From: CBS%UK.AC.EXETER::BOND.DA 25-JAN-1989 13:51:11.49 To: archive CC: Subj: DOM JUAN Via: UK.AC.EXETER.EXPD; Wed, 25 Jan 89 13:48 GMT Date: Wed, 25 Jan 89 13:44:13 BST To: archive@UK.AC.OXFORD.VAX From: BOND.DA@UK.AC.EXETER Subject: DOM JUAN Message-ID: {DOM JUAN OU LE FESTIN DE PIERRE} {ACTE I.} {SCENE PREMIERE.} {SGANARELLE, GUSMAN.} {SGANARELLE tenant une Tabatiere.} Quoy que puisse dire Aristote, et toute la Philosophie, il n'est rien d'e1gal au Tabac, c'est la passion des honnestes gens; et qui vit sans Tabac, n'est pas digne de vivre; non seulement il re1jou4it, et purge les cerveaux humains; mais encore il instruit les ames a2 la vertu, et l'on apprend avec luy a2 devenir honneste homme. Ne voyez-vous pas bien de1s qu'on en prend, de quelle maniere obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravy d'en donner, a2 droit et a2 gauche, par tout ou2 l'on se trouve? On n'attend pas mesme qu'on en demande, et l'on court au devant du sou3hait des gens: tant il est vray, que le Tabac inspire des sentimens d'honneur, et de vertu, a2 tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette matiere, reprenons un peu nostre discours. Si bien donc, cher Gusman, que Done Elvire ta Maistresse, surprise de nostre de1part, s'est mise en Campagne apre1s nous; et son coe6ur, que mon Maistre a sceu toucher trop fortement, n'a pu3 vivre, dis-tu, sans le venir chercher icy? veux-tu qu'entre-nous je te dise ma pense1e; j'ay peur qu'elle ne soit mal paye1e de son amour, que son voyage en cette Ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagne1 a2 ne bouger de la2. {GUSMAN.} Et la raison encore, dy moy, je te prie, Sganarelle, qui peut t'inspirer une peur d'un si mauvais augure? ton maistre t'a-t-il ouvert son coe6ur la2-dessus, et t'a t'il dit qu'il eust pour nous quelque froideur qui l'ait oblige1 a2 partir? {SGANARELLE.} Non pas, mais, a2 veue4 de pai4s, je connois a2 peu pre1s le train des choses, et sans qu'il m'ait encore rien dit, je gagerois presque que l'affaire va-la2. Je pourrois peut-estre me tromper, mais enfin, sur de tels sujets, l'experience m'a pu3 donner quelques lumieres. {GUSMAN.} Quoy, ce de1part si peu pre1veu, seroit une infidelite1 de D. Juan? il pourroit faire cette injure aux chastes feux de D. Elvire? {SGANARELLE.} Non, c'est qu'il est jeune encore, et qu'il n'a pas le courage. {GUSMAN.} Un homme de sa qualite1 feroit une action si la3che? {SGANARELLE.} Eh ou4y; sa qualite1! la raison en est belle, et c'est par la2 qu'il s'empescheroit des choses. {GUSMAN.} Mais les saints noe6uds du mariage le tiennent engage1. {SGANARELLE.} Eh! mon pauvre Gusman, mon amy, tu ne sc5ais pas encore, croy moy, quel homme est D. Juan. {GUSMAN.} Je ne sc5ay pas de vray quel homme il peut estre, s'il faut qu'il nous ait fait cette perfidie; et je ne comprends point, comme apre1s tant d'amour, et tant d'impatience te1moigne1e, tant d'hommages pressants, de voe6ux, de sou3pirs, et de larmes; tant de lettres passionne1es, de protestations ardentes, et de sermens rei4terez; tant de transports, enfin, et tant d'emportemens qu'il a fait paroi3tre, jusqu'a2 forcer dans sa passion l'obstacle sacre1 d'un Convent, pour mettre D. Elvire en sa puissance; je ne comprends pas, dis-je, comme apre1s tout cela il auroit le coe6ur de pouvoir manquer a2 sa parole. {SGANARELLE.