MOTIFS DE LA CONVERSION DU Sr. F. P. DE DURETTE, Cy-devant Prêtre & Religieux Bénedictin de la Congregation de S. MAUR en France.
Exposez dans un SERMON, Prononcé En l'Eglise Françoise de la Savoye, le 17. de Décembre 1699. & en celle des Grecs le 31. du même Mois.
SUR CES PAROLES, Une chose say-je bien, c'est que j'étois aveugle, & maintenant je vois. Jean 9. 25.
A LONDRES, Pour D. DU CHEMIN, Marchand Libraire, au Sacrifice d'Abraham, vis-à-vis Somerset-House, proche la Savoye, dans le Strand. 1700.
A MY-LORD EVÊQUE DE LONDRES.
C'EST sur tout à VOTRE GRANDEUR que je dois rendre compte de ma Foy, & des Motifs qui m'ont porté à la Réformer. J'ay tâché de les [Page] renfermer, ces Motifs, dans le petit Discours que j'ay l'honneur de vous présenter; & que j'ose publier sous les auspices de Vôtre Grand Nom. Agréez, s'il vous plaît, My-Lord, ces Prémices de ma Conversion. Par là j'auray lieu d'en consacrer plus utilement les autres fruits à nos Eglises, dont vous étes le Principal Pasteur, & où il a plû à Dieu de m'appeller & de m'incorporer. Je suis avec un profond respect,
MOTIFS DE LA CONVERSION Du Sr. P** D* D***. Cy-devant Prêtre & Religieux Benedictin, de la Congregation de S. MAUR en France. Exposez dans un SERMON, ur ces Paroles, Une chose say-je bien, c'est que j'étois aveugle, & maintenant je vois, Saint Jean 9.15.
QU'attendez vous de moy, Mes Freres, & quel doit être l'essay de mon nouveau Ministere? Armé du Glaive à deux tranchans de la parole de Dieu, je ne viens pas icy le faire [Page 2] luire vainement à vos yeux, & vous éblouïr de son éclat. Je ne viens pas comme un Maître en Israël, couper dogmatiquement les noeuds de nos controverses, & vous en déveloper tous les replis & les divers retours. Aujourd'huy nouveau Disciple de la verité, je me propose moins d'instruire que de paroître instruit; & tout plein d'un grand sentiment pour le bien fait reçû, d'une vive reconnoissance pour mon Bien-faiteur, je ne viens que vous dire & vous répéter dans un saint transport: Une chose say-je bien, c'est que j'étois aveugle & maintenant je vois.
Je reduiray à certains principes les points capitaux qui nous divisent; mais ce seront des principes simples. Je raprocheray du flambeau des divines Ecritures, le culte impur & les dogmes ténébreux de la Religion de Rome. Par tout j'éviteray la vaine affectation d'une erudition recherchée. Je parleray moins à vos esprits qu'à vos coeurs. Et par tout en, appelant dans l'amertume de [Page 3] mon ame, les tristes années de mon ignorance & de mon incredulité, je loüeray les compassions du céleste Reparateur, qui m'a daigné éclairer.
Pour justifier, Mes Freres, un changement qui est l'ouvrage de la droite du Souverain; il faut en considerer & les termes & les motifs. Je quitte la Communion de Rome, & j'embrasse la Communion Protestante. Ce sont les termes de ce changement. Voicy les motifs qui y répondent. Je renonce, dis-je, à la Communion de Rome, parce qu'en consultant la Régle immuable des Ecritures, elle m'a paru souverainnement corrompüe. C'est le premier motif de mon changement. J'embrasse la Religion Protestante & Réformée, parce qu'en consultant la même Régle, elle m'a paru souverainement pure & évangélique. C'est le second motif de mon changement.
Tu l'as fait, Grand Dieu, tu l'as fait, & sois en éternellement-beni. Cent fois la chair rebelle à combattu [Page 4] les mouvemens de ton esprit, & cent fois ton esprit en a triomphé. Non content de me crier au coeur, sors de Babylone; tu m'en as comme violemment arraché. Tu as fait succeder la verité au mensonge, l'évidence aux préjugez, la Religion à la superstition, la persuasion à la coûtume, la lumiere enfin aux ténébres, & à l'aveuglement. Puisse, Seigneur, cette conversion réjouïr icy bas la Societé de tes Fideles, comme elle a réjouï dans le Ciel l'assemblée de tes Anges & de tes Saints! Et puisse ce discours tourner tout entier à ta gloire, à l'édification de ton Eglise, à mon salut. Amen.
I. Toute la Religion, Mes Freres, consiste dans les Dogmes & dans le Culte; & j'auray embrassé le vaste sujet que je m'engage à traiter; si je puis démontrer d'un côté, que Rome a gâté la pureté & l'orthodoxie de sa foy par le mélange impur d'un grand nombre de Dogmes erronez; de l'autre, que son culte est un culte profane, charnel, legal, Judaïque, [Page 5] idolâtre. Deux veritez que je tâcheray de mettre dans un si grand jour, que vous soyïez plenement persuadez, que cét homme qui s'apelle JESUS s'est servi de la boüe de la foy Romaine pour m'éclairer, & qu'ayant eu le malheur d'être né aveugle, maintenant je vois. Vains préjugez de la naissance & de l'éducation, séduisantes impressions des sens & de la coûtume, inutile amas de Traditions humaines, loin d'icy. La lumiere luït au milieu de vos ténébres, mais vos ténébres ne l'ont point comprise. Et toy Parole de mon Dieu, sers desormais de lampe à mon pied, & sois l'unique flambeau qui éclaire mon sentier.
