SERMON Prononcé la veille Des Funerailles De la REYNE.

Par JEAN DUBOURDIEU, Ministre de l'Eglise Francoise de la Savoye.

A LONDRES, Se vend chez la Veufue Maret Marchand Libraire dans Salisbury Exchange, dans le Strand. 1695.

A Monseigneur Le Duc de LEEDS, Marquis de Carmarthen, &c. Chevalier de la Jartiere, President du Conseil Privé, &c.

Monseigneur,

POur faire un portrait de la Reine qui approchat de l'ex­cellence de l'Original, il faudroit que vous en donnassies le dessein.

Vous aves connu tout ce qu'Elle valoit, vous l'admiriés tous les jours, & vous la regrettés à tous momens.

C'est vous Monseigneur, qu'il faudroit consulter, pour ap­prendre les qualites divines & les grandes actions de cette incomparable Princesse.

Vous la réprésenterís dans le conseil donnant audience & faisant justice à tout le monde, avec ce caractere de grandeur & ces manieres engageantes, qui enchantoint tous ceux qui l'approchoient.

Vous la feries voir dans le cabinet reservée sans finesse, ferme sans opiniatretê, docile avec discernement, toujours sage dans ses opinions & toujours le coeur tourné au bien de ses Sujets & à la gloire du Roy.

Vous réserveries les traits les mieux marqués & les plus éclatants pour les deux plus grands évenemens de sa vie, son mariage & son élevation au Throne, ou vous aves eu tant de part, & ou sa prudence & son amour pour la Religion, ont si fort éclatté.

Mais je ne prens pas garde Monseigneur, qu'apres que vous en auries donné le dessein, il ne se trouveroit personne qui fut asses hardi, pour entreprendre de l'executer; Vos seuls croyons vaudroient plus que tous les portraits du monde re­haussés des couleurs les plus brillantes; Et apres tout, vous travailles Monseigneur d'une maniere plus noble & plus durable. à la gloire de la Reyne. Vous erigés des monumens éternels â son honneur, en assurant par votre zéle & par vostre ca­pacité, les statues & les trophées du plus grand Roy du monde, qui avoit trouvé en cette Princesse, une Epouse digne de luy.

Cependant, agrées Monseigneur, que je mette vetre nom à la tete de ce petit ouvrage, non pas tant comme un simple ornement que comme une marque de votre protection.

Dieu Veuille vous conserver encore long temps pour le bien de l'Etat & la gloire de votre maison. Je suis avec un pro­fond respect

Monseigneur,
Vostre tres humble
& tres Obeissant Serviteur
Jean Dubourdien.

SERMON Sur ces paroles des Actes des Apotres.

Chap. 9.36, 37.

36. Or il y avoit aussi à joppe, une certaine Di­sciple nommee Tabita qui signifie Dorcas, la­quelle estoit pleine de bonnes oeuvres & d'au­mones qu'elle faisoit.

37. Et il avint en ces jours la, qu'elle fut malade & mourut.

NOUS voicy à la Veille des funerailles de nôtre bien heureuse Reine; Et cette triste Cérémonie qui rapelle dans nos Esprits, l'idee de sa mort, y doit aussi retrâcer l'Image de ses Vertus. Les Prédicateurs Chrétiens sont souvent en peine de trouver quelque chose de loüable dans les morts, qu'ils veulent loüer, & de faire ensuite venir des endroits de l'Ecriture sainte à quelque belle qualité qui ne doit toute son Existence, qu'à leur imagination, ou au dessein qu'ils ont de flatter la vanité des Vivans.

Mais le grand nombre des vertus de nôtre bien heu­reuse Reyne, & des textes de l'Ecriture qui leur con­viennent, fait que tout l'embarras est à choisir, & à se former des Idées, qui ayent de la proportion avec la dignité & l'Excellence du Sujet.

Si nous voulions parler de l'ordre & de la sagesse qui régnoit dans sa maison, Salomon nous fourniroit le portrait de cette femme sage, dont la bonne conduite se répandoit dans tout son domestique.

Si nous considerions la Complaisance qu'elle avoit pour le Roy son Epoux, ses egards tendres & delicats, ce merite solide & accompagnè de mille agréements qui lui avoient gagné l'amitié & l'estime de ce grand Prince, nous en trouverions l'exemple dans Sara qui obeissoit à Abraham l'appellant son Seigneur, 1 St. Pi­erre, ch. 7. v. 6. & laquelle pour luy plaire ne songeoit, qu'à parer l'homme invisible cachè dans le coeur, par la pureté d'un Esprit doux & paisible.

S'il falloit réprésenter les soins & les pensées qui l'a­gitoient, lors qu'estant encore au delà de la mer, elle apprenoit que sa chere Angeleterre étoit sur le point de perdre sa Religion & ses libertés, nous remarquerions les nobles & saintes Inquiétudes de cette grande Reyne dans les inquiétudes religieuses de la Reyne Esther qui disoit dans une conjuncture semblable; Est. c. 8. v. 6. comment pourray je voir le mal que rencontrera mon péuple, & comment pourray je voir la destruction de mon parentage?

Si apres l'avoir admirée dans ses vertus tranquilles, nous voulions la regarder par des endroits plus éclatans, nous la verrions de même que Debora toûjours sage & Intrepide pendant son gouvernement, & sur tout pen­dant cette campagne, ou l'Europe suspenduë entre l'E­poux & l'Epouse, ne savoit à qui applaudir, ou à celuy qui avoit delivré l'Angleterre où à celle qui la conser­voit; où à celuy qui remplissoit la Flandres de ses Ex­ploits, où á celle qui par son courage & par sa prudence, faisoit évanöir les vains projets d'une descente, dont nos Ennemis attendoient un succez assuré, par l'éloigné­ment de nos Armées & par les intelligences de nos traitres.

En un mot, Dieu qui partage ordinairement ses libe­ralités en differens sujets, ayant rassemblé toutes les vertus dans nôtre Bien heureuse Reyne, nous aurions pû choisir en nos Ecritures, la Sainte que nous aurions voulu, pour luy donner ses moeurs, ses sentiments & son caractére, puisque son caractére estoit universel par l'étendue de sa piété, & son exactitude dans tous ses devoirs.

Mais sa sensibilité pour les miseres du Prochain, sa compassion pour les malheureux, sa charité pour les pauvres, faisant une des plus belles parties de ses emi­nentes qualitès, nous avons creu qu'il seroit plus à pro­pos de vous la faire voir remplie de bonnes oeuvres & d'aumones comme Tabita, & appliquée comme elle á adoucir leurs ennuis & à vestir leur nudité.

Il est naturel de benir & d'estimer dans les Grands de la terre, les vertus qui ont remedié aux maux qui nous pressoient. Ceux qui en ont reçeu le pardon de leurs crimes, loüent leur clèmence, ceux qui en out esté deffendus contre des oppresseurs, louënt leur justice, ceux qui ont esté délivrés par leur moyen de quelque grand danger, louent leur puissance. Pour nous qu'elle a comblès de bien faits, que pouvons nous faire de plus raisonnable, que de célébrer publiquement les aumo­nes & la benéficence de Marie Stuart de glorieuse & d'Eternelle Mémoire.

Ce Temple, cette Assemblée, la plus part de ceux qui m'écoutent, tant de malheureux dont elle a esté l'asyle, tant de familles desolées dont elle a esté la consolation, les Veuves qui fondent en larmes, les orphelins qui pleurent leur mére, les maisons de charité & les hopi­taux qui retentissent de sanglots, nôtre ètat de Ré­fugiés & de persecutez pour justice tout nous invite à cele­brer ses entrailles de misericordes & l'abondance de toutes ses pieuses largesses.

J'avouë que quand St. Paul donne la préference à la charité sur les autres vertus, c'est sur tout par des motifs qui regardent le Ciel & la vie à venir; Et pour nous, il semble que ce soient des raisons prises de la terre & dé notre interest qui font qu'entre les vertus de la Reyne, nous choisissons sa charité pour le sujet de ce discours, & l'entretien de notre douleur.