} Je n'ay pas grande peine a2 le comprendre moy, et si tu connoissois le pelerin, tu trouverois la chose assez facile pour luy. Je ne dis pas qu'il ait change1 de sentimens pour D. Elvire, je n'en ay point de certitude encore; tu sc5ais que par son ordre je partis avant luy, et depuis son arrive1e il ne m'a point entretenu, mais par precaution, je t'apprens ({inter nos}) que tu vois en D. Juan mon Maistre, le plus grand scelerat que la terre ait jamais porte1, un enrage1, un chien, un Diable, un Turc, un Heretique, qui ne croit ny Ciel, ny Enfer, ny loup-garou, qui passe cette vie en veritable beste-brute, un pourceau d'Epicure, un vray Sardanapale, qui ferme l'oreille a2 toutes les remontrances [chrestiennes] qu'on luy peut faire, et traite de billeveze1es tout ce que nous croyons. Tu me dis qu'il a e1pouse1 ta Mai3tresse, croy qu'il auroit plus fait pour sa passion, et qu'avec elle il auroit encore e1pouse1 toy, son chien, et son chat. Un Mariage ne luy cou3te rien a2 contracter, il ne se sert point d'autres pieges pour attraper les belles, et c'est un e1pouseur a2 toutes mains, Dame, Demoiselle, Bourgeoise, Pai4sane, il ne trouve rien de trop chaud, ny de trop froid pour luy; et si je te disois le nom de toutes celles qu'il a e1pouse1es en divers lieux, ce seroit un chapitre a2 durer jusques au soir. Tu demeures surpris, et changes de couleur a2 ce discours; ce n'est-la2 qu'une e1bauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faudroit bien d'autres coups de pinceau, suffit qu'il faut que le courroux du Ciel l'accable quelque jour: qu'il me faudroit bien mieux d'estre au diable, que d'estre a2 luy, et qu'il me fait voir tant d'horreurs, que je souhaiterois qu'il fust de1ja je ne sc5ay ou2; mais un grand Seigneur me1chant homme est une terrible chose; il faut que je luy sois fidele en de1pit que j'en aye, la crainte en moy fait l'office du zele, bride mes sentimens, et me reduit d'applaudir bien souvent a2 ce que mon ame deteste. Le voila qui vient se promener dans ce Palais, separons-nous; e1coute, au moins, je t'ay fait cette confidence avec franchise, et cela m'est sorty un peu bien viste de la bouche; mais s'il faloit qu'il en vinst quelque chose a2 ses oreilles, je dirois hautement que tu aurois menty. {SCENE II.} {D. JUAN, SGANARELLE.} {D. JUAN.} Quel homme te parloit la2, il a bien de l'air ce me semble du bon Gusman de D. Elvire? {SGANARELLE.} C'est quelque chose aussi a2 peu pre1s de cela. {D. JUAN.} Quoy, c'est luy? {SGANARELLE.} Luy-mesme. {D. JUAN.} Et depuis quand est-il en cette Ville? {SGANARELLE.} D'hier au soir. {D. JUAN.} Et quel sujet l'ameine? {SGANARELLE.} Je crois que vous jugez assez ce qui le peut inquieter. {D. JUAN.} Nostre de1part, sans doute? {SGANARELLE.} Le bon homme en est tout mortifie1, et m'en demandoit le sujet. {D. JUAN.} Et quelle re1ponse as-tu faite? {SGANARELLE.} Que vous ne m'en aviez rien dit. {D. JUAN.} Mais encore, quelle est ta pense1e la2-dessus, que t'imagines-tu de cette affaire? {SGANARELLE.} Moy, je croy sans vous faire tort, que vous avez quelque nouvel amour en teste. {D. JUAN.} Tu le crois? {SGANARELLE.} Ou4y. {D. JUAN.} Ma foy, tu ne te trompes pas, et je dois t'avou4er qu'un autre objet a chasse1 Elvire de ma pense1e. {SGANARELLE.} Eh, mon Dieu, je sc5ay mon Dom Juan, sur le bout du doigt, et connois vostre coe6ur pour le plus grand coureur du monde, il se plaist a2 se promener de liens en liens, et n'aime guere a2 demeurer en place. {D. JUAN.} Et ne trouves-tu pas, dy moy, que j'ay raison d'en user de la sorte? {SGANARELLE.} Eh, Monsieur. {D. JUAN.} Quoy? parle. {SGANARELLE.} Assurement que vous avez raison, si vous le voulez, on ne peut pas aller la2 contre; mais si vous ne le vouliez pas, ce seroit peut-estre une autre affaire. {D. JUAN.} Et bien, je te donne la liberte1 de parler, et de me dire tes sentimens. {SGANARELLE.