Je pose d'abord un principe si simple, qu'il est la premiere notion du Chrêtien; si évident, qu'il force par sa clarté les esprits les plus rebelles & les plus prévenus; si sécond, qu'il s'étend généralement à toutes les consequences de la Religion. Et ce prinest, que LES ECRITS CANONIQUES sont la Regle unique de la soy, [Page 6] la mesure de tous les dogmes révélez. C'est ce livre divin, M. F. qui se rend ce témoignage à soy même, & nous savons que son témoignage est vray. Les Saintes Lettres, * écrit Saint Paul à Timothée, te peuvent rendre sage à salut par la foy qui est en JESUS CHRIT. Toute l'Ecriture, ajoûte-t-il, est divinement inspirée, & profitable à endoctriner, à convaincre, à corriger, à instruire selon justice. Celuy qui me rejette, dit Jesus Christ,† & ne reçoit point mes paroles, il a qui le juge; & la parole que j'ay portée, ce scra celle qui le jugera au dernier jour. Vous errez, dit il ailleurs,‖ ne sachant point les Ecritures. Et ailleurs; Ce sont elles qui rendent témoignage de moy. Telle fut la Regle des Anciens Conciles:§ Il faut, disoient-ils, enseigner par les Ecritures. Que dans les Controverses de foy, l'Ecriture [Page 7] soit arbitre & juge. Tel fut encore le sentiment unanime des Anciens Peres;† Et qui ne sait ce beau mot de Saint Basile: C'est un orgueil insuportable, & un renversement visible de la foy, que d'ôter ou d'ajoûter à ce qui est écrit, Jesus Christ disant, Mes Brebis oyent ma voix.
C'est là, Mes Freres, le principe unique de nôtre foy, qui suffit seul pour renverser toutes les erreurs du Papisme. J'entends ces chimeres & ces visions creuses, nées du cerveau des Scholastiques, ces Dogmes fols & impies, q [...]e l'ignorance a enfantez; que la fausse subtilité a élevez [Page 8] & fortifiez; que la cupidité & l'esprit de dominination conservent encore, & retiennent infléxiblement, malgré leur impieté, leur extravagance, leur caducité. Car enfin, M. F. est-ce à Dieu, est-ce aux hommes que nous avons crû? Nôtre Religion estelle humaine, est elle divine? Faut il consacrer les Traditions, pour trouver une authorité claire & infaillible dans un témoignage obscur, infidele, captieux? N'est-ce pas là présumer, sinon contre, au moins outre ce qui est écrit? N'est-ce pas là renverser l'Evangile? Faire en un mot ce que l'on ne peut faire selon Saint Paul,* & poser un autre fondement que celuy qui est posé? Donc l'Ecriture est la Regle unique de la foy. Donc toutes les veritez de foy sont contenües dans l'Ecriture. Donc [...]ul dogme, qui n'est point contenu dans l'Ecriture, n'est un dogme de foy. Or, (voicy ma proposition) les dogmes qui nous divisent d'avec [Page 9] Rome, ne sont point contenus dans l'Ecriture. Je dis plus; les dogmes qui nous divisent d'avec Rome sont contraires à l'Ecriture. Elle a donc gâté la pureté de sa foy. Voilà, M. F. la base, le soutien, le grand moyen de nôtre Réformation. N'attendez pas une discussion finie de chaque dogme en particulier. N'attendez pas de nouvelles découvertes. Je ne vois que ce que les plus simples des Chrêtiens Réformez ont vû. Heureux si par le choix & l'ordre de mes preuves, je puis vous convaincre que c'est par ces yeux que je vois.
J'applique d'abord cette Régle des divines Ecritures au dogme de la présence réelle. Dogme fameux qu'on a agité cès le commencement avec tant de contention, & qui de nos jours a lassé les plus savantes plumes des deux Communions. Et je demande, qu'a de commun avec les Ecritures cette presence corporelle de Jesus Christ sous le Sacrement? Je ne dis pas que ce dogme renverse le témoignage des sens, qui sert à la [Page 10] foy de canal & de moyen. Je ne dis pas qu'il renverse les idées les plus claires & les plus distinctes, que nous puisons dans la source de cette lumiere publique, qui éclaire tout homme qui vient au monde. Je n'exagére pas les contradictions infinies d'une opinion qui est un monstre en genre d'opinions. Mais je demande qu'à-t'elle de commun avec les Ecritures? Et j'ajoute, n'est-t-elle pas visiblement contraire aux Ecritures? Jesus C. nous dit,* que devant toûjours avoir des pauvres avec nous, nous ne l'aurons pas toûjours. Il nous dit,† qu'il s'en va à son pere; & que quand il s'en sera allé, il nous enverra un autre Consolateur, Nous lisons dans les Actes,‖ l'accomplissement de cette promesse; qu'il est monté aux Cieux, qu'il y est assis à la droite de Dieu. Nous y lisons,§ qu'ayant été reçû dans le Ciel, il faut que le Ciel le contienne jusqu'au tems du rétablissement [Page 11] de toutes choses. Jesus Christ encore ayant prévû l'horrible apostasie d'une portion si considerable de son Eglise, nous a expressément muni contre cette erreur capitale des derniers tems;† Alors si quelqn'un vous dit, le Christ est icy, où il est là, ne le croyez point: Il est dans le desert, il est dans les cabinets, ne le croyez point. Quoy de plus formel? A qui croirons nous dans cette opposition si étrange de témoignages? A Jesus Christ qui nous dit qu'il ne sera pas toûjours avec nous; ou à l'Eglise Romaine qui nous dit qu'il sera toûjours avec nous? A Saint Pierre qui nous dit, que J. C. étant monté au Ciel, il faut que le Ciel le contienne jusqu'au tems du rétablissement de toutes choses; ou à l'usurpateur de son Siege, qui nous dit, que J. C. descend tous les jours du Ciel sur les Autels, où il reside jusqu'au tems du rétablissement de toutes choses? Au Chef [Page 12] & au Consŏmateur de la foy qui nous défend de croire que le Christ soit là, qu'il soit icy, qu'il soit dans le desert, qu'il soit dans les cabinets; ou aux Docteurs d'erreur, & aux corrupteurs de la foy, qui nous crient: Le Christ est icy, il est là, il est dans le desert, il est dans les cabinets? Les sens, la raison, & sur tout l'Ecriture & la Révélation ne renversent-elles donc pas ce dogme insensé, extravagant, impie?