Mais ces raisons ne sont elles pas legitimes? dans le triste estat ou nous avons esté reduits, ne sommes nous pas excusables de penser à nous & de reflechir sur nos miseres? Chassés depuis dix ans d'une maniere barbare, de nos maisons & de nos biens; Fuyant ces lieux infortunez dans un depouillement universel: Détestés en nostre patrie acause de nostre Reli­gion & odieux à toute la terre acause de nostre patrie; commençant à peser par tout à nos Fréres par la longueur de nostre exil, & la continüation de nos miseres: Tristes & déplorables restes de ces Eglises au­trefois si florissantes & si belles, nous venons encore de perdre ce qui seul faisoit toute nostre joye & toute nostre consolation. La mort vient de nous ravir cette Grande Reyne qui compatissoit à nos maux, qui des­cendeit de son Thrône pour les adoucir, dont les mains Royales dignes de porter le Sceptre de l'Univers, daig­noient essuyer nos larmes & dont la grande ame n'éstoit appliquée qu'à relever les temples materiels du Seig­neur & à soutenir ses temples vivans.

Helas! dans cette perte generalle, dans ce deuil universel, nous n'avons que trop de sujet de deplorer nos malheurs particuliers. Il n'est point aujourd'huy de vray Protestant, qui dans l'amertume de sa douleur, ne doive souhaiter avec Jeremie que sa tete se change toute en eau, & que ses yeux deviennent deux vives fontaines de larmes, pour pleurer nuit & jour la mort [Page 5]de cette Grande Reyne. Rama doit retentir de cris, de pleurs & de complaintes lamentables, & les Chrestiens exilés pour leur Religion sont bien excusables de refuser d'estre consolés de ce que la Reyne n'est plus; Mat. 2.18 si les veuves & les pauvres de la ville de Joppe, dans la desolation où les avoit jettés la mort de Tabita, fondoient en larmes & montroient à St. Pierre, les vétemens qu'elle leur faisoit quand elle estoit en vie, nous avons bien plus de raison de pleurer notre illustre Bienfaitrice, & de témoigner la grandeur de nostre perte par la gran­deur de notre affliction.

Voicy trois choses que l'Evangeliste St. Luc dit de Tabita, & que nous appliquerons à nostre Bienheu­reuse Reyne.

  • 1. Tabita estoit sincerement attachée à la Religion de Jesus Christ.
  • 2. Elle estoit remplie de bonnes oeuvres & des au­mones qu'elle faisoit.
  • 3. Elle tomba malade & mourut.

1. Premierement Tabita estoit sincerement attachée à la Religion de Jesus Christ, Il y avoit aussi á joppes dit St. Luc, une certaine Disciple nommée Tabita ou Dorcas selon que les Grees interpretent ce nom. Vous souhaiteriés sans doute que l'Evangeliste nous eut appris de plus grandes particularitez de la vie de cette Sainte femme. En effet, il semble qu'il soit trop concis dans ce qu'il dit de Tabita & des autres Saints qui ont esté la gloire des Siecles Apostoliques. Les Grees & les Romains nous ont donné des rélations amples des personnes illustres qui avoient esté l'orne­ment de leur Siecle & de leur Patrie. Et puisque St. Luc vouloit laisser à l'Eglise, les Actes des pre­miers [Page 6]Disciples, il semble qu'il devoit faire pour de véritables Saints, & pour la gloire de l'Evangile, ce que des Ecrivains prophanes ont fait pour de faux sages, & pour la gloire de la vertu Payenne.

Mais les vies des plus grands Saints ayant eu leur taches, les Evangelistes n'y ont touché qu'en passant; Et au contraire ils se sont étendus dans quatre Evan­giles differens, sur la vie de Jesus Christ le grand & le riche exemple de tous les Chrétiens. Les Payens pour se former un beau modele, alloient chercher la justice dans la vie d'un Aristide, la Sagesse dans celle d'un Caton, la temperance dans celle d'un Fabrice, vertus qui n'étoient proprement que des vertus super­ficielles, & qu'il ne falloit gueres approfondir; au lieu que dans la seule vie de Jesus Christ, on trouve toutes les vertus portées à leur plus haute perfection, & pratiquées dans leur plus grande pureté.

Cependant, comme il importoit que l'on seut, quel­que chose de ces premiers Disciples, dont la Sainteté fit tant d'honneur á l'Eglise naissante, & remplit l'U­nivers du bruit de sa gloire, St. Luc a fait l'Eloge de la plus part, dans son receuil des Actes des Apôtres. Il est vray que ces Eloges sont fort abrégés, & que ce ne sont pour ainsi parler, que des portraits en petit: mais les couleurs de ces portraits sont si vives, & ces Eloges renferment tant de choses dans leur briévété, qu'il a fait comme les Geographes qui avec des points nous marquent des villes & des Provinces. Pour nous donner quelque connoissance de Tabita, il n'a employé que deux ou trois traits, mais d'une si grande force, & si heureusement touchés, qu'ils suffisent pour nous en donner une tres belle jdee.

Il apprend d'abord à ses Lecteurs comment elle s'ap­pelloit, afinque le nom d'une femme d'une piété si [Page 7]distinguée, ne fut pas enseveli dansl'oubli. Il dit que les Juifs l'appelloient Tabita, & que les Grecs expli­quoient ce nom par celuy de Dorcas. Ensuite comme tout le monde est bien aise de savoir la Patrie des personnes dont on revére les vertus & le merite, St. Luc remarque que Tabita demeuroit à Joppe qui estoit une ville de la Palestine, située au bord de la Mer, & renommée acause de la commodité de son Port. Apres, il marque la Religion qu'elle professoit, en disant qu'elle estoit Disciple. Les Chrétiens avoi­ent tiré ce nom des écoles des Juifs & se l'étoient ap­proprié, comme tres convenable à l'Esprit de leur Religion, qui ne tend qu'à former les hommes à l'hu­milité. Il y a une si grande distance de ce que les hommes savent à ce qu'ils ne savent pas, que si les Chrétiens estoient Sages, ils fe regarderoient toûjours comme des Disciples & n'entreprendroient jamais de decider en maitres sur les choses de la Religion. La modestie de ce terme ne doit pas faire souffrir leur amour propre, puisque les Chrysostomes & les Au­gustins, les St. Pierres & les St. Pauls n'ont ésté eux memes que des Disciples dans l'école de Jesus Christ.

Dans les écoles du monde, on ne reste pas toûjours Disciple: Apres y avoir passé par divers dégrés, on y reçoit enfin des marques d'honneur qui sont des aiguil­lons & les justes recompenses de la vertu; au lieu qu'il en est de la qualité de Disciple de J. C. comme de l'Enfance Spirituelle. Quand l'Enfance a passé, l'A­dolescence arrive; l'age viril fait finir l'Adolescence. Et l'age viril à son tour se perd insensiblement dans la viellesse. Mais comme il faut toûjours estre petit en­fant, dans le royaume des Cieux, il ne faut pas aussi y prétendre à d'autre qualité, qu'a celle de Disciple.

Mais en voyant Tabita dans cette Sainte Ecole, nous ne saurions nous empécher de remarquer, qu'il falloit que les Apotres enseignassent la Religion d'une autre maniere, que l'on ne l'enseigne aujourd'huy, dans la plus part des écoles Chrétiennes: comme si les femmes n'avoient pas autant d'interest à la comprendre que les hommes, l'a on aujourd'huy tellement embrouillée, qu'elles n'y sauroient rien entendre. Cest une Religi­on barbare dans les termes, incomprehensible dans le sens, toute herissée d'épines & de difficultés: On n'y parle que de précisions, d'abstractions & de mo­dalités; on y explique tout ce que Dieu peut faire, & tout ce qu'il ne peut pas faire, d'un air aussi posi­tif, que s'il avoit déja révélé tous les secrets de sa gloire. Dieu veüille enfin bannir de son Eglise cette vaine & temeraire Theologie, qui affermit nos libertins dans leur Impieté, qui rebute les Infideles, & qui des­honore l'Evangile de Jesus Christ. Un des plus glo­rieux caractéres de sa Religion, c'est de s'ajuster au niveau de tous les Esprits, & d'estre proportionée à la capacité detout le monde: Et s'il y a des Chretiens qui disent comme la Samaritaine le puits est profond & nous n'avons pas dequoy puiser la Religion est une science difficile, Rom. 10.7. & nous manquons de ressources pour nous en instruire, St. Paul leur repond ne dites point qui montera au Ciel ou qui descendra dans les abymes; la parole de la foy, la Religion est pres de vous, elle est dans vostre coeur. C'est à dire, il ne s'ágit pas icy d'enig­mes qu'il faille déchiffrer; ne vous figurés pas des im­possibilités où il n'y en a point: Si deux choses sont ne­cessaires pour la foy, l'objet & la faculté, l'objet qui est la Religion, est prés de vous & vous est proposée avec clarté; & pour ce qui est de la faculté, vous l'avés dans vos propres coeurs, qui par leurs instincts & [Page 9]les sentimens de leurs besoins, vous conduiront à la Religion si vous en suivés les lumieres & les impres­sions.

