement; il répondit à ceux qui le proposoient, que nostre Seig­neur n'estoit point venu au monde pour y aporter la paix; que les Controverses, les Disputes, les Procés estoient de droit divin, [Page 15]& les Accommodemens d'Invention hu­maine: Que Dieu avoit établi les Juges, & n'avoit jamais pensé aux arbitres; ainsi qu'il étoit resolu de plaider toute sa Vie, & de ne s'accommoder jamais: Parole qu'il a Chrétiennement gardée, & qu'il gardera toujours.

La pudeur ne me permet pas, Messieurs, de vous expliquer le sujet de son voiage en Dauphiné pour consulter Monsieur de Gre­noble; je vous dirai seulement qu'on n'a jamais entendu parler d'un cas de consci­ence si extraordinaire, ni d'un scrupule si tendre & si delicat.

Mais voici le chef-d'oeuvre de Monsieur Mazarin en devotion: Il a fait nourrir un des enfans de Madame de Richelieu avec defense expresse à la nourice de lui donner a teter les Vendredis, & les Samedis, pour lui faire succer au lieu de lait, le Saint Usage des Mortifications & des jeunes.

Voila, Messieurs, la Devotion de Mon­sieur Mazarin dont son Avocat n'a pas eû Honte de faire l'éloge; Devotion qui sert aux Refugiés pour s'opiniastrer dans leur créance; mais les Catholiques se moquent [Page 16]aussi bien qu'eux d'une piété ridicule, & vous, Messieurs qui en avés une si solide, ne la désaprouvés pas moins que les Pro­testans.

Le premier malheur de l'homme c'est d'estré privé du sens dont il a besoin dans la Société humaine: Le second, c'est d'estre obligé de vivre avec ceux qui ne l'ont pas: Ces deux Calamités se sont trou­vées plénement dans le Mariage infortuné de Monsieur & de Madame Mazarin.

Monsieur Mazarin a de sa nature un éloignement si grand de la raison, qu'il luy est comme impossible d'estre jamais raiso­nable: Seule excuse que ses amis, s'il en a, pouroient nous donner de sa conduite.

Madame Mazarin a receu de sa mauvaise Fortune la contrainte de demeurer avec Monsieur Mazarin. Le suplice du vivant attaché avec le mort n'est pas plus cruel que celui du sage lié necessairement avec son contraire, & c'est la cruauté que Madame Mazarin a esté obligée de soufrir cinq ans durant: Obsedée le jour, éfraiée la nuit; fatiguée de voiages sur voiages faits mal à propos; assujettie a des ordres extravagans [Page 17]& Tiranniques; ne voyant que des observa­teurs, ou des Ennemis; Et ce qui est le pire dans les Conditions infortunées, mal­heureuse sans Consolation.

Toute autre se seroit défenduë de l'op­pression par une resistance déclarée, Ma­dame Mazarin voulut échaper seulement à ses malheurs, & aller chercher au lieu de sa naissance avec ses parens, la sureté & le repos qu'elle avoit perdu.

Tant qu'elle a esté a Rome, on la veuë honorée de tout ce qu'il y avoit d'illustre & de grand Revenue en France, elle obtint du Roy une Pension pour subsister, & un Officier de ses gardes pour la conduire seurement hors du Royaume, ou elle ne pouvoit, ni ne vouloit demeurer.

Aprés tant d'agitations elle établit sa re­traite à Chambery, ou elle passa trois ans tranquillement dans les Reflexions & dans l'étude, au bout des quels elle vint en An­gleterre par la Permission de sa Majesté. Tout le Monde sçait la Consideration que le Roy Charles, & le Roy Jaques ont eu pour elle: Tout le monde sçait les graces qu'elle en a receues; graces purement at­tachées [Page 18]à sa Personne, sans aucune Relation à la Debte de Monsieur le Cardinal. C'est donc aux seuls bienfaits de leurs Majestés que Madame Mazarin a deu les moiens de subsister; Car son Epoux aussi juste & cha­ritable que dévot, lui avoit fait oster la Pen­sion, que le Roy de France lui avoit don­née.