} En ce cas, Monsieur, je vous diray franchement que je n'approuve point vostre methode, et que je trouve fort vilain d'aimer de tous costez comme vous faites. {D. JUAN.} Quoy? tu veux qu'on se lie a2 demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour luy, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne? La belle chose de vouloir se picquer d'un faux honneur d'estre fidelle, de s'ensevelir pour tou3jours dans une passion, et d'estre mort de1s sa jeunesse, a2 toutes les autres beautez qui nous peuvent frapper les yeux: non, non, la constance n'est bonne que pour des ridicules, toutes les Belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'estre rencontre1e la premiere, ne doit point de1rober aux autres les justes pretentions qu'elles ont toutes sur nos coe6urs. Pour moy, la beaute1 me ravit par tout ou2 je la trouve; et je cede facilement a2 cette douce violence, dont elle nous entraisne; j'ay beau estre engage1, l'amour que j'ay pour une belle, n'engage point mon ame a2 faire injustice aux autres; je conserve des yeux pour voir le merite de toutes, et rends a2 chacune les hommages, et les tributs ou2 la nature nous oblige. Quoy qu'il en soit, je ne puis refuser mon coe6ur a2 tout ce que je voy d'aimable, et de1s qu'un beau visage me le demande, si j'en avois dix mille, je les donnerois tous. Les inclinations naissantes apre1s tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. On gou3te une douceur extre3me a2 reduire par cent hommages le coe6ur d'une jeune beaute1, a2 voir de jour en jour les petits progre1s qu'on y fait; a2 combatre par des transports, par des larmes, et des sou3pirs, l'innocente pudeur d'une ame, qui a peine a2 rendre les armes; a2 forcer pied a2 pied toutes les petites resistances qu'elle nous oppose, a2 vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur, et la mener doucement, ou2 nous avons envie de la faire venir. Mais lors qu'on en est maistre une fois, il n'y a plus rien a2 dire, ny rien a2 souhaiter, tout le beau de la passion est finy, et nous nous endormons dans la tranquillite1 d'un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient re1veiller nos desirs, et presenter a2 nostre coe6ur les charmes attrayants d'une conqueste a2 faire. Enfin, il n'est rien de si doux, que de triompher de la resistance d'une belle personne; et j'ay sur ce sujet l'ambition des Conquerants, qui volent perpetuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se resoudre a2 borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arrester l'impetuosite1 de mes desirs, je me sens un coe6ur a2 aimer toute la terre; et comme Alexandre, je souhaiterois qu'il y eust d'autres mondes, pour y pouvoir e1tendre mes conquestes amoureuses. {SGANARELLE.} Vertu de ma vie, comme vous debitez; il semble que vous ayez appris cela par coe6ur, et vous parlez tout comme un Livre. {D. JUAN.} Qu'as-tu a2 dire la2-dessus? {SGANARELLE.} Ma foy, j'ay a2 dire... je ne sc5ay; car vous tournez les choses d'une maniere, qu'il semble que vous avez raison, et cependant il est vray que vous ne l'avez pas. J'avois les plus belles pense1es du monde, et vos discours m'ont brou4ille1 tout cela; laissez faire, une autre fois je mettray mes raisonnemens par e1crit, pour disputer avec vous. {D. JUAN.} Tu feras bien. {SGANARELLE.} Mais, Monsieur, cela seroit-il de la permission que vous m'avez donne1e, si je vous disois que je suis tant soit peu scandalise1 de la vie que vous menez? {D. JUAN.} Comment, quelle vie est-ce que je meine? {SGANARELLE.} Fort bonne. Mais par exemple de vous voir tous les mois vous marier comme vous faites. {D. JUAN.