Il est certain que ce n'est pas cette Religion Schola­tique pleine de tenebres, qui a converti l'Univers & inspiré aux premiers Disciples de Jesus Christ, le cou­rage de souffrir toutes choses pour son nom. La Re­ligion qui a fait les conversions & les Martyrs, estoit simple, claire, familiere, instructive, solide & égale­ment capable de reveiller l'esprit des Savans & de pi­quer le gout des Onesimes & des Tabitas, des gens sans lettres & des Esclaves sortis de la chaine. Celse & les autres Avocats du Paganisme attaquoient l'Evan­gile dans son fort, en reprochant aux premiers Chrê­tiens, que les femmes faisoient le plus grand nombre de leur convertis; Arnobe leur repondoit qu'il y avoit dans leurs assemblées, des Grammairiens, des Orateurs, des Medecins, des Jurisconsultes, des Philosophes, & que pour les femmes ils faisoient gloire de gagner à leur maitre, ces ames simples & innocentes, En effer quelle gloire pour la Religion de Jesus Christ, que son Onction & sa Majesté se fiffent sentir aux femmes & aux gens sans lettres, & que la conviction qu'ils avoient de sa verité, les fit renoncer à la Religion de leurs perés & les disposât à souffrir toutes sortes de maux pour l'amour de Jesus Christ.

C'est par ces caracteres qu'il faut juger de l'attache­ment que Tabita avoit pour la Discipline de ce grand Sauveur. Elle avoit quitté pour elle la Religion de ses Ayeuls, & la nouvelle qu'elle avoit embrassée, l'ex­posoit aux mepris & à la haine du monde. Il y a ap­parence qu'elle avoit été élevée dans la Religion Ju­daique. Ce n'étoit donc pas le hazard de la naissance qui l'avoit fait entrer dans l'école de Jesus Christ: [Page 10]Elle y avoit été conduite par son choix & par ses re­flections. Sagesse tres rare mêmes parmiles hommes, dont la pluspart ne sont Juifs, ou Chrétiens, Papistes où Protestants, que comme ils sont blonds où noirs, Anglois ou Espagnols, c'est à dire, par la rencontre d'une naissance fortuite. S'ils sont dans le bon chemin, c'est leur bonne fortune, si on peut parler ainsi, qui les y a mis, comme si la Religion estoit un jeu de ha­zard.

Mais Tabita avoit comparé Religion à Religion, principes à principes, les anciennes propheties avec les Accomplissemens de l'Evangile. Elle avoit joint l'at­tention de son esprit aux priéres ferventes de son coeur; & ce ne fut qu'apres de longues meditations, & un examen serieux, qu'elle devint une disciple de Jesus Christ. Elle savoit que les obligations de la Religion sont communes aux hommes & aux femmes; Elle dé­ploroit le malheur de tant de personnes de son sexe, qui passoient toute leur vie en des inutilites, ou en des ouvrages de la main, & qui portoient la coûtume de ne rien savoir jusques aux affaires de la conscience. Veillant sur son domestique & appliquée à tous les dé­taills de sa maison, elle donnoit toûjours à Dieu, & aux interets de son salut, ses heures les plus precieufes.

Les consequences de l'autre vie sont ordinairement si négligées par les hommes & les femmes, que si l'on demandoit à la pluspart, pourquoy ils font cecy ou cela, & pourquoy ils sont d'une Religion plutost que d'une autre, ils seroient aussi en peine de vous en rendre raison, que si vous leur demandiés pourquoy ils pré­ferent une couleur à l'autre ou une fleur à une autre fleur? De là vient, que la moindre persecution leur fait quitter la Religion de Jesus Christ. Cette inap­plication de leur Esprit, ne sauroit étre suivie que de [Page 11]leur révolte. Ne connoitre pas une Religion & étre en état de souffrir pour elle, est une contradiction dont on n'avoit jamais veu d'exemples, que dans nos prophanes Réfugies. Mais Tabita étant disdiple de Jesus Christ par choix & par discernement, les persecu­tions qui sélverént contre l'Eglise, ne furent pas ca­pables d'ebranler sa constance & sa pieté. Jesus Christ n'eut pas plutost quitté la terre, que ses ennemis ne pouvant pas l'aller attaquer dans le Ciel, le persecuté­rent violemment dans ses Membres. Mais quoyque le nouveau marié leur fut eté, & que les temps de jeune & de deüil, que Jesus Christ leur avoit prédits, fus­sent arrivés, tous les maux qui leur furent suscités, ne servirent qu'à faire voir, que Tabita & tous les vrais disciples étoient sincerement attachés à la Religion de Jesus Christ.

Il résulte de ce que nous avons remarqué dans Ta­bita, qu'un Chrêtien convaincû & persuadé est une chose plus rare que l'on ne pense. Mais si la foy est rare parmi le commun des Chrêtiens, elle l'est encore infiniment d'avantage, parmi les Grands du siêcle: Et on peut dire que c'est un miracle que de la trouver sur le Trône. Cet examen, ces méditations, ces com­paraisons de Religions dont nous venons de parler, ne sauroient trouver leur temps & leur place parmi cette foule d'affaires & de plaisirs, qui environnent ordinai­rement la Royauté. Cependant, comme il y a dans tous les états, des ames privilegiées, c'est le miracle que Dieu nous a fait voir en nostre bien heureuse Reyne. Elle fût toûjours sincerement attachée à la Religion, parce que dans sa plus grande jeunesse, Elle s'appli­qua á la connoitre: Elle se convainquit de bonne heure, que la chose la plus necessaire qu'elle a voit à faire au monde, étoit de se sauver. Elle se mit souls la conduite [Page 12]de Dieu, Elle suivit sa lumiere: Et bienque les mal­heurs du temps eussent introduit dans le palais de nos Rois, des Docteurs de mensonge qui crioient à droite & à gauche, nous sommes l'Eglise, voicy le chemin du Ciel, Elle n'écouta jamais que Dieu parlant dans son coeur par son esprit, ou luy révélant ses verités dans sa parole. Le Seigneur dit david, découvre ses secrets á ceux qui le craignent, & il leur fait connoitre son Alliance. Dieu accomplit la verité de cet Oracle d'une maniere sensible en faveur de la Reyne. Avec l'innocence de son ame, la droiture & la simplicité de ses intentions, Elle repoussa tous les artifices des en­nemis de sa foy, quoyqu'ils fuffent appuyés par des Exemples domestiques.

Qu'il faut que la piéte soit solide pour ne se laisser point gâter par la contagion de ces exemples. Qu'elle sagesse ne faut il pas, pour concilier les droits du Pére des esprits, avec le respect que l'on doit à ses Peres charnels. Que n'a t'on pas à souffirir dans ces occasi­ons, quand on craint Dieu, & que l'on aime ses Pa­rens. Ce n'est plus le vice & l'impieté qui combat­tent contre la vertu. La victoire n'est pas alors dif­ficile! mais c'est la Religion qui combat contre la Religion, le respect contre le respect, le devoir contre le devoir; & comme l'on doute qu'il y ait dupéché à suc comber, on n'a pas tousjours la force de vainere.