Que vous agissés peu Chrétiennement, Monsieur Mazarin, vous qui ne parlés que de l'Evangile. Les vrais Chrétiens ren­dent le bien pour le mal; vous laissés mourir de faim une femme qui vous a ap­porté plus de bien en Marriage, que toutes les Reines de l'Europe ensemble n'en ont aporté au Roys leurs Epoux.

Les vrais Chrétiens pardonnent les Inju­res qu'on leur fait; vous ne pardonnés pas les outrages que vous faittes.

Une Persecution en attire une autre; par une Humeur qui saigrit, par un Esprit qui s'irrite en faisant le mal, vous augmentés la Persecution à mesure que vous persecutés.

N'estoit ce pas assés de laisser Madame Mazarin sans aucun bien durant vostre vie? [Page 19]faloit il songer à la rendre miserable apres vostre mort? faloit-il chercher des Précau­tions contre la fin de ses malheurs, quand vous ne serés plus en estat d'en pouvoir jouir.

Ne pensés pas qu'il suffise a vostre Avo­cat d'avoir toujours à la bouche, L'auguste & venerable nom d'Epoux, le Sacré noeud de Mariage, le lien de la Societe civile: Nous avons pour nous Monsieur Mazarin contre l'Epoux; nous avons ses méchants qualités contre ces belles, & magnifiques Expressions. Nostre premier Engagement est à la raison, à la Justice, à l'Humanité, & la Qualité d'Epoux ne dispense point d'une Obligation si naturelle. Quand le mari est extrava­gant, injuste, inhumain, il devient Tiran d'Epoux qu'il estoit, & rompt la Société contractée avec sa Femme. De droit la Separation est faite; les Juges ne la font pas; ils la font valoir seulement dans le public par un solemnelle Declaration. Or que Monsieur Mazarin n'ait plénement les qua­lités qui font ce divorce, il n'y a Personne qui en puisse douter.

Son Humeur, son Procedé, sa Conduite, toutes ses Actions le prouvent. La diffi­culté [Page 20]seroit d'en trouver une qui ne le prouvat pas; & Monsieur Herard à beau la chercher, Messieurs, il ne la trouvera point. Il dira que Monsieur Mazarin est devot; je l'avouë mais sa Devotion fait honte aux plus gens de bien. Il dira qu'il jeune, qu'il se mortifie; il est certain: Mais le tourment qu'il donne aux autres lui fournit plus de douceur que son auste­rité ne lui fait de peine. S'abstenir de nu­ire, s'empescher de faire du mal seroit une abstinence agreable a Dieu, & utile aux hommes. Mais la Mortification de Mon­sieur Mazarin en seroit trop grande, & sans une grace extraordinaire du Ciel il ne la pratiquera jamais.

Monsieur Herard décendra peut estre de la Religion a la morale, & parlera de sa li­beralite; nous opposerons son Avarice en toutes les choses honnestes, à sa Prodigalité en ce qui n'est pas permis. Pour mieux dire il ne donne point, il dissipe, il oste à sa Femme, à ses Enfans ce qu'il abandonne aux Etrangers.

Les vertus changeroient de nature entre ses mains & deviendroient plus condamna­bles que les vices.

Plût a Dieu Messieurs, que nous eussions besoin de faux vices, comme en a Monsieur Herard, de fausses vertus: Pour nostre malheur nous n'avons que trop de mé­chantes qualités véritables à vous alleguer.

Des procés mal fondés avec les voisins, des inimitiés sans retour avec les Proches, un traitement tirannique aux Enfans, une Persecution éternelle à la Femme, sont les funestes & incontestables preuves de ce que nous soutenons.

Pour Monsieur Herard, aprés avoir né­gligé toutes verités comme basses, gros­sieres, indignes de la delicatesse de son Es­prit; apres avoir usé sa belle Imagination à inventer & à feindre, à donner la cou­leur des vertus aux vices, l'apparence des vices aux vertus; Rebuté enfin du mauvais succés des ses Artifices, il a recours à des loix eteintes, dont il veut retablir l'Autori­té. Il a recours à la vieille & ridicule nou­velle de Justinian; belle resource à un Avo­cat de si grande Reputation?