} Y a-t-il rien de plus agreable? {SGANARELLE.} Il est vray, je conc5ois que cela est fort agreable, et fort divertissant, et je m'en accommoderois assez moy, s'il n'y avoit point de mal, mais, Monsieur, se jou4er ainsi d'un mystere sacre1, et... {D. JUAN.} Va, va, c'est une affaire entre le Ciel et moy, et nous la de1meslerons bien ensemble, sans que tu t'en mettes en peine. {SGANARELLE.} Ma foy, Monsieur, j'ay tou3jours ou4y dire que c'est une me1chante raillerie que de se railler du Ciel, et que les libertins ne font jamais une bonne fin. {D. JUAN.} Hola, maistre sot, vous sc5avez que je vous ay dit que je n'ayme pas les faiseurs de remontrances. {SGANARELLE.} Je ne parle pas aussi a2 vous, Dieu m'en garde; vous sc5avez ce que vous faites vous, et si vous ne croyez rien, vous avez vos raisons; mais il y a de certains petits impertinents dans le monde, qui sont libertins sans sc5avoir pourquoy, qui font les esprits forts, parce qu'ils croyent que cela leur sied bien; et si j'avois un Maistre comme cela, je luy dirois nettement le regardant en face: Osez-vous bien ainsi vous jou4er au Ciel, et ne tremblez-vous point de vous mocquer comme vous faites des choses les plus saintes? C'est bien a2 vous petit ver de terre, petit mirmidon que vous estes, (je parle au Maistre que j'ay dit,) c'est bien a2 vous a2 vouloir vous me3ler de tourner en raillerie, ce que tous les hommes reverent. Pensez-vous que pour estre de qualite1, pour avoir une perruque blonde, et bien frise1e, des plumes a2 vostre chapeau, un habit bien dore1, et des rubans couleur de feu, (ce n'est pas a2 vous que je parle, c'est a2 l'autre;) pensez-vous, dis je, que vous en soyez plus habile homme, que tout vous soit permis, et qu'on n'ose vous dire vos veritez? Apprenez de moy, qui suis vostre Valet, que le Ciel punit tost ou tard les impies, qu'une me1chante vie ameine une me1chante mort, et que... {D. JUAN.} Paix. {SGANARELLE.} De quoy est-il question? {D. JUAN.} Il est question de te dire, qu'une beaute1 me tient au coe6ur, et qu'entrai3ne1 par ses appas, je l'ay suivie jusqu'en cette Ville. {SGANARELLE.} Et ne craignez-vous rien, Monsieur, de la mort de ce Commandeur que vous tuastes il y a six mois? {D. JUAN.} Et pourquoy craindre, ne l'ay-je pas bien tue1? {SGANARELLE.} Fort bien, le mieux du monde, et il auroit tort de se plaindre. {D. JUAN.} J'ay eu ma grace de cette affaire. {SGANARELLE.} Ou4y, mais cette grace n'e1teint pas peut-estre le ressentiment des parens et des amis, et... {D. JUAN.} Ah! n'allons point songer au mal qui nous peut arriver, et songeons seulement a2 ce qui nous peut donner du plaisir. La personne dont je te parle, est une jeune Fiance1e, la plus agreable du monde, qui a este1 conduite icy par celuy mesme qu'elle y vient e1pouser; et le hazard me fit voir ce couple d'Amans, trois ou quatre jours avant leur voyage. Jamais je n'ay veu deux personnes estre si contens l'un de l'autre, et faire e1clater plus d'amour. La tendresse visible de leurs mutuelles ardeurs me donna de l'e1motion; j'en fus frappe1 au coe6ur, et mon amour commenc5a par la jalousie. Ou4y, je ne pus souffrir d'abord de les voir si bien ensemble, le de1pit allarma mes desirs, et je me figuray un plaisir extre3me, a2 pouvoir troubler leur intelligence, et rompre ce1t attachement, dont la delicatesse de mon coe6ur se tenoit offense1e; mais jusques icy tous mes efforts ont este1 inutiles, et j'ay recours au dernier remede. Ce1t e1poux pretendu doit aujourd'huy regaler sa Maistresse d'une promenade sur mer; sans t'en avoir rien dit, toutes choses sont prepare1es pour satisfaire mon amour, et j'ay une petite Barque, et des gens, avec quoy fort facilement je pretends enlever la Belle. {SGANARELLE.