Nostre Grande Reyne sortit pourtant victorieuse de tous ces combats; comme les nuages qui envelloppent quelquefois le soleil naissant, ne servent qu'à faire admirer l'éfficace de sa lumiere qui les dissippe & les réduit à rien, de mesme toutes les difficultés & tous les perils qui menaçérent la jeunesse de nostre Prin­cesse, ne servirent qu'à faire éclatter l'excellence de son naturel, la solidité de son jugement, & les mer­veilles [Page 13]de sa grace. Et pendant que ce lys croissoit entre les Epines & les ronces d'une Cour déréglée, Dieu qui en vouloit faire l'ornement de son Eglise, & qui prépare de loin les moyens qui doivent servir au salut de Ses Elûs, appella un excellent Prélat à la con­duite de la Capitale du Royaume, afin qu'il secondât les desseins de sa grace; qu'il arrosât ce tendre lys, & empechât qu'il ne reçeut aucun domage du voisinage des épines. La naissance illustre de ce digne Condu­cteur de l'Eglise, & cette circonstance qui fait tant d'honneur à son Ministére, nous pourroient permettre de parler icy de ses rares vertus, sans qu'on pût nous accuser de violer les loix de ces sortes de discours, & de l'y avoir fait entrer par force & par affectation; mais il suffit de dire qu'aussi long temps que le nom de nostre Auguste Reyne sera en bénédiction dans l'Eglise, on se souviendra que HENRY COMPTON Evêque de Londres a contribué par sa vigilence & sa fermeté, à l'amour éclairé & à l'attachement sincere qu'Elle eut toujours pour la Religion de Jesus Christ.

Second Poinct.

Il y a des gens qui affectent de n'avoir point de Re­ligion. Il y en a d'autres qui proffessent la vraye Re­ligion, sans la connoitre. Il y en a encore qui la connoissent, mais qui n'en pratiquent pas les devoirs; & il y en a enfin, mais par malheur, le nombre en est fort petit, qui proffessent la vraye Religion, qui ont pris soin de l'étudier & de la connoitre, & qui s'efforcent par leurs bonnes oeuvres, de suivre son Es­prit & de repondre à ses desseins; leurs bonnes oeu­vres sont le caractére le moins équivoque de l'amour éclairé & de l'attachement sincere qu'ils temoignent pour la Religion de Jesus Christ: De la vient que St. Luc apres avoir donné à Tabita, la qualité de [Page 14]Disciple, pour faire voir qu'elle la méritoit, ajoute qu'elle estoit remplie de bonnes oeuvres & des aumones qu'elle faisoit.

Il est vray que l'amour de la Religion est un mou­vement invisible de l'ame, qui n'est connu que de Dieu; c'est un sentiment vif & profond de sa Majesté & de sa présence; c'est un aquiescement universel de l'Es­prit à toutes les verités qui portent le caractére de son autorité; c'est une soûmission entiere & sans re­serve, à toutes les loix qu'il a données à nos actions & à nos desirs: c'est un charme interieur qui ravit les affections & qui répand dans la conscience des plaisirs plus touchans & plus vifs que tous les biens sensibles. Mais quoyque la racine de cet amour soit cachée dans le coeur, elle ne manque jamais d'éclarter & de se produire & par les fleurs des devoirs exterieurs & par le fruit des bonnes oeuvres.

Les devoirs exterieurs ne sont que les fleurs de la Religion. Les fleurs promettent bien des fruits, mais les fruits ne répondent pas toujours aux esperances des fleurs. Aussi les devoirs exterieurs annoncent bien la Religion, mais les bonnes oeuvres de la Religion n'ac­compagnent pas toûjours la pratique des devoirs ex­terieurs. On peut adhérer à la vraye Eglise, aller regulierement au temple, communier aux Sts My­steres, chanter des Pseaumes, écouter des Sermons, assister à toutes les parties du service public, & ce­pendant conserver toutes ses passions: c'est pourquoy Jesus Christ nous a avertis, que teus ceux qui luy di­sent aujourd'huy, Seignour, Seigneur, n'entreront pas un jour au Royaume des Cieux. Et en effet, puisque nous mesmes qui ne sommes rien, demandons aux autres quelque chose de plus solide que des paroles & des offices exterieurs qu'elle apparence qu'une Majesté aussi [Page 15]Sainte & elevée que celle de Dieu, pût se contenter de si peu de chose.

Ce n'est pas à dire pourtant qu'il faille negliger les devoirs exterieurs; Dieu les a commandés, ce sont des bonnes oeuvres dans leur genre: Ils édifient le pro­chain; ce sont des remedes que Dieu a fournis au re­lachement de la pieté; & comme c'est hypocrisie que d'en faire l'essentiel de la Religion, aussi negliger de les pratiquer, c'est indevotion & libertinage; C'est a dire qu'on peut bien conclurre, que ceux qui les omet­tent, n'ont point de Religion, mais qu'on ne sauroit conclurre, que ceux qui les pratiquent, ayent pour la Religion, un attachement sincere.

A quoy donc peut on reconnoitre les veritables Di­sciples de Jesus Christ? Ce n'est pas à l'etendue de la connoisance; Car combien voit on de Savans sans pie­té, qui ne cherchent les lumieres. que pour les lu­mieres & qui etudient la Religion plustost pour satis­faire leur vanité, que pour la sacrifier. Ce n'est pas non plus à l'aquiescement de l'Esprit aux verites de la Religion. Car qu'il y a de gens dans l'Eglise qui ont l'Esprit Chretien & le coeur infidele? soumis pour les verités de Theorie & qui pourtant sont libertins pour celles de pratique, approuvant les principes de la Re­ligion, mais s'aveuglant sur les conclusions & sur l'ap­plication qu'il en faut faire. Est ce donc la confiance qui est la vraye marque d'un Chretien, mais cette confiance se trouve encore dans les faux justes. I's renonçent à leur merites, ils se reconnoissent coupa­bles, c'est le sang de Christ qui fait toute leur Espe­rance; Mais apres avoir gouté la bonne parole de vie & les puissants du siecle à venir St. Heb. 6.6. Paul dit qu'ils crucifi­ent derechef le fils de Dieu & l'exposent á opprobre. Peut étré enfin, que c'est dans la plenitude & dans la since­rité [Page 16]de cette confiance, qu'on trouve le vray caractére des Disciples de Jesus Christ; mais la confiance des faux justes n'est que trop sincere: Ils disent jusques à la mort, paix, paix, & leur faux repos n'est interrompu que par les peines de l'autre vie. Il en faut donc re­venir à la pieté & aux bonnes oeuvres: une pieté qui ne se dement jamais; de bonnes oeuvres & des aumones qui se soutiennent toujours, sont les marques les plus certaines de l'Amour sincere que l'on a pour la Religi­on. St. Luc conclut que Tabita estoit Disciple de Jesus Christ, parcequ'elle etoit remplie de bonnes oeuvres & des aumones qu'elle faisoit. Que l'on dispute donc tant qu'on voudra dans les écoles sur les caractéres de la vraye foy: pour finir toutes ces disputes, on n'a qu'a lire le ch. 25. de St. Matth. ou Jesus Christ nous ap­prend qu'il ne reconnoitra pour Disciples dans le grand jour de sa gloire, que ceux qui ont pratiqué de bonnes oeuvres & des aumones; les qualités qui faisoient alors les Disciples de Jesus Christ, les font aujourd'huy dans l'Eglise.

La faute ordinaire des Demi-Chretiens, est de se­parer les aumones des bonnes oeuvres. Ils sont cha­ritables & font souvent des aumones, pendant qu'ils vivent dans le desordre. Ils n'ont aucun scrupule de piller le public, de se venger de leurs ennemis, de s'ad­doner à la debauche; pourveu qu'ils soient religieux à assister les pauvres, ils regardent leurs aumones, com­me des compensations de leur crimes & un rempart qui les doit mettre á couvert de la colére du Seigneur. Il y en a d'autres dont les moeurs sont honétes, mais qui sont impitoyables pour les maux du prochain; ils ne seront ni blasphemateurs, ni vindicatifs, ni in­temperants, mais si vous leur parlés de faire l'au­mone, leur morale est aux abois; Chrétiens en [Page 17]tout le reste, ils ne sont ici que des barbares & des in­humains.