Mais Jesus Christ à dit (disent les Transubstantiateurs) Jesus Christ a dit, Cecy est mon corps. Il l'a dit: Mais 1. a t'il exprimé la maniere donc cecy est son corps? Pourquoy donc leur plaît-il d'ériger la Transsubstantiation en dogme, la Transsubstantiation, dis-je, qui n'a nul fondement dans l'Ecriture? 2. Qu'on pése bien le sens de ces paroles divines: Cecy est mon corps; qu'on les envisage sous toutes leurs faces; qu'on les considere dans toutes leurs circonstances; qu'on fasse attention que Jesur Christ abolit la Pâque Ancienne [Page 13] & Typique, qu'il institue la Pâque nouvelle & veritable; qu'on raisonne ensuite pàr analogie du type charnel qui passe, à la verité spirituelle qui demeure: & il est impossible qu'on ne se sente porté à les entendre ces paroles au sens de figure. De ce texte de l'Exode, l'Agneau est le passage de l'Eternel, conclura-t-on que l'Agneau fut réellement un passage? Pourquoy donc, toutes choses étant semblables, de ce texte de l'Evangile, cecy est mon corps, conclud-t-on, cecy est réellement mon corps? Que sera ce si l'on ajoûte tant d'autres textes formels contre une opinion si absurde. Jesus Christ avant l'institution;* Les paroles que je vous dis sont esprit & vie. Dans l'institution;† Faites cecy en memoire de moy. Après l'institution,‖ Je ne boiray plus de ce fruit de vigne. Qu'on ajoûte aux paroles de J. C. [Page 14] celles de Saint Paul; qu'on compare les textes avec les textes; qu'on explique ce qui paroît obscur par ce qui est clair: qu'on s'en tienne en un mot aux Regles que les Peres ont données pour expliquer les Ecritures; Regles que l'on suit ailleurs, & que l'on abandonne icy, par le plus bisäre caprice & pour établir la plus bisare croyance: & il ne faudra qu'une mediocre attention pour forcer l'esprit le plus rebelle à déterminer le sens de ces paroles, Cecy est mon corps, à un sens figuré, cecy est le Signe, le Memorial, & le Sacrement de mon corps.
Mais c'est un crime chez nos adversaires qu'une attention sérieuse aux motifs de sa foy. C'est un crime qu'une obeïssance raisonnable. Combien de fois mon esprit s'est-il revolté contre ce dogme ridicule & charnel; & combien de fois ay-je appaisé ses justes révoltes? Combien de fois ay-je combatu la pieté, par le motif de la pieté même? Combien [Page] de fois dans l'action du prétendu sacrifice, ay-je frémy? D'abord par la crainte de me rendre coupable en doutant d'une impieté commencée; & puis par la crainte (bien mieux fondée) de me rendre coupable en croyant, d'une impieté achevée. Mais enfin, j'ay ôsé douter par la misericorde de mon Dieu; & ce doute hûreux a été pour moy un commencement de salut. Dans cette incertitude, comme dans un lieu obscur, J'ay entendu à la lampe des Ecritures. Le jour a commencé à luire pour moy. L'Etoile du matin s'est levée dans mon coeur; & maintenant je vois.
De ce dogme impie, comme d'un seul tronc naissent plusieurs monstres, qu'il est également aisé de combattre & de défaire par l'Ecriture. Tels sont l'Artolatrie ou l'adoration du pain, la Concomitance, le Sacrifice de la Messe, la Fête, les Octaves, la Procession du Sacrement. Où est le précepte, où est l'exemple qui authorise ces impietez? Où est-il écrit que [Page 16] J. C. ait élevé le pain après l'avoir beni? Où est-il écrit que les Apôtres l'ayent adoré? Qu'on cherche ces institutions dans les Siecles les plus purs, & dans les suivans même. Et puis qu'il est impossible de les y trouver ces Cérémonies; qu'on nous dise de quelle authorité on nous impose le joug de les croire & de les pratiquer.
Mais rien ne m'a paru plus téméraire & plus criant, que le retranchement de la Sainte Coupe, sous le frivole prétexte de la Concomitance, ridicule vision des Scholastiques. Quel sacrilege! Quel attentat, que d'ajoûter ou de retrancher à son gré, aux Cérémonies les plus sacrées, & les plus essentielles de la Religion! Il est difficile, Mes F. d'en parler sans indignation. L'on envie aux membres de Christ, La Coupe de bénédiction laquelle nous benissons, & qui est la participation du sang de Christ. Mais cela est contraire à la pratique de l'Ancienne Eglise, qui a jouï de cette consolation durant douze cens ans. Cela est contraire [Page 17] au Précepte Divin:* Puis a yant pris la coupe, il la leur bailla, disant; Bûvez en tous. Cela est contraire à la nature du Sacrement. Si c'est un banquet, le brevage est nécessaire pour son integrité. Si c'est un Mémorial de la mort du Sauveur, la communion à la coupe est necessaire pour réprésenter l'effussion de son sang sur la Croix, autrement l'analogie du signe avec la chose signifiée périt. Il n'importe; tant de raisons entassées, ne concluront rien pour la participation de la coupe. Si Jesus Christ la commande, Rome la défend. Précepte, Loy, Coûtume, Sacrement, Elle anéantira tout par sa Tradition.
Oùï, Mes Freres, j'ose le dire que Rome a non seulement corrompu, mais anéanti la Céne du Seigneur; & cela est demontré même dans' ses principes.† Ses meilleurs Théologiens conviennent que le Culte extérieur dans le Sacrement, n'a d'efficace qu'en vertu de la promesse; [Page 18] qu'il ne sert que d'occasion qui détermine l'esprit de la grace; que cette promesse & cette grace ne sont attachées qu'au légitime usage des Signes: qu'il y a en un mot, un pacte tacite de J. C. avec l'Eglise; de Jesus Christ qui s'engage à conferer la grace, de l'Eglise qui s'engage à faire la Cérémonie prescrite. Or, comme il est certain d'un côté par la plus commune Régle du Droit, qu'une partie manquant aux conditions du pacte, l'autre partie n'est plus obligée; & comme il est évident de l'autre, par les paroles formelles de l'institution, que la participation de la coupe est une condition essentielle de ce pacte Evangelique: il demeure demontré, que Rome par le défaut de cette condition, a anéanti la Cene du Seigneur; par consequent démontré, qu'il n'y a dans ce qu'elle pratique, ni Promesse, ni Grace, ni Vertu, ni Sacrement.