} Ha! Monsieur... {D. JUAN.} Hen? {SGANARELLE.} C'est fort bien fait a2 vous, et vous le prenez comme il faut, il n'est rien tel en ce monde, que de se contenter. {D. JUAN.} Prepare-toy donc a2 venir avec moy, et prend soin toymesme d'apporter toutes mes armes, afin que... ({Il apperc5oit D. Elvire.}) Ah! rencontre fascheuse, traistre, tu ne m'avois pas dit qu'elle estoit icy elle-mesme. {SGANARELLE.} Monsieur, vous ne me l'avez pas demande1. {D. JUAN.} Est-elle folle de n'avoir pas change1 d'habit, et de venir en ce lieu-cy, avec son e1quipage de campagne? {SCENE III.} {D. ELVIRE, D. JUAN, SGANARELLE.} {D. ELVIRE.} Me ferez-vous la grace, D. Juan, de vouloir bien me reconnoistre, et puis-je au moins esperer que vous daigniez tourner le visage de ce coste1? {D. JUAN.} Madame, je vous avou4e que je suis surpris, et que je ne vous attendois pas icy. {D. ELVIRE.} Ou4y, je voy bien que vous ne m'y attendiez pas, et vous estes surpris a2 la verite1, mais tout autrement que je ne l'esperois, et la maniere dont vous le paroissez, me persuade pleinement ce que je refusois de croire. J'admire ma simplicite1, et la foiblesse de mon coe6ur, a2 douter d'une trahison, que tant d'apparences me confirmoient. J'ay este1 assez bonne, je le confesse, ou plu3tost assez sotte, pour me vouloir tromper moy-mesme, et travailler a2 de1mentir mes yeux et mon jugement. J'ay cherche1 des raisons, pour excuser a2 ma tendresse le relaschement d'amitie1 qu'elle voyoit en vous; et je me suis forge1 expre1s cent sujets legitimes d'un de1part si precipite1, pour vous justifier du crime, dont ma raison vous accusoit. Mes justes soupc5ons chaque jour avoient beau me parler, j'en rejettois la voix qui vous rendoit criminel a2 mes yeux, et j'e1coutois avec plaisir mille chimeres ridicules, qui vous peignoient innocent a2 mon coe6ur; mais enfin ce1t abord ne me permet plus de douter, et le coup d'oe6il qui m'a receue4, m'apprend bien plus de choses, que je ne voudrois en sc5avoir. Je seray bien aise pourtant d'ou4ir de vostre bouche les raisons de vostre de1part. Parlez, D. Juan, je vous prie; et voyons de quel air vous sc5aurez vous justifier. {D. JUAN.} Madame, voila Sganarelle, qui sc5ait pourquoy je suis party. {SGANARELLE.} Moy, Monsieur, je n'en sc5ay rien, s'il vous plaist. {D. ELVIRE.} He1 bien, Sganarelle, parlez, il n'importe de quelle bouche j'entende ses raisons. {D. JUAN faisant signe d'approcher a2 Sganarelle.} Allons, parle donc a2 Madame. {SGANARELLE.} Que voulez-vous que je dise? {D. ELVIRE.} Approchez, puis qu'on le veut ainsi, et me dites un peu les causes d'un de1part si prompt. {D. JUAN.} Tu ne re1pondras pas? {SGANARELLE.} Je n'ay rien a2 re1pondre, vous vous moquez de vostre Serviteur. {D. JUAN.} Veux-tu re1pondre, te dis-je? {SGANARELLE.} Madame... {D. ELVIRE.} Quoy? {SGANARELLE se retournant vers son Maistre.} Monsieur... {D. JUAN en le menac5ant.} Si... {SGANARELLE.} Madame, les Conquerants, Alexandre, et les autres Mondes sont cause de nostre de1part; voila, Monsieur, tout ce que je puis dire. {D. ELVIRE.} Vous plaist-il, D. Juan, nous e1claircir ces beaux mysteres? {D. JUAN.} Madame, a2 vous dire la verite1... {D. ELVIRE.