La Sainte Tabita ne separoit pas ce que Dieu a conjoint; Les deux tables de la Loy luy étoient également préti­euses. Elle avoit consacré son esprit à Dieu par la Re­ligion, & son coeur aux pauvres par la Charité: Sa maison étoit l'asyle des malheureux & une école de ver­tu & de penitence. Elle etoit un Tresor public, où les pauvres trouvoient leur nourriture & les gens de bien les Exemples de leur vie. Apres avoir pleuré ses pé­chés sous les yeux de son Dieu, elle alloit essuyer les larmes des miserables, & sur tout des veuves qui sont ordinairement négligées & meprisées, quand leurs maris les ont laissées pauvres. Sa vie étoit la condamnation de la vie de tant d'autres femmes, dont tous les jours se passoient en visites inutiles, en vaines conversations, en divertissemens dangereux & en des soins ridicules de s'ajuster. La nature luy ayant refusé des Enfans, elle avoit ouvert sa maison par une Adoption Chrétienne, à tou­tes les veuves & à tous les pauvres qu'il y avoit dans joppe. Elle étoit pleine dit St Luc, d'aumones & de bonnes oeuvres.

Ces grands Exemples de Sanctification & de Charité étoient alors aussi communs dans l'Eglise, qu'ils y sont au­jourd'huy rares. Mais si on a remarqué que les socie­tés periroient bien tost, si Dieu n'y faisoit naitre de temps en temps, de grands hommes, pour les ramener à la pureté de leur premiere institution: Aussi il y a long­temps que l'Eglise seroit tombée en ruine, & que sa foy & ses moeurs se seroient entiérement corrompues, si Dieu n'avoit pas eu le soin de susciter dans tous les si­écles, des hommes & des femmes d'une piété extraordi­naire, pour ramener les Chrétiens par leurs Exemples, á la premiére Saintetè de leur Religion

La Reyne étoit une des Ames choisies par la Provi­dence, pour l'instruction de son siecle, puisqu' Elle y a reluy comme un flambeau par ses bonnes oeuvres & par ses aumones. Il semble que le Seigneur sans attendre les voyes ordinaires, s'étoit hâté de luy mettre trois Couronnes sur la tête, afin que si les hommes pouvoi­ent estre corrigès, ils le fussent par les Saints Exem­ples de sa vie. Comme Elle avoit un amour sincere pour la Religion de Jesus Christ, Elle a fait voir aux hommes & aux Anges, les fruits de sa céleste Disci­pline dans la pureté de ses moeurs & les offices de sa charitê. Son coeur brùloit de l'amour du Seigneur, & ses mains étoient toûjours ouvertes, pour assister les pau­vres & les affligés. On voyoit sortir dé sa foy comme d'une riche & abondante source, une effusion continuelle d'aumones & de bonnes oeuvres. La retraitte, les mé­ditations, la pratique de la priere, la lecture des livres sacrés étoient ses occupations lés plus douces. Exacte dans les dévotions du Cabinet, toûjours attentive à tou­tes les parties du Service public, charitable, bien fai­sante, la gloire de la Royauté, l'ornement de son Sexe, le modelle de toutes les femmes, la Reyne des Reynes, Princesse en un mot, qui servoit d'exemple à sa Cour & à tous ses sujets par l'eclat de ses vertus, quelque soin que son humilite pût prendre pour les cacher.

La vertu se trouve sur le Trône si pres des vices & des passions, qu'il est ordinaire de voir les bonnes qualités des Rois & des Reynes meslées de beaucoup d'imperfections. Trop de faste rend quelque fois leur grandeur odieuse: Ils ne sauroient fouvent, sé faire respectér sans deve­nir cruels, ou donner des marques de leur bonté, sans rendre leur Autorité méprisable. Si l'on admire en eux les vertus Héroiques, on trouve qu'il leur manque la douceur des vertus populaires. Mais la Reyne ras­sembloit [Page 19]en Elle, ce qui est ordinairement séparé sur le Trône. Jamais on ne ne vid tant de Majesté tempe­rée par tant de douceur, tant d'affabilité soûtenuë de plus de dignité & d'elévation, tant de grandeur & de familiaritè, tant de qualités Royales & de vertus ci­viles.

On respectoit autant la Majesté de sa Personne Sa­crée, que l'eclat de ses trois Couronnes; Et l'esprit qui souffre presque toûjours quelque contrainte & quelque mortification en presence des Rois, ne sentoit rien de semblable en presence d'une Reyne, dont la bon­té & les rares vertus gagnoient tous les coeurs. Tout plioit, tout cédoit, tout se rendoit aux doux efforts de son affabilité & de sa clémence; Et apres que sa pru­dence avoit laissé agir pendant quelque temps, la pas­passion injuste de quelques mécontents, sa douceur & & sa charité les ramenoient doucement à leur devoir & les soumettoient volontairement à ses Loix.

Cette Princesse étoit une illustre preuve qu'une grande vertu porte sur le front un caractére de su­periorité, qui luy assujettit enfin tous les coeurs; Et que les garnisons, les Flottes & les armées ne contri­buent pas tant à la surété des Souverains, que la bonne opinion que les Sujets ont de leur sagesse, de leur Justice, & de leur Piété.

Aussi, longtemps avant que le Seigneur luy mit le Diadéme sur le front, il avoit imprimé ses Loix & sa crainte dans son coeur. Princesse d'Orange, Elle étoit remplie d'aumones & de bonnes oeuvres, Reyne d'Angleterre, Elle a toûjours été pleine de bonnes oeu­vres & d'aumones. Cette vie unie, ces manieres toû­jours semblables, cette Pieté constante, cette Charité uniforme font voir à toute la terre, la sincerité de la Religion. Et la solidité de sa vertu. Comme la [Page 20]pluspart des gens ne sont Sages & vertueux qu'en ap­parence, leurs vertus se démentent lorsqu'il leur arri­vé de passer d'une fortune mediocre à une plus élevée; Tel qui nous caresse aujourd'huy, ne nous connoitra plus demain, & ce changement ne vient souvent que de quelque petite augmentation d'équipage & de re­venu. Que si l'on change ordinairement pour si peu de chose. il faut confesser qu'il ny a que les ames du premier ordre comme celle de la Reyne, qui ne soient pas capables de changer en passant à la Souveraine Puissance. On peut dire qu'Elle ne monta pas sur le Trone, mais qu'elle y alla de plein pied. Elle de­meura toûjours dans la même assiete à la vuë de la Royauté; Elle fut toûjours la même, tousjours bonne, toûjours affable, toûjours remplie d'aumones & de bon­nes oeuvres, donnant beaucoup plus d'éclat au Diademe qu'elle n'en reçeut.

L'Usage qu'elle a fait de la Royauté, justifie l'esprit qu'Elle y apporta: Elle y vint sans ambition, puisqu'­elle en a joui avec tant de modestie. Le Ciel a fait voir que c'étoit un présent qu'il luy faisoit, puisqu'il y joignit tous les dons de sa Grace. Elle ne s'en est ser­vie que pour rendre ses peuples heureux, & faire de bonnes oeuvres & des aumones. Elle aimoit l'Angle­terre, Elle prenoit plaisir á la voir aujourd'huy, à ce comble de gloire où elle est montée; mais une amer­tume troubloit sa joye, c'est que cette gloire coutoit à ses peuples, & qu'il falloit qu'ils donnassent leur bien & leur sang, pour avoir part à ses triomphes.

Cette raison des dépenses de la guerre auroit pû la rendre plus reservée dans ses aumones. Le moindre besoin domestique fait croire à la pluspart qu'ils peu­vent se dispenser de les pratiquer. Sa liberalité meri­te donc dautant plus de l'oüange, qu'elle pouvoit sans [Page 21]blame n'étre pas si liberale dans la conjoncture pre­sente. Mais les nécessités des pauvres estoient la mesure de sa charité, & sa charité ne manquoit jamais de res­sources, parce que cette bonne Princesse aimoit mieux se priver du nécessaire mesme, que de voir des malheu­reux languir de faim & de misere.