Admirable utilité de la Tradition Romaine! Des deux Sacremens du [Page 19] Christianisme, Elle en a corrompu un par l'addition de quelques cérémonies inutiles & étrangeres, aneanti l'autre par le retranchement d'une cérémonie necessaire & essentielle.
Que dirons nous, Mes Freres, du Sacrifice de la Messe, de cette idole de la jalousie Romaine? Où le trouvera-t'on dans l'un ou dans l'autre Testament? Sera-ce dans la Sacrificature d'Aaron? Mais on sait* qu'avec la Loy la Sacrificature à changé. Sera-ce dans celle de Melchisedec? Mais quel autre que le fils de Dieu peut être† Sacrificateur selon eet Ordre? [...]a mort n'empêche-t [...]elle pas nos nouveaux Sacrificateurs de durer? Sont-ils comme le vray Melchisedec, Rois de Justice & de Paix? Sont-ils comme luy,§ sans Pere, sans Mere, sans Généalogie, sans succession, sans commencemene de jours, sans fin de vie? Si Jesus Christ demeure Sacrificateur a toûjours, selon Saint Paul, Pourquoy luy donne-t-on des successeurs, [Page 20] & de tels successeurs?† S'il ne s'offre pas souventefois luy même, pourquoy croit-t-on qu'il s'offre souventefois luy même? S'il n'est comparu qu'une seule fois pour l'abolition du péché par le Sacrifice de soy même; Pourquoy croit-t-on qu'il comparoît tous les jours mille & mille fois pour l'expiation du péché par le Sacrificc de soy même? Fût-il jamais de plus folles contradictions? C'est donc démentir les Ecritures, & l'Autheur des Ecritures. C'est détruire le merite surabondant de la Croix de Jesus Christ. C'est avec sa Sacrificature anéantir son Sacrifice, que d'en introduire un nouveau, que de luy substituer la Messe. Admirable Sacrifice, où la Victime est égorgée par un souffle & par des paroles!† Action sainte & bien ordonnée, où ce qui est le plus grand est beni par ce qui est le moindre, le Createur, par la Creature, Jesus Christ par un pécheur! Religieuse [Page 21] & vénérable action, qui consiste toute entiere en gestes & en mines, en tours & en retours, qu'un peuple superstitieux contemple; & où il adore à genoux, non ce qu'il sait, mais ce qu'il ignore! N'est ce pas là au contraire une séduction horrible, une fraude punissable, un trafic sacrilege & sordide? Reconnoît-on la Céne du Seigneur ainsi défigurée? Qu'on en life l'institution dans l'Evangile; qu'on la lise dans S. Paul; qu'on en voye la pratique dans les plus purs Siecles: Et qu'on nous permette de faire ce que Jesus Christ a institué ce que les Apôtres ont enseigné; ce que les Premiers Fideles ont pratiqué: qu'on cesse ensuite, qu'on cesse de nous faire cette alternative également injuste & cruelle, Messe ou Mort; mais plûtôt, plûtôt la mort mille fois, qu'une si détestable abomination.
Le tems ne me permet pas, Mes Freres, de comprendre dans un seul discours, toutes nos controverses. Je ne m'y suis pas engagé. Je ne fais [Page 22] qu'effleurer les principales. Mais en faut-il davantage pour justifier mon changement? Soyez vous mêmes mes juges, Fideles qui m'entendez, & jugez un jugement juste. Ay-je dû mentir par état à Dieu, aux Anges, aux hommes, à moy même? Ay je dû contre ma conscience, servir à des Misteres abominables? Ayje dû poter toute ma vie la marque de la Bête; communiquer aux péchez de Babylone, & ensuite à ses playes? Persuadé de l'infaillibilité de Rome, je pouvois errer avec Elle de bonne foy: mais persuadé qu'Elle erre (ne fût-ce qu'en un article) son témoignage m'est suspect en tous. J'entre dans le droit, dans l'obligation même de douter & d'examiner. J'ay douté, Mes Freres. J'ay examiné. J'ay éprouvé toutes choses, pour retenir ce qui étoit bon. Et dans cette recherche, dans cet examen, convaincu cent fois que Rome nous évangelisoit outre & contre ce qui nous a été évangelisé, cent fois j'ay dû luy dire anathême. Anathême [Page 23] à Rome, qui accable les consciences sous le joug insuportable de la Confession. Qui éleve des hommes sur le Tribunal de Jesus Christ, leur communique le pouvoir incommunicable de remettre & d'effacer les péchez; & qui, pour établir son injuste domination, donne par là occasion à des scandales effroyables qui soüillent & qui deshonorent l'Eglise de Dieu.
Anathême à Rome, qui enseigne qu'on peut invoquer les Saints, qui les invoque sans foy; & qui par cette invocation hazarde, au moins un acte de Religion; partage son culte, viole le precepte de prier par l'Unique Mediateur; & divinise en quelque sorte de pures cré [...]ures, en supposant follement qu'dies soient dans un actuel commerce avec tous les esprits & tous les [...]oeurs.
Anathêm [...] à [...] [...]ui [...] se fait des Images ta [...]ees qui se prosterne devant elles; [...]: & qui par cette [...] la jalousie de l'Etern [...]l [...] scand [...]lise l'Eglise, [Page 24] & met un obstacle invincible à la conversion des Juifs & des Infideles.
Anathême à Rome, qui établit le merite des oeuvres & la necessité des satisfactions humaines; inspirant d'un côté un orguëil damnable à des serviteurs inutiles qui n'ont fait que ce qu'ils étoient obligez de faire; & faisant injure de l'autre à la trèspleine satisfaction de Jesus Christ, comme s'il n'étoit pas puissant pour sauver parfaitement ceux qui s'approchent de Dieu par luy.