} Ah, que vous sc5avez mal vous de1fendre pour un homme de Cour, et qui doit estre accou3tume1 a2 ces sortes de choses! J'ay pitie1 de vous voir la confusion que vous avez. Que ne vous armez-vous le front d'une noble effronterie? que ne me jurez-vous que vous estes tou3jours dans les mesmes sentimens pour moy, que vous m'aimez tou3jours avec une ardeur sans e1gale, et que rien n'est capable de vous de1tacher de moy que la mort! que ne me dites-vous que des affaires de la derniere consequence vous ont oblige1 a2 partir sans m'en donner avis, qu'il faut que malgre1 vous vous demeuriez icy quelque temps, et que je n'ay qu'a2 m'en retourner d'ou2 je viens, assure1e que vous suivrez mes pas le plu3tost qu'il vous sera possible: Qu'il est certain que vous bru3lez de me rejoindre, et qu'e1loigne1 de moy, vous souffrez ce que souffre un corps qui est separe1 de son ame. Voila comme il faut vous de1fendre, et non pas estre interdit comme vous estes. {D. JUAN.} Je vous avou4e, Madame, que je n'ay point le talent de dissimuler, et que je porte un coe6ur sincere. Je ne vous diray point que je suis tou3jours dans les mesmes sentimens pour vous, et que je bru3le de vous rejoindre, puis qu'enfin il est assure1 que je ne suis party que pour vous fuir; non point par les raisons que vous pouvez vous figurer, mais par un pur motif de conscience, et pour ne croire pas qu'avec vous davantage je puisse vivre sans peche1. Il m'est venu des scrupules, Madame, et j'ay ouvert les yeux de l'ame sur ce que je faisois. J'ay fait reflexion que pour vous e1pouser, je vous ay de1robe1e a2 la closture d'un Convent, que vous avez rompu des voe6ux, qui vous engageoient autre part, et que le Ciel est fort jaloux de ces sortes de choses. Le repentir m'a pris, et j'ay craint le couroux celeste. J'ay cru que nostre mariage n'estoit qu'un adultere de1guise1, qu'il nous attireroit quelque disgrace d'enhaut, et qu'enfin je devois tascher de vous oublier, et vous donner moyen de retourner a2 vos premieres chaisnes. Voudriez-vous, Madame, vous opposer a2 une si sainte pense1e, et que j'allasse, en vous retenant, me mettre le Ciel sur les bras, que par... {D. ELVIRE.} Ah! scelerat, c'est maintenant que je te connois tout entier, et pour mon malheur, je te connois lors qu'il n'en est plus temps, et qu'une telle connoissance ne peut plus me servir qu'a2 me desesperer; mais sc5ache que ton crime ne demeurera pas impuny; et que le mesme Ciel dont tu te jou4es, me sc5aura vanger de ta perfidie. {D. JUAN.} Sganarelle, le Ciel! {SGANARELLE.} Vraiment ou4y, nous nous moquons bien de cela, nous autres. {D. JUAN.} Madame... {D. ELVIRE.} Il suffit, je n'en veux pas ou4ir davantage, et je m'accuse mesme d'en avoir trop entendu. C'est une la3chete1 que de se faire expliquer trop sa honte; et sur de tels sujets, un noble coe6ur au premier mot doit prendre son party. N'attends pas que j'e1clate icy en reproches et en injures, non, non, je n'ay point un couroux a2 exhaler en paroles vaines, et toute sa chaleur se reserve pour sa vengeance. Je te le dis encore, le Ciel te punira, perfide, de l'outrage que tu me fais, et si le Ciel n'a rien que tu puisses apprehender, apprehende du moins la colere d'une Femme offence1e. {SGANARELLE.} Si le remords le pouvoit prendre. {D. JUAN apre1s une petite reflexion.} Allons songer a2 l'execution de nostre entreprise amoureuse. {SGANARELLE.} Ah, quel abominable Mai3tre me vois-je oblige1 de servir! {ACTE II.} {SCENE PREMIERE.} {CHARLOTTE, PIERROT.} {CHARLOTE.} Nostre-dinse, Piarrot, tu t'es trouve1-la2 bien a2 point. {PIERROT.} Parquienne, il ne s'en est pas falu l'e1poisseur d'une e1plinque, qu'ils ne se sayant nayez tous deux. {CHARLOTE.} C'est donc le coup de vent da matin qui les avoit ranvarsez dans la mar. {PIERROT.