La voici Messieurs, cette loi menacente & redoutable à la Societé humaine, cette nouvelle qui oste aux honnestes gens la [Page 22]plus douce Consolation de la vie par la Pu­nition d'un Commerce tout raisonnable & tout innocent.

Si une Femme mange avec des hommes sans la Permission de son mari, elle dechoit de ses droits; elle n'a plus de part à ses Conventions Matrimoniales.

Heureusement la nouvelle n'a point de lieu dans les états ou l'on vit presentement: Il n'y auroit point de Femmes aux Pays Bas, en France & en Angleterre quine perdissent leur dot, si la bonne loi avoit conservé quelque credit.

Je m'étonne que pour faire voir une plus grande connoissance de l'Antiquité, Mon­sieur Herard ne vous ait menés du tems de Justinian à celui de Romulus, ou les maris, & les Peres ne revenoient jamais à la Mai­son sans baiser leurs Femmes, & leurs Filles pour sentir à leur haleine, si elles avoient bû du vin, & en ce cas, on punis­soit le mal que le vin pouvoit caufer, en­core que le mal ne fût pas fait.

J'avouë que les loix autorisent fort les maris, mais il n'y avoit pas de Mazarins lorsqu'on les fit; s'il y en avoit eu, toute [Page 23]l'Autorité seroit du costé des Femmes. La raison des Anciens à fait des loix justes, ou nécessaires pour regler leur tems; la vostre, Messieurs ne perd rien de ses droits par les reglemens de l'Antiquité, & c'est à vous, qu'il apartient de juger Souverainement, & par vos propres lumieres de nos Interests.

Les maris seroient trop heureux, si l'en­tétement de Monsieur Herard étoit suivi; Les Femmes trop malheureuses, s'il avoit quelque influence sur vos jugemens.

Il ne faudroit qu'estre mari pour estre excusé de toutes fautes, justifié de tout crime, pour estre loué de tous defauts.

Il ne faudroir qu'estre Femme pour estre condamnée innocente; pour estre méprisée avec du merite, decriée avec de l'honnesté.

Que Monsieur Mazarin gaste, ruine, dissipe tout; il en est le Maitre; c'est le mari; que Madame Mazarin soit laissée dans la necessité, qu'on l'abandonne à la misere, à la Tirannie des Creanciers; quel droit a t'elle de se plaindre de Monsieur Mazarin? Dit son Avocat, c'est sa Femme.

Aussi tost une coutume des grecs, une loi des Romains, quelque nouvelle de Ju­stinian [Page 24]viennent appuier la Déclamation.

Madame Mazarin mange avec des hommes sans la Permission de Monsieur Mazarin, elle pert sa dot, elle pert ses Con­ventions Matrimoniales. Elle pert tout ce qu'elle peut jamais pretendre.

Moderés vous Monsieur Herard, mo­derés vous. Autrement je formerai vostre caractere, de ce qu'a dit Saluste dans l'éloge de Catilina.

Eloquentiae satis; Sapientiae parum.
Assés d'Eloquence; peu de Sens.

Venons a la Revolution extraordinaire dont l'Image ne se presente point à l'Esprit sans l'étonner: C'est la, dit Monsieur He­rard, que Madame Mazarin devoit sortir d'Angleterre, & la dessus il exagere, la honte d'y demeurer, apres que la Reine a qui elle avoit l'honneur d'apartenir, en étoit sortie.

Je ne doute point que Madame de Bou­illon, & Madame Mazarin n'eussent accom­pagné la Reine avec plaisir; mais le secret de quitter son Royaume étoit si important, qu'il ne fut communiqué a Personne; ainsi [Page 25]les Dames furent laissées par necessité dans un trouble que la seule presence du nou­veau Prince put apaiser.