Anathême à Rome, qui relégue dans un feu chimerique,† les morts qui meurent au Seigneur; & qui condanne ceux* qui sont en Jesus Christ, pour qui il n'y a maintenant nulle condannation.
Anathême à Rome, qui enseigne les doctrines des Diables, & des mensonges par hypocrisie; defendant de se marier, & d'user des viandes que Dieu a créées pour les Fideles, [Page 25] & pour ceux qui ont connu la verité.
Anathême à Rome, qui contredit J. C. en reconnoissant un homme pour son Roy; qui fait de l'Eglise un monstre, en luy donnant deux Chefs, une Epouse adultere, en luy donnant deux époux; & qui par là expose sa foy à un danger visible & perpetuel.
Icy, Mes Freres, je ne fais qu'user d'un droit qui m'est commun avec tous les fideles. Saint Paul en ce cas se soumet luy même, & les Anges, à nos Anathêmes; & pourquoy craindrions nous de dire Anathême à Rome? Mais où nous conduiroit ce detail d'Anathêmes? C'en est trop; Et il ne faut que des yeux pour se convaincre de l'extrême corruption de la foy Romaine. Que dis-je, Mes Freres? Les yeux ne suffisent pas, quand ils sont fermez par les préjugez, quand on est aveugle né. C'étoit là, je l'ay dit, ma triste condition: Mais dépuis que cét homme qu'ou appelle JESUS me les a cuverts [Page 26] ces yeux; depuis que le voile qui me déroboit la lumiere des Ecritures, m'a éte ôté, j'ay vû; & tout à coup effrayé par tant de monstres de la foy Romaine, j'en ay détesté, & j'en déteste encore l'énorme depravavation. J'ajoute deux mots de son culte.
Voicy un second principe subordonné au premier, & qui doit servir de Regle pour discerner le vray culte, c'est à dire, le corps de la Religion & de la foi: C'est, Qu'UNE SOCIETE' Chrétienne est d'autant plus parfaite à cét égard, qu'elle est plus semblable à la Societé primitive, fondée originairement par les Apôtres. La raisen admet tout d'un coup ce principe sans autre examen. Où chercher la pureté d'une institution, que dans ses commencemens & ses sources? Où chercher la perfection d'une copie, que dans ses raports de ressemblance avec son original? Mais il est encore appuyé sur le fondement de la Revelation; & on ne peut le desavoüer ce principe, sans ouvrir la [Page 27] porte au Phanatisme; sans renouveller actuellement l'ancien blaspheme des Montanistes, qui enseignoient que le Saint Esprit n'avoit pas instruit pleinement les Apôtres, & qu'il s'étoit réservé certaines veritez qu'il avoit ensuite révélez par leur Paraclet; sans démentir enfin ce témoignage si exprès, si formel, si inculqué dans l'Evangile: L'Esprit Consolateur que je vous enverray vous enseignera toutes choses. Il vous enseignera toute verité. Il vous rappellera, & vous suggerera tout ce que je vous auray dit.
Je viens, Mes Freres, à l'application du principe; & je proteste devant Dieu (de qui j'appelle avec respect le saint nom) je proteste que j'ay été épouvanté en voyant l'énorme difference du culte Primitif & Apostolique, & du culte de Rome. J'ay tâché de me former par l'Ecriture, la vraye idée de la Religion. J'en ay consideré avec soin, l'esprit, l'objet, la fin, les motifs. J'ay lû avec application les endroits des Actes, [Page 28] où le Saint Esprit nous fait le portrait de la Religion des Premiers Fidéles. J'ay lû les Ecrits des Anciens Peres, & sur tout des premiers Apologistes. J'ay cherché enfin dans la Religion des Apôtres, la Religion de Rome Moderne; mais en vain. J'ay cherché dans la Religion de Rome Moderne, celle des Apôtres; mais encore plus inutillement: & ne trouvant à tous égards qu'une effroyable opposition, forcé par l'évidence mêmême, j'ay reconnu avec surprise, la verité simple & nüe de ce qui m'avoit paru jusqu'à lors exageré, savoir que le Papisme, est un Paganisme résuscité; que Rome est la Babylône & l'Egypte spirituel; & le Pape, l'Antechrist, le destructeur de l'Evangile, l'ennemy de Dieu, le seducteur de tout le Peuple Chrêtien.
Je n'exagére rien, Mes Freres, je ne fais que reduire les choses à leurs idées naturelles. La Religion de Jesus Christ est une Religion toute spirituelle. Son objet, c'est Dieu: or [Page 29] Dieu est Esprit. Sa fin, c'est d'adorer Dieu: or c'est en esprit qu'il veut être adoré. Son exercice est encore tout spirituel, puis qu'il consiste à dégager l'esprit, & à l'élever sans cesse par des efforts continuels. Or est-ce bien là l'esprit de la Religion Romaine? Elle a Dieu pour objet: mais à qui l'a-t-elle rendu semblable cét Esprit infini & incorruptible, en changeant sa gloire en la ressemblance d'un homme mortel, & en d'autres ridicules simboles qu'elle étalle dans ses Temples. A t-elle pour fin de dégager l'esprit, & de résister aux impressions qu'il reçoit sans cesse par le canal des sens? Si c'est là sa fin, M. F. qu'elle est aveugle dans le choix des moyens! Est-ce un bon moyen pour recueïllir l'esprit des Pêuples, que d'exposer à leurs yeux ce grand nombre d'objets sensibles, ces ornemens, ces peintures, ces vases d'or & d'argent, ces vétemens superbes des Ministres, ces illuminations, ces cérémonies? Enfin quelle adoratiom que celle du Papisme, qui consistepresque [Page 30] toute entiere à assister à un vain spectacle, avec une dévotion méchanique & de pure impression; à adorer un pain déifié, vil ouvrage de la parole d'un homme; à invoquer des hommes, comme si Jesus Christ n'étoit plus; à s'entretenir à genoux avec des idoles de pierre & de bois; à répéter un certain nombre de petites prieres, dans une langue inconnüe; à prier sans esprit, à chanter sans intelligence. Est-ce là encore un coup, la Religion de Jesus Christ? Est-ce Jerusalem? Est-ce Babilone? Est-ce Paganisme, ou Judaisme? Ou plûtôt n'est-ce pas un tout mŏstrueux, qui résulte de l'assemblage de ces divers cultes, un tissu de ceremonies Chrêtiennes, Juives, Payennes; un mélange, enfin, de precieux & de vil, abominable aux yeux de Dieu, & qu'il faut absolument separer pour être comme sa bouche.