Quel aveuglement dans les Chrétiens d'excuser leur dureté pour les pauvres, sur ce qu'aujourd'huy, on n'a pas les memes motifs à la charité que l'on avoit au­trefois: ne préchons nous pas le même Evangile que les Apotres ont preché? N'annonçons nous pas le me­me Paradis & le même Enfer? Et les Siecles Aposto­liques ont ils eu pour la pratique de l'aumone, un ex­emple plus édifiant, que celuy de nôtre Bien-heureuse Reine: Cependant, elle n'avoit que son Dieu pour té­moin dans la pluspart de ses aumones. Sa main droite ne savoit pas souvent ce que sa gauche donnoit; In­sensible aux loüanges que ses aumones luy eussent at­tirées, Elle joüissoit en secret du plaisir d'avoir fait son devoir. C'étoit par d'autres mains, c'étoit par des voyes inconnües qu'elle rafraichissoit ces familles dé­solées, semblable à ces fontaines qui par des chemins soûterrains, vont faire fleurir des Jardins & des Prairies. Sachant que Dieu dans les bonnes oeuvres, estime beau­coup plus la forme que la matiere, & l'esprit que le corps, non seulement Elle faisoit des aumones & des bonnes oeuvres, mais elle les faisoit bien.

Quoyqu'elle fit l'aumone en Reyne, Elle y aportoit l'ordre, la sagesse & la discretion que les particuliers y doivent observer. Car bien qu'Elle fut Reyne & Reyne de la Monarchie la plus riche de l'Univers, Elle n'auroit pû remedier aux besoins de tout le monde. Il faut necessairement se borner dans la pratique de l'aumone. Si donner peu, est un crime, il est seur que [Page 22]donner trop, n'est pas toujours une vertu. Ce n'est pas assés de faire son devoir, il faut tâcher de le faire dans le plus haut degré de perfection. C'est par cette raison que la Reyne dispensoit sagement ses aumones, pour les étendre plus loin & pour soulager plus de monde. Quand on fait reflexion sur ses revenus, sur les dépenses de sa Maison & sur les aumones qu'elle faisoit dans ses trois Royaumes, dans les Estats de Hol­lande, dans les vallées de Piemond & en plusieurs autres endroits, on y voit une image de ce que St. Chrysostome nous dit de l'Eglise d'Antioche, St. Chrys. Hom. 6, 7. sur S. Mat. qui avec un revenu médiocre mais sagement dispensé, entrete­noit les prisonniers, les Passans, les Lépreux, un Clergé nombreux, & trois mille vierges ou veuves.

Troisieme Poinct.

Il faut avouër que la folie des Athées est extreme, d'employer contre la Religion, les choses qui servent le plus à relever sa Gloire. Vous nous mettés en avant disent ils, les aumones, les bonnes oeuvres, la vie Sainte & exemplaire de quelques Disciples de Jesus Christ, pour prouver que sa Loy est divine, n'y ayant qu'une Religion venuë du Ciel capable d'inspirer des sentiments si sublimes: mais si la Religion n'étoit pas un vain nom, & s'il y avoit une Providence qui veil­lât sur les actions des hommes, on ne verroit pas ces Disciples de Jesus Christ, dont la vie est si Sainte & toute consacrée aux aumones & aux bonnes oeuvres, affligés, malades & soûmis aux mêmes disgraces, que les méchans. Il est vray. C'est un fait qu'on ne leur sauroit contester. St. Luc nous ayant dit que Ta­bita estoit Disciple de Jesus Christ & qu'elle etoit rem­plie d'aumones & de bonnes oeuvres, ajoute immediate­ment apres, qu'elle tomba malade & qu'elle mourut.

Mais les maladies des gens de bien ne doivent point ébranler nôtre foy, à l'egard de la Providence. Nous savons qu'ils n'ont point de privilége qui les exempte de la condition des autres hommes. Ils sont Enfans d'Adam comme eux, & la Grace qui les a purifiés de la corruption qu'ils en ont tirée, n'est pas destinée à les affranchir des maladies ni de la mort. Ils sont sous le même Ciel, ils respirent le même air, ils se nourissent des mêmes alimens, que les méchants; de sorte que c'est une suitte de la Societé, dans la quelle ils vivent avec eux, qu'ils soient exposés au venin de la petite verole, à l'ardeur des fievres & aux autres maux, qui affligent le Genre humain. Si les gens de bien n'é­toient jamais malades, la pieté seroit estimée un gain; 1 Timoth. 6. v. 5. Cette vie ne seroit pas un état d'epreuve & d'exercice pour la vie à venir; Et on ne pourroit pas distinguer ceux qui servent Dieu par des principes mercenaires, d'avec ceux qui le servent par des motifs nobles & desin­teressés. Outre cela il faudroit que Dieu ne fût oc­cuppé qu'a faire des Miracles; Et Dieu n'a pas accou­tumé de sortir à tous momens de sa gloire, pour faire de ces coups de sa Toute-puissance. Il a établi des Loix immüables & éternelles, & il abandonne ordinairement les hommes à la conduitte de ces loix; d'où il resulte, que les mêmes accidents doivent arriver pareillement à tous, au Juste & au polu, Eccles. 9.2. à celui qui Sacrifie & à celuy qui ne Sacrifie point, comme parle Salomon.

Apres tout, les hommes ne sont point des Juges com­petants des veuës de la Providence, à l'égard des mala­dies & de la mort des justes. Pour être en état d'en ju­ger, il faudroit qu'ils connussent tout le passé, & que l'a­venir fut devoilé à leurs yeux. Le Seigneur a des veües profondes, les hommes ne sauroient pénétrer toutes les fins de ses actions, ny prévoir quand il a fait une chose, [Page 24]tous les autres évenemens qui seront enchainés avec elle.

Comment seroient ils des jugés competants des voyes de la Providence, eux qui se trompent si sou­vent dans le jugement qu'ils font de la nature des bi­ens & des maux? Ils appellent bien ce qui donne du plaisir, & ils nomment mal ce qui cause de la douleur, d'où ils concluent que s'il y avoit un Dieu, il n'en­voyeroit pas des maladies aux Justes & ne donneroit pas des plaisirs aux Méchants. Mais ils ne prennent pas garde, que ce qu'ils appellent maux, donne sou­vent de grands plaisirs, & que les choses qu'ils nom­ment des biens, sont souvent accompagnées de cruelles amertumes. La chair & le sang sont de mauvais esti­mateurs du bien & du mal, & ne sauroient étre que des regles trompeuses de nos douleurs & de nos Joyes. On voit bien qui est en santé ou qui est malade: Mais on ne sauroit juger là dessus qui est le plus heureux, sans courir risque de se tromper. Il pourroit ar­river quelquefois, qu'on porteroit envie à des gens qui sont en effet tres miserables, quoy qu'ils paroissent dans un état tout contraire; Et qu'on regarderoit comme des objets de pitié, ceux qui dans leurs mala­dies & leurs lits de mort, sont véritablement heureux.

Nous mettons dans ce rang la Sainte Tabita, qui apres avoir fait toute sa vie, de bonnes oeuvres & des aumones, tomba malade & mourut. Cela nous doit faire remarquer qu'il n'y a point de vie qui soit privi­legiée, & que les plus belles & les plus pures, ne sont pas à couvert des traits de la mort. La mort ferma ces yeux qui n'etoient ouverts que pour les miseres des pauvres, rendit immobiles ces mains qui ne tra­vailloient qu'a les secourir, glaça ce coeur qui brûloit des flammes de la charité Chrêtienne. Elle avoit sans doute asses vécu pour elle, cette femme bien heureuse; [Page 25]Mais elle mourut trop tost, pour tant de pauvres que sa pie­ré avoit adoptés. S'il étoit tems que ses bonnes oeuvres fus­sent recompensées de la gloire du paradis, la Terre avoit eu­core besoin d'étre éclairée de lal umiere de ses bons exemples. Mais les plus grands Saints tombent malades & meurent com­me le reste des hommes, la sage Esther comme la prophane jesabel, la charitable Tabita comme l'Impudique Hero­dias.

L'Evangeliste ne nous a rien dit de la maniere ni des circonstances de la mort de Tabita. Que ne nous a t'il ap­pris sa resignation dans sa maladie, sa patience dans ses dou­leurs, sa joye, son courage & sa penitence aux approches de sa mort? Mais si vous y prenés garde, il en a asses dit en nous apprenant qu'elle estoit remplie de bonnes oeuvres & des aumones qu'elle faisoit. Quand on a si bien vêcu, on ne manque jamais de bien mourir. On quitte toûjours sans regret, des biens que l'on a possedés sans attachement. On va à la mort avec joye & avec confiance, quand on y va avec des aumo­nes & des bonnes oeuvres. Rare & incomparable avantage de la pieté! Sans elle la vie n'a que des épines, ni la mort que des frayeurs; Et avec elle, nos jours coulent en paix, & finissent avec joye & avec triomphe.