Depuis ce tems-là, il n'a pas esté possi­ble a Madame Mazarin de quiter un pais ou ses creanciers la tiennent comme assiegée; ou proprement Monsieur Mazarin la re­tient, l'ayant obligée à contracter des debtes inévitables, qu'il ne veut pas payer.

Il demande avec cet empire de mari, si cher à son Avocat, qu'elle retourne à Paris, & il en necessite l'éloignement, il entretient la separation dont il se plaint. Il semble vouloir sa Personne, & ne veut en effet que le bien pour en acheuer la Dissipation.

Le Parlement d'Angleterre a voulu chas­ser Madame Mazarin, Je l'avouë, mais elle n'a pas eû besoin d'implorer la Protection du Roy qui gouverne; Sa Justice a preve­nu la Grace qu'elle eut esté obligée de de­mander.

Mais dites moi, Monsieur l'Avocat qui vous a poussé a déclamer injurieusement contre ce Roy. Vous le nommés le De­structeur de nostre Foy bien mal à propos. [Page 26]Sans son Humanité, sa Douceur, sa Pro­tection, il n'y auroit pas un Catholique en Angleterre. Vous avés crû faire vostre Cour au Roy de France, & vous vous estes trom­pé. Un Prince qui a le vray goust de la gloire, un Prince si éclairé connoist le grand merite par tout ou il est. Ses lumiéres, & ses Affections ne sont pas toujours concer­tées; estre genereux dans l'infortune de son Allié, ne l'empéche pas d'estre équi­table aux vertus de son Ennemi.

Je reviens à Madame Mazarin, il ne me reste à la justifier que de trois Accusations, qui ne me feront pas beaucoup de peine.

La premiere, c'est qu'il y a chés elle une Banque; la seconde qu'elle y voit des Epi­scopaux, & des Presbiteriens; la troisiéme qu'elle converse avec des Milors.

Ecoutés, Messieurs, écoutés tonner vo­stre Orateur. Jamais le Demosthene des Grecs ne lanca ses foudres avec tant de force contre Phillipes, que le Herard des François lance les siens contre Madame Mazarin.

Madame Mazarin a une Banque chés elle; quel déréglement! une Bassete en sa Maison; qu'elle honte!

Elle y voit des Episcopaux & des Presbi­teriens; quelle impieté à une Catholique! a la Femme de Monsieur Mazarin, apliqué fans relache au bien des Congregations & des confrairies Elle parle a des Milors; qu'elle Depravation de moeurs!

O tempora, O mores.

Revenés, Monsieur l'Orateur, de la cha­leur de vostre Eloquence au sang froid. Les grands Genies sont sujets à l'emporte­ment; permettés vous un peu d'Attention; donnes vous le loisir de considerer un peu les choses.

Pensés vous que trois grandes Reines de­votes, & vertueuses, s'il y en eut jamais; que la Reine Catherine, la Reine Marie qui est en France, que la Reine regnante en Angleterre, que la Princesse sa soeur qui a tant de regularité; pensés vous qu'elles eussent eù des bassetes publiques a la Cour, si la bassete n'estoit pas un Divertissement honneste, un jeu innocent.

L'Accusation de voir des Episcopaux & des Presbiteriens est ridicule. Reprocher a Madame Mazarin de voir a Londres des Protestants; c'est la mesme chose que re­procher a un Protestant qui seroit a Rome, d'y voir des Catholiques.

Mais s'il y a du Crime a voir des Prote­stans en Angleterre, n'y en a t-il pas d'a­vantage à les épouler? Cependant une Fille de France, & un Infante de Portugal, n'en ont pas fait de difficulté. Leurs Cham­bellans, leurs Dames d'honneur estoient Protestans. La Reine Marie avoit ses prin­cipaux Officiers de cette Religion là; com­ment est ce que Madame Mazarin eût pû al­ler à la Cour sans les voir. Les yeux de la Reine s'en accommodoient, pourquoy ceux de Madame Mazarin en auroient ils esté Offensés.