Voilà, Mes Freres, une source de legitime préjugez contre les injustes & calomnieux préjugez qu'on nous oppose. Voilà cet extérieur [Page 31] si choquant pour ceux qui savent la Religion, & qui sans autre discussion, suffiroit pour persuader, que le Papisme est un Christianisme rrèscorrompu. Que seroit-ce donc si à ce préjugé général, l'on ajoûtoit tant de préjugez particuliers? L'orgueïl & l'esprit de domination de ses Ministres, si opposé à l'esprit de Jesus Christ; ce grand nombre d'Ordonnances humaines dont le Saint Esprit veut que nous secouïons le joug; ces observations de jours & de mois, de tems & d'années, qui faisoient craindre à Saint Paul qu'il n'eût prêché l'Evangile en vain; ces jûnes reglez, ces distinctions de viandes, ce célibat impur & forcé des Ministres, que le même Apôtre appelle des doctrines des diables que debitent des esprits séducteurs & révoltez de la foy.
Ah! Mes Freres, à toutes ces marques je reconnois l'erreur & la séduction de Rome. Je reconnois son Antichristianisme; & ce que j'admire, c'est de l'avoir si tard connu. [Page 32] C'est un miracle de la droite de Dieu, de ce que je vois: mais c'est un miracle diabolique, de ce que j'ay été si long-temps aveugle. O aveuglement! O préjugez! Viendra un Siecle, Mes Freres (& ce Siecle est peut-être à la porte) qu'on admirera qu'un seul homme ait imposé si long-temps à tout le monde Chrêtien; que tant d'hommes habiles, sur un tel témoignage, ayent crû des erreurs si palpables, ayent vécu ensuite, & soient morts dans une societé damnable, décriée par la bouche de Dieu même. Je te rends graces, ô Pere & Seigneur du Ciel & de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages & aux entendus, & les a révélez aux petits enfans. Je te rends graces encore, de ce que tu m'as mis au nombre de ces petits enfans à qui le Royaume des Cieux appartient. Il est ainsi, Pere, parce que tel a été ton bon plaisir. En abjurant les erreurs des Rome, j'ay ambrassé la Religion Reformée, parce qu'elle m'a paru souverainement pure.
[Page 33]II. JE NE fais que rappeller les principes que j'ay tâché d'établir. De ce que l'Ecriture est la Régle unique de la foy, il suit évidemment. 1. Qu'on doit rejetter tout dogme qui n'est pas conforme à l'Ecriture. 2. Qu'on ne doit rejetter aucun dogme qui soit conforme à l'Ecriture. Car la foy (vous le savez) se corrompt en deux manieres. Elle se corrompt par addition; lors que d'articles révélez, & d'articles non révélez, on ne fait qu'un seul & même corps de foy. Elle se corrompt par retranchement; lors qu'en rejettant quelque article revelé, on n'a plus qu'une foy imparfaite & mutilée. Or la Religion Reformée ne rejette aucun dogme qui soit conforme à l'Ecriture: elle n'admet aucun dogme qui ne soit conforme à l'Ecriture; Donc la Religion Reformée est souverainement pure quant à la foy.
Je say, Mes Freres, jusqu'où me conduiroit la preuve exacte d'une proposition, qui seule a suffi à mille [Page 34] volumes de Controverses: mais voicy une voye abregée de la prouver sans la restraindre. Il s'agit icy précisément des dogmes qui nous divisent d'avec Rome. Or il est déja en quelque sorte démontré, que ce sont des dogmes ajoûtez, peu conformes, & même contraires à l'Ecriture, qu'il a fallu par consequent retrancher pour réformer la foy Romaine. Il resteroit à prouver que la Religion Reformée n'admet aucun dogme qui ne soit conforme à l'Ecriture. Et ce qu'il y a d'admirable, c'est que nos adversaires euxmêmes, nous l'accordent, au moins quant aux points essentiels & fondementaux.
C'est icy, Mes Freres, que les yeux m'ont été ouverts, & qu'après avoir reconnu l'injustice des accusations de Schisme & d'Hérésie, dont on charge nôtre Communion; j'ay de plus reconnu l'injustice de l'horrible persecution qu'on nous suscite à ce sujet. Où est (ay-je dit cent fois) où est l'hérésie des Chrêtiens [Page 35] Réformez? Sont-ils hérétiques par les choses qu'ils refusent de croire? Sont-ils hérétiques par celles qu'ils croyent? Seroit-ce par les choses qu'ils refusent de croire? Mais ils ont à cét égard le silence de l'Ecriture;† Ils ont (ce qui est une abondance de droit) le silence de la plus pure Tradition; ils ont même des dépositions formelles de l'Ecriture & de la Tradition contre ces prétendus articles, qu'on a vû naître en differens Siecles, se répandre ensuite, & s'accrediter par l'ignorances des peuples, & la negligence des Pasteurs. Où est donc encore un coup leur hérésie? Seroit-ce par les choses qu'ils croyent? Mais ils croyent (& on n'en disconvient pas) ce que Jesus Christ a enseigné; ce que les Apôtres ont prêché, ce que les premiers [Page 36] Fideles ont crû. Ils reçoivent tous les Symboles, où la foy de l'Eglise est contenüe, tous les Simboles où elle est expliquée. De l'aveu même de leurs adversaires, ils n'en détournent aucun article en un sens hérétique. Ils ne sont donc pas hérétiques. La Catholicité† consiste à croire ce qui a été crû en tous lieux, ce qui a été crû toûjours, ce qui a été crû par tous; à ne pas croire ce qui n'a été crû, ni par tout, ni toûjours, ni par tous. Or tels sont les caracteres de la Foy de l'Eglise Reformée. Donc l'Eglise Reformée est doublement Catholique. Donc elle est souverainement pure quant à la foy.