Les Consolations des Chrétiens mourans ne viennent ni par enthousiasme, ni par voye de revelation. Dieu peut bien donner à quelques Saints par une Grace extraordiuaire, des assurances de leur salut à l'heure de leur mort. Mais cette grace est un miracle qui ne tire point à consequence. La source ordinare de ces consolations & de ces esperances, sont les reflexions qu'on fait en mourant, sur les aumones & les bonnes oeuvres qu'on a faites pendant sa vie. Mais quelle confiance peut on prendre sur des aumones que l'on ne fait qu'à l'heure de la mort? Ne se souvenir des pauvres que dans un lit de mort, c'est étre liberal, quand on ne peut plus estre avare: c'est donner ce que l'on ne sauroit plus garder, c'est se priver en faveur d'autruy, des biens dont on ne peut plus jouir, comme si quelque petit effort de charité que [Page 26]l'on fait en mourant, pouvoit récompenser toute une vie d'a­varice & de durété.

Que cette charité est foible, puisque pour l'exciter il faut la veuë de la mort, un Pasteur, un Notaire & tous ses autres appareils lugubres. Qu'un Chrétien mourant doit sentir peu de consolation, quand il pense qu'il est sur le point de s'aller présenter à Jesus Christ, & qu'il n'a d'autres aumônes à luy offrir, que les Legs de son dernier Testament. Si Tabi­ta mourut dans la joye & dans la paix de son Dieu, c'est que sa mort fur precedée d'une longue pratique d'aumones & de bonnes oeuvres. L'Evangeliste dit que toutes les Veuves se presenterent à St. Pierre en pleurant, & montrant combien Dorcas faisoit de robbes & de vestemens, quand elle étoit avec elles. C'est à dire pendant qu'elle étoit en vie.

Vous aves éprouvé mes Fréres, que Nostre Reyne n'avoic pas attendu la mort, pour se souvenir des pauvres. Elle etoit comme Tabita, vray Disciple de Jesus Christ, & Elle a sui­vi comme elle, l'esprit de sa Discipline dans la pratique des aumones & des bonnes oeuvres. Ses aumones ont été comme cette premiere myrrhe dont parlent les naturalistes, qui est la plus prétieuse & qui sort des crevasses de l'arbrisseau par les seuls efforts de la Nature: Son Ame naturellement géné­reuse, ayant été cultivée par les lumieres de la Grace, estoit si portée à l'exercice de la charité, qu'Elle n'avoit pas besoin d'y estre excitée par l Image de la mort; Les aumones que lon fait sur le point de mourir, étant comme cette seconde myrrhe qui est fort inferieure à la premiere, & qui ne peut étre tirée qu'avec le trenchant du coûteau.

Aussi les fruits de ses aumones & de ses bonnes oeuvres, pa­rurent ils sensiblement dans sa derniere maladie, par sa re­signation, par sa patience & par sa soûmission à la volonté de son Dieu. Vous savés que c'est dans les grandes mala­dies, que les tentations sont le plus à craindre: Et que c'est pour lors que la pieté a plus de besoin d'étre soutenuë. L'a­mour propre est plus excité, la nature est plus ébranlée, l'ame trop appliquêe aux maux du corps, néglige ses propres [Page 27]interests; Et la pluspart des Chrétiens insensibles en ces mo­mens, à toutes les Esperances de leur Religion, ne conside­rent que ce que la maladie & la douleur leur demandent. Si les personnes de mediocre condition peuvent alors rece­voir quelque secours de la direction & de l'assistance des Pa­steurs, les Pasteurs ne sont pas souvent d'un grand secours a des Rois malades. Accoûtumés à les voir disposer de la vie d'autruy: ils n'ont pas la fermeté de leur annoncer à eux mê­mes, qu'il faut mourir. A n'entendre que leur voix timide & tremblante, on seroit en peine de juger lequel est le ma­lade & le mourant, ou celuy qui parle, ou celuy qui écoute: Lache complaisance, égards humains seres vous la tache éternelle des ministres des Autels? Ah qué nôtre siécle avoit grand besoin d'un exemple aussi édifiant que celuy de nostre Sainte Reyne. Elle tomba malade & en immolant d'abord à Dieu sa propre volonte, Elle luy fit un plus grand sacri­fice qu'en luy immolant sa vie & sa couronne. Sa maladie ne fit que perfectionner sa sanctification & son détachement du monde, que sa pieté avoit commencé depuis tant d'au­nées. Si on avoit admiré la Disciple de Jesus Christ sur le Trône & dans les grandeurs, on l'admira encore d'avantage au milieu de ses maux & dans son lit de mort. Toute l'Angleterre trembloit & fondoit en larmes, & Elle seule estoit ferme & avoit l'esprit en repos. Si un grand Archevesque anime d'une ferveur Apostolique, s'approche pour luy annoncer les volontés du ciel, & les obligations d'une chrétienne & d'une Reyne mourante, la pieté de cette Reyne de benediction éclatte encore d'avantage, que le zéle de l'Ambassadeur de Jesus Christ, Je n'ay pas differé jusques a present dit Elle, à faire ma paix avec Dieu, & à me préparer à la mort; C'est à dire que ces derniers momentes avoient fait le sujet des reflexi­ons de toute sa vie, & que plus soigneuse de s'instruire dans l'art de bien mourir que dans l'art de regner, Elle ne fut pas surprise par le mauvais jour.

Grace precieuse dont le Seigneur couronna ses aumones & ses bonnes oeuvres. Grace qu'il fait à peu de Personnes, mais [Page 28]tres rarement aux Roix. Oincts de l'Eternel, Augustes Dig­nités, Puissances Souveraines, nous vénérons vôtre authorité & vôtre pouvoir, mais nous tremblons pour les perils qui vous environnent. Couronnes, Sceptres, Diademes que vous étes des présents funestes, quand Dieu n'accompagne pas ces présents de sa benediction & de sa Grace; Et quels tor­rens de grace ne faut il pas pour se préparer à bien mourir, quand on a autant de raisons de souhaitter de vivre, qu'en ont les Rois & les Reynes. Mais les bonnes oeuvres & les aumones de la Reyne étant depuis longtemps, montées dans le Ciel, le Seigneur a fait éclatter sur Elle à l'heure de sa mort, les richesses surabondantes de sa grace. Toûjours resig­née & soumise à la volonte de Dieu, toûjours patiente comme une innocente brebis au milieu de ses maux, pleine­ment détachée du monde, uniquement appliquée aux inte­rests de son salut, l'Esprit toûjours rempli de l'Image & de l'Esperancé du Paradis, Elle expira comme elle avoit vecu, e'est à dire dans le sein de la Grace avec tous les caracte­res d'une vraye Disciple de Jesus Christ.

Si vous vous attendiés à des exlamations pathetiques, quand nous viendrions à vous parler de sa mort, c'étoit sup­poser que surpris de la mort de cette grande Reyne, qui n'en a point été surprise Elle même, nous condamnerions par nos exclamations, les Saints exemples qu'Elle nous a donnés. Et que nous oublierions que nous ne montons dans cette chaire, que pour vous faire souvenir que vous devés mourir & que les Grands comme les petits, sont assujettis à la même loy. Etre surpris de voir mourir des personnes mortel­les, c'est etre surpris de voir coucher le soleil & couler les rivieres. Cette inconstance attachée à toutes les choses crées, ce mouvément perpetuel des creatures qui prennent la place les unes des autres, ces Villes & ces Sociétes que l'on voit dans quelques generations entierement renouvellées, ces Roys & ces Reynes que la mort renverse tous les jours de leur trône, toutes ces vicissitudes & tous ces changémens font comme un hommage perpetuel que l'Univers rend à [Page 29]l'Immutabilité de Dieu qui est toujours le meme, Ps. 102. v. 28. & dont les an­nées ne finissent jamais.