Mais si jamais zele pour la Religion Ca­tholique s'est signalé, a esté celui du Roy Jaques, & de la Reine Marie; Et ces Prin­ces véritablement zelés n'ont pas laissé de se faire couronner a Westminster, de prier avec les Evesques, & de recevoir la Cou­ronne des mains de l'Archevesque de Can­torberi.

La Societé a des Loix indispensables, des Loix également Ennemies de l'impieté, & des difficultés scrupuleuses.

Enfin nous voila arrivés aux Milords aussi peu connus de Monsieur Herard que les Bachas & les Mandarins. Je lui appren­drai que les Milords sont les Pairs du Roy­aume d'Angleterre, les sujets les plus consi­derables de la Nation.

Madame Mazarin avouëra qu'elle en connoit beaucoup qu'on estime autant par leur merite, qu'on les considere par leur Rang & leur Dignité; elle avouera qu'elle en a receu de grands Services en des tems facheux, & de grandes Assistances dans ses besoins, apres cette Confession, il me sem­ble que j'entens Monsieur Herard s'ecriér

Qu'elle Depravation de moeurs!
O tempora, O mores!

Qu'il ne trouve pas mauvais que je m'é­crie avec plus de raison.

O Ineptiam inauditam
O Impertinence inovie, sotise achevée.

Eh quoi: Messieurs, il sera permis à Monsieur Mazarin de deshonorer dans tous les Villages le nom qu'il porte. Il lui sera permis de regler l'honneteté nécessaire à conduire les moutons: D'ordonner le juste paiëment du aux pastres pour les Expediti­ons de leurs Taureaux.

De prescrire la bien-seance que doit gar­der un Garçon d'Apoticaire quand il donne un lavement. Il lui sera permis de défen­dre aux Femmes de tirer les vaches, & de filer au rouet.

Et Monsieur l'Orateur ne pourra souffrir que Madame Mazarin foûtienne la Dignité de son nom dans toutes les cours, & chés toutes les Nations ou elle se trouve.

Vous estes eloquent Monsieur Herard, vous parlés bien: Mais les choses déraison­nables dites eloquemment ne font aucune impression fur un bon esprit: Que Ma­dame Mazarin doive retourner avec son mari pour entrer dans la congregation des Bergers, des Pastres, des Garçons d'Apoti­caire, & des fileuses au rouët; qu'elle re­tourne avec Monsieur Mazarin: Pour trouver de nouveaux reglemens fur son [Page 31]sujet aussi ridicules que ceux qu'il a fait im­primer; c'est ce que toutes vos belles pa­roles ne persuaderont pas à des gens sensés. Si vous Haranguiés devant un peuple igno­rant, vous pourriés l'ébloüir, ou l'émou­voir; mais pour vostre malheur vous avés à faire à des Juges éclairés, à des hommes sages, precautionnés contre toutes les faus­ses lumiéeres, & contre toutes les vaines exagerations.

Je voudrois Messieurs que Monsieur & Madame Mazarin parussent devant vous a une audiance. Vous liriés leur separation sur leurs Visages. Tous les traits de Mon­sieur Mazarin seroient autant de preuves qui confirmeroient ce que j'ay dit.

Un regard de Madame Mazarin con­fondroit toutes les impostures de Monsieur Herard.

Le ciel les a defia separés par la contra­rieté des humeurs; par l'oposition des esprits, par les bonnes, & les mauvaises inclinations; par la noblesse des sentimens de l'une, & par l'indignité de ceux de l'autre.

La nature les a separés comme le ciel par une beauté qui charme les yeux, par un visage moins delicieux a la veue.

Un astre funeste avoit fait des noeuds infortunés, la raison de Madame Mazarin la degagée.

Ainsi, Messieurs, vous avés la cause du ciel, de la nature, de la raison soumise à vos jugemens.

Que vostre sagesse donne la derniere forme à ce grand ouvrage; qu'elle assure cette separation pour jamais, & qu'o­stant à Monsieur Mazarin l'Administration de ses biens, elle sauve aux enfans le peu qui reste de l'amas prodigieux quil a dis­sipé.

FIN.

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