Avec l'accusation d'hérésie (pour en dire deux mots) tombe encore celle du Schisme. Qui l'a fait ce Schisme qu'on nous impute? Tout le crime de nos Réformateurs est d'avoir remis sur le chandelier, la Lampe des Ecritures, qu'on avoit presque étouffée [Page 37] sous le boisseau des Traditions. Rome allarmée, commença par foudroïer ces Zélateurs du pur Evangile. Au bruit de ces foudres, le monde Chrêtien se réveilla: & à la lüeur de cette Lampe il se vît avec surprise, méchant Philosophe dans sa foy, demy Juif dans son Culte, parfait Payen dans ses moeurs. On propose le remede d'un Concile libre, où l'Eglise soit Reformée. Les Papes dont l'authorité est en compromis, s'y reduisent enfin après mille fuites. Mais par une politique diabolique, toûjours arbitres des grandes affaires & des grands interests, au lieu d'un Concile libre, ils assemblent un brigandage, où les suffrages sont violentez, l'erreur canonisée, la verité flétrie, ses sectateurs retranchez & frapez d'Anathême. Qui donc a rompu l'unité, sinon Rome, sinon les Papes? Ils ont commencé le Schisme par leurs Bulles fulminantes, & le Concile l'a consommé par ses Anathêmes. Nos Peres [Page 38] † n'ont pas fuï, dit un savant Roy d'Angleterre, mais on les a poursuivis; & si nous sommes aujourd'huy séparez, c'est qu'on nous a chassez. Or parce que Rome est coupable de Schisme & d'hérésie, qu'elle en est convaincüe, qu'elle en est au moins accusée, est il bien juste qu'on condanne les Chrêtiens Reformez, qu'on les poursuive, qu'on les punisse, comme s'ils étoient eux mêmes les Hérétiques & les Schismatiques.
Icy, Mes Freres, j'avoüe que je me sens émû d'une juste indignation. Je me represente le triste état de nos Eglises. J'entends les gémissemens d'un million de familles desolées à qui l'on impose la cruelle necessité de professer une Religion qu'ils detestent. Je vois une infinité de personnes expofées à cette occasion, à la haîne du Prince, aux insultes des Peuples, aux Decrets des Magistrats, aux prisons, aux exils, à l'infamie, aux Supplices, à la Mort. J'en vois une [Page 39] infinité de tout Sexe, de tous âges, & de tous états, effrayez, & fuyant devant l'épée du Persecuteur, courant çà & là, passant les Mers, parcourant les Etats, & les Royaumes, cherchant par tout des asiles & du pain. Je say que tout leur crime est leur Religion. Quelle est donc, me dis-je à moy même, cette Religion si impie & si abominable, qu'un Roy Très-Chrêtien, poursuit à feu & à sang avec une violence si durable & si méthodique? J'entre avec ce préjugé dans la discussion exacte d'une Doctrine qui devroi [...] être si noire & si diabolique. Et je tro [...]vë [...] avec un étonnement que je ne puis exprimer, qu'elle est précisément la même, que celle des Apôtres; la même qui a suffi à sauver tous les Confesseurs, à couronner tous les Martyrs; qu'on n'y croît que ce qu'ils ont crû, qu'on n'y refuse de croire, que ce qu'il est certain qu'ils n'ont point crû. Arrêtez, Impies, m'écriay-je. Quel aveuglement! Quelle fureur! Hé! si [Page 40] vous étes Chrêtiens, pourquoy vous acharnez vous à faire la guerre à des Chrêtiens, à Jesus Christ, à son Evangile? Ah Rome! Rome infidele & sanguinaire, c'est toy qui as seduit le Prince qui sert d'instrument à ta fureur. En luy donnant le Titre de Tres-Chrêtien, tu luy as enlevé son Christianisme. Et toy, Patrie, Marâtre de tes plus fideles enfans, reconnois enfin ton erreur, & rapelle dans ton sein tant de malhûreux, dont la dispersion fait ta honte, & te rend l'opprobre de l'Univers.
Voicy mon second principe, c'est qu'une Societé Chrêtienne est d'autant plus parfaite quant au culte, qu'elle est plus semblable à la Societé Primitive, fondée par les Apôtres. Je l'ay prouvé. J'en concluds, que la Religion Réformée est souverainement pure quant au culte. Et cela doublement, 1. Par les pratiques qu'elle a rejettées; 2. Par les pratiques qu'elle a conservées. Ce raisonnement est simple & uni, Mes Freres. Nous [Page] avons rejetté l'Invocation des Anges & des Saints, le culte religieux des Images & des Reliques, le service en langue inconnüe, les Jeûnes anniversaires, la distinction des viandes, les Indulgences des Papes, les voeux des Moines, les Fêtes des Sts. les Luminaires, le Crême, l'eau Benîte, & tout cet attirail d'autres ceremonies. Il s'agit de savoir, si on les trouve dans l'usage, & dans la pratique de l'Eglise Primitive. Nous avons les Ecrits des Apôtres; nous avons les Ecrits des premiers Docteurs. C'est dans ces sources qu'il les faut chercher. Qu'on les y cherche; qu'on les trouve: qu'on nous le montre. Mais comment les montreroit-on, puis que ceux de nos adversaires qui ont le plus d'habileté & de sincerité, confessent à cet égard, le silence de l'Ecriture, & de la Premiere Antiquité; puis qu'ils fixent avec nous par des Histoires reçûes & communes l'Epoque de leur Origine; puis que nous en reconnoissons ensemble les [Page 42] Peres & les Instituteurs? Il a donc fallu par cela seul, & pour se rapprocher de l'Eglise Apostolique, les retrancher ces cérémonies, sans dire qu'elles sont la plûpart positivement contraires à ces pures sources; sans dire qu'elles chargent toutes la Religion; qu'elle en ruïnent la simplicité & l'esprit; qu'elles servent de voile à l'hypocrisie; qu'elles sont enfin la plûpart imitées des Payens, qui en entrant dans l'Eglise, y ont introduit avec eux leur superstition.