Ce qui paroit de plus affligeant dans la mort de nôtre Sainte Reyne, c'est que Dieu n'ait fait pour ainsi dire, que la mon­trer à la terre, & que sa main immortelle ait si tost fauché les douces & agreables Esperances, que son régne donnoit à ses Peuples. Il est vray qu'il faut que nos crimes soient grands puisque Dieu pour les châtier, vient de retirer cette grande Princesse. Quelle perte pour l'Eglise! quel chati­ment pour l'Etat! quels sujets n'avons nous pas de craindre que le Ciel ne veuille plus nous proteger, puisqui'l nous à privés de ce pretieux gage de se faveur & de sa protection. Si Dieu châtie quelque fois un Peuple ingrat & prophane, en luy donnant de mechants Rois & de mechantes Reynes, aussi il ne fait jamais éclatter sa colere avec plus de severité, qu'en luy otant les bons Roys & les bonnes Reynes, dont il s'est rendu indigne par son ingratitude & par son impieté. Que les voyes de la sagesse de Dieu sont adorables! il abrege les jours de la Reyne, pour chatier nos crimes; Mais il les abrege aussi pour recompenser ses aumones & ses bonnes oeu­vres, comme si les foudres qu'il lance sur les Méchants, & les couronnes qu'il met sur la tête des Saints, étoient for­mées de la même matiere, & tirées des mêmes tresors; Ce qui fait le chatiment de nos perfidies, est la recompense du Zéle & de la Pieté de nôtre Souveraine. Une longue vie n'est à proprement parler, qu'un plus long loisir d'abuser des fa­veurs de Dieu, & d'augmenter le compte qu'il faudra luy ren­dre. Nos plus beaux jours étant toûjours noircis de quelque ennuy & de quelque peche, c'est une grace que Dieu fait à ses bien aimés, que d'accourcir leurs miseres, & de les deli­vrer de cette triste necessité de pécher.

Ce n'est pas aureste, que la vie de la Reyne ait este courte, bien qu'elle n'ait véçeu qu'un peu plus de trente & deux ans. Les jours des particuliers se comptent par le nombre de leurs années, mais il ne faut compter les années des Rois & des Reynes, que par le nombre de leurs belles actions; Et en [Page 30]comptant ainsi les jours de la Reyne, on ne trouvera pas sa vie courte, puisque la grace en a menagé tous les moments avec tant de profit, & qu'elle a été toute consacrée à la pra­tique des aumones & des bonnes oeuvres. Cette vie qui pa­roit courte par le nombre des années, embarassera par l'abon­dance de ses belles actions, les rares genies à qui le soin de sa gloire sera confié; Et le grand nombre de bonnes oeuvres qu'ils auront à raconter, leur fournira un suiet plus noble & plus vaste que le long Regne d'une infinité de Rois qui n'ont servi à leur peuples, que pour compter leurs années, & pour datter leur contracts, la bonne vie a ses jours compté, dit Jesus fils de Syrac, mais la bonne renommé demeure éternellement. Ce ne sont pas quelques années de plus ou de moins, qui font la gloire des Souverains, mais l'immortalité de leurs noms & de leurs grandes actions. Cent sortes d'Ouvriers tra­vaillent aujourd'huy, à laisser à la posterité, des monumens éternels de la pieté & des grandes qualités de nôtre bien heu­reuse Reyne; Il importe à l'instruction des sieles avenir, qu'on leur apprenne toutes les merveilles d'une si belle vie. Il importe au bonheur des peuples, de donner à cette Grande Princesse, des marques éclattantes de leur amour & de leur douleur, afin que les Reynes qui viendront apres Elle, tâ­chent d'imiter ses vertus pour meriter les mêmes louanges. Mais que l'y voire, le marbre & le bronze ne soyent aujourd|'huy employés qu'à luy élever des trophées, qu'elle soit le seul objet de l'Eloquence & de la Sculpture, & que tous les beaux arts ne travaillent qu'a immortaliser son nom. Par­lons icy en chrêtien & en Ministre de Jesus Christ, tout cela fera moins d'honneur à sa memoire, que les pauvres qui fon­dent en pleurs d'avoir perdu leur bienfaitrice. Que ne pou­vons nous faire paroitre devant cette assemblée, toutes les veuves qu'Elle a consolées, tous les pauvres qu'Elle a soulagés, tous les malheureux qu'Elle a secourus, & que ne pouvons nous y faire retentir leurs plaintes & leur sanglots. S'ils se présentoient tous devant vous, comme ceux que Dorcas avoit assistés se présenterent devant St. Pierre en pleurent, [Page 31]vous auries lieu de vous écrier ils y a icy plus que Tabita. l'E­vangeliste n'introduit que des pauvres qui pleurent Tabita; Et notre grande Reyne est pleurée, par des Personnes de tous les rangs & de toutes les conditions, par les Riches & par les Pauvres, par les Grands & par les Petits. Le plus grand Roy du monde joint même ses larmes à celles de tant de malheu­reux, qui pleurent leur bienfaitrice: mais ne rougissés pas grand Prince de méler vos pleurs avec celles des pauvres; Ils sont les membres les plus considerables du Royaume de Jesus Christ, les Grands de sa cour, ses favoris & ses confi­fidents, & ils tiennent aupres de luy, le même rang que ti­ennent aupres de vous, les personnes les plus distinguées, & les plus elévées de vos Etats.

Ce furent seulement les Veuves & les Pauvres de la ville de joppe, qui parurent devant St Pierre en pleurant. Mais on pleure nostre grand Reyne dans ses trois Royaumes, on la pleure dans les sept provinces de Hollande, on la pleure dans ces Saintes valées, qui sont depuis tant de siecles, la re­traitte de la colombe. On la pleure dans toutes les cours de l'Europe, à la reserve d'une seule, ou ce seroit peut estre un crime, de pleurer la vertu comme c'en est un de professer la verité. On la pleure dans les Armées, on la pleure sur les Flottes, on la pleure dans le Continent, on la pleure dans les Isles; Et nos vaisseaux n'auront pas plutost porté cette triste nouvelle, dans l'Orient & dans l'Occident, que l'une & l'autre Inde pleureront nostre grande Reyne. Que ces larmes universelles publient hautement les vertus & les grandes Qua­lités dont le ciel l'avoit enrichie. Sacrés Levites du Seigneur, travailles des oraisons funebres avec toutes les finesses de l'art; épuises tous les efforts de votre éloquence dans le panegyrique de nostre illustre morte, pour exciter les vivans à imiter ses vertus; méles si vous voules, le ciel avec la terre, par l'éclat de vos mouvemens, & de vos figures: Vos discours les plus sublimes ne seront qu'un language d'Enfant, & n'approcheront jamais de la force de ces larmes, qui font les honneurs fune­bres de notre Sainte Reyne. Voici donc la verité de ce que [Page 32]David a dit de l'homme de bien Il a semé, il a donné aux pauvres, & sa justice demeure eternellement & de ce que Salomon ajoute que la memoire du juste sera en benediction, & que les oeuvres de la femme vaillante la louërent aux portes.

Cependant, M. F. ne separons pas dans la mort de la Reyne, ce qui nous afflige d'avec ce qui nous console Louons Dieu qui nous avoit donné une Reyne si accomplie, sans mur­murer de la condition de mortelle qu'il y avoit jointe. De­mandons luy des Successeurs qui luy ressemblent, vrays Di­sciples de Jesus Christ, remplis d'aumones & de bonnes oeu­vres. Tachons de nous en rendre dignes par nostre penitence, & par notre piété, en aimant & respectant le Roy qui fait les Rois. Que les Saints exemples que notre bien heureuse Reyne nous a donnés, éclattent dans la purété de nos moeurs & dans l'innocence de nos actions; Qu'elle vive toûjours dans nos coeurs cette grande Reyne, & que sa memoire soit toûjours en benediction au milieu de nous. Dieu veuille conserver le Roy & le dédomager d'une perte que cent villes prises & cent batailles gagnées, ne sauroint jamais recompén­ser. Au Roy des siecles immortel, invisible à Dieu seul sage soit honneur & gloire aux siecles des siecles. Amen.

FIN.

This keyboarded and encoded edition of the work described above is co-owned by the institutions providing financial support to the Early English Books Online Text Creation Partnership. This text is available for reuse, according to the terms of Creative Commons 0 1.0 Universal licence. The text can be copied, modified, distributed and performed, even for commercial purposes, all without asking permission.