La Religion Réformée n'est pas moins pure par les pratiques qu'elle a conservées. Depuis que j'ay l'honneur d'être au milieu de vous, j'ay lû souvent, Mes Freres, & toûjours avec une nouvelle consol [...]tion, les endroits des Actes, où le Saint Esprit à peint luy même l'Eglise Chrêtienne. Tous les jours ils persévéroient tous d'un accord dans le Temple. Ils pérséveroiene tous en la doctrine des Apôtres, & en la Communion; en la fraction du pain, & aux Prieres. Voilà à quoy se [Page 43] réduit tout le Culte Primitif, à prier, à perseverer dans la priere, à perseverer dans le Temple, dans la doctrine des Apôtres, à garder la Communion, à rompre le Pain. Dans le Siecle suivant, on ne voit presque point de changement. ‘Le Dimanche (dit Saint Justin Martyr sur la fin de sa seconde Apologie) le Dimanche ceux qui demeurent dans les Villes ou à la Campagne, s'assemblent en un même lieu. On y lit les Commentaires des Apôtres, & les Ecrits des Prophetes. La lecture finie, celuy qui Préside à l'assemblée, fait une exhortation. Ensuite tous se levent, & presentent à Dieu leurs Prieres d'un commun accord. On offre le pain & le vin avec l'eau. On les distribüe. Et le Président rendant graces Dieu, tout le Peuple répond, Amen.’ Ne diroit-t-on pas, Mes Frere, que cette Liturgie est imitée de celle de nos Eglises? Ou plûtôt n'estce pas là l'Original d'après quoy la [Page 44] nôtre a été copiée? Qu'elle est done pure [...] cette Eglise dans son Culte, puis qu'elle est si semblable à l'Eglise du second Siecle, & qu'elle ne differe en rien de celle du premier!
A tous ces carracteres, j'ay reconnu, Mes Freres, cette pure Societé que je cherchois avec tant d'ardeur; cette maison édifiée sur le fondement des Apôtres, & dont Jesus Christ est la maîtresse pierre du coin. J'ay reconnu cette Arche Mystique, qui renferme seule toutes les esperances du monde nouveau: & je n'ay pas hésité à m'y jetter dans cette Arche, pour me sauver avec un petit nombre de Justes, de ce Déluge d'erreurs & d'heresies qui inondent le monde. Mais nous savons (disent constamment nos Adversaires) nous savons que cette Societé est méchante; qu'elle est ennemie de Dieu, & des Rois; contraires aux bonnes oeuvres & à toute pieté. Ce sont les crimes qu'on a imputez autrefois à l'Eglise Primitive; & elle s'en est justifiée. Nôtre [Page 45] Eglise, qui a encore ce trait de ressemblance avec l'Ancienne, d'être aussi horriblement calomniée, s'en est justifiée de même, & à couvert cent fois† ses Calomniateurs de confusion. Je réponds encore avec l'aveugle à qui je me compare: Si Elle est méchante, je ne say; (ou plûtôt je ne l'examine plus) mais une chose say-je bien, c'est que j'étois aveugle, & maintenant je vois. J'étois autrefois ténébres, & maintenant je suis lumiere au Seigneur. Je vois d'un côté; l'extrême corruption de la Societé que je quitte; & de l'autre, la souveraine pureté de la Communion que j'embrasse, & dans laquelle je desire de vivre & de mourir.
CE SONT LA, Mes Freres, à peu près, tous les motifs de ma Conversion. J'ajoûterois pour vous édifier que c'en sont les seuls motifs, s'il suffisoit de le dire pour vous le persuader; & si je pouvois en le disant, [Page 46] vous montrer le fond de mon coeur. Mais il est profond ce coeur, & qui le connoîtra? Nul ne sait les choses de l'homme, finon l'esprit de l'homme qui est en luy. Que puis-je donc faire dans cette conjoncture, sinon de l'exposer ce coeur aux yeux de Dieu, & de vous protester en sa presence, que ces intentions ont été droites? Dieu qui est le Pere de nôtre Seigneur Jesus Christ beni éternellement, sait que je ne ments point. Ce n'est ni la chair, ni le sang qui m'ont révélé la verité; mais c'est son esprit Saint. C'est cet Esprit qui me l'a fait aimer; C'est cét Esprit qui me l'a fait suivre malgré les oppositions de la chair & du sang. Ouï, Mes Freres, je l'ay prevû le triste état où j'allois entrer; je l'ay prevû en quittant l'abondance où j'étois (je ne le dis pas pour m'en faire un merite;) & après l'avoir prevû, j'ay estimé que l'opprobre de Christ étoit de plus grandes richesses que tous les tresors de l'Egypte. Elles [Page 47] me suffisent ces précieuses richesses; & je consens en les possédant, de vivre avec vous dans la pauvreté, de souffrir la faim & la soif avec vous, d'être nud & souflleté avec vous, de me fatiguer, même s'il est necessaire, en travaillant de mes mains avec vous pour gagner du pain. Elles me suffisent encore un coup ces précieuses richesses. Je ne demande plus qu'une grace à l'Eternel, & je la requerray; c'est que j'habite en la Maison de l'Eternel tous les jours de ma vie. Puisses tu Seigneur, me l'accorder cette grace que je requere. Puissestu l'accorder à tous ces Fidéles qui m'écoutent. Et puisses-tu nous réünir tous dans l'Assemblée Triomphante de tes Saints, comme tu nous réünis dans la Societé souffrante de tes Elûs. Et à ce Grand Dieu, Pere, Fils & Saint Esprit, soit honneur, gloire, magnificence, empire, maintenant & à toûjours, Amen.