} Aga guien, Charlote, je m'en vas te conter tout fin drait comme cela est venu: car, comme dit l'autre, je les ay le premier avisez, avisez le premier je les ay. Enfin donc, j'estions sur le bord de la mar, moy et le gros Lucas, et je nous amusions a2 batifoler avec des mottes de tarre que je nous jesquions a2 la teste: car comme tu sc5ais bian, le gros Lucas aime a2 batifoler, et moy par fouas je batifole itou. En batifolant donc, pisque batifoler y a, j'ay apparceu de tout loin queuque chose qui grou4illoit dans gliau, et qui venoit comme envars nou par secousse. Je voyois cela fixiblement, et pis tout d'un coup je voyois que je ne voyois plus rien. Eh, Lucas, c5ay-je fait, je pense que ula des hommes qui nageant la2-bas. Voire, ce ma til fait, t'as este1 au tre1passement d'un chat, tas la veue4 trouble. Pal sanquienne, c5ay je fait, je n'ay point la veue4 trouble, ce sont des hommes. Point du tout, ce ma til fait, t'as la barlue4. Veux tu gager, c5ay je fait, que je nay point la barlue4, c5ay je fait, et que sont deux hommes, c5ay je fait, qui nageant droit icy, c5ay je fait. Morquenne, ce ma til fait, je gage que non. O c5a2, c5ay je fait, veux tu gager dix sols que si? Je le veux bian, ce ma til fait, et pour te montrer, ula argent su jeu, ce ma til fait. Moy, je n'ay point este1 ny fou, ny estourdy, j'ay bravement boute1 a2 tarre quatre pieces tape1es, et cinq sols en doubles, jergniguenne aussi hardiment que si j'avois avale1 un varre de vin: car je ses hazardeux moy, et je vas a2 la debandade. Je sc5avois bian ce que je faisois pourtant, queuque gniais! Enfin donc, je n'avons pas putost eu4 gage1 que javon veu les deux hommes tout a2 plain qui nous faisiant signe de les aller querir, et moy de tirer auparavant les enjeux. Allons, Lucas, c5ay je dit, tu vois bian qu'ils nous appellont: allons viste a2 leu secours. Non, ce ma til dit, ils mont fait pardre. O donc tanquia, qua la par fin pour le faire court, je l'ay tant sarmonne1, que je nous sommes boutez dans une barque, et pis j'avons tant fait cahin, caha, que je les avons tirez de gliau, et pis je les avons menez cheux nous aupre1s du feu, et pis ils se sant depou4illez tous nuds pour se secher, et pis il y en est venu encor deux de la mesme bande qui saquiant sauvez tout seuls, et pis Maturine est arrive1e la2 a2 qui l'en a fait les doux yeux, ula justement, Charlote, comme tout c5a s'est fait. {CHARLOTE.} Tu ne m'as pas dit, Piarrot, qu'il y en a un qu'est bien pu3 mieux fait que les autres. {PIERROT.} Ou4y, c'est le Mai3tre, il faut que ce soit queuque gros gros Monsieur, car il a du dor a2 son habit tout de pis le haut jusqu'en bas, et ceux qui le servont sont des Monsieux eux-mesme, et stapandant, tout gros Monsieur qu'il est, il seroit par ma fique naye1 si je n'aviomme este1 la2. {CHARLOTE.} Ardez un peu. {PIERROT.} O Parquenne, sans nous, il en avoit pour sa maine de fe1ves. {CHARLOTE.} Est-il encore cheux toy tout nu, Piarrot? {PIERROT.} Nannain, ils l'avont r'habille1 tout devant nous. Mon quieu, je n'en avois jamais veu s'habiller, que d'histoires et d'angigorniaux boutont ces Messieus-la2 les Courtisans, je me pardrois la2 dedans pour moy, et j'estois tout ebobi de voir c5a. Quien, Charlote, ils avont des cheveux qui ne tenont point a2 leu teste, et ils boutont c5a apre1s tout comme un gros bonnet de filace. Ils ant des chemises qui ant des manches ou2 j'entrerions tout brandis toy et moy. En glieu d'haut de chausse, ils portont un garderobe aussi large que d'icy a2 Pasque, en glieu de pourpoint, de petites brassieres, qui ne leu venont pas usqu'au brichet, et en glieu de rabas un grand mouchoir de cou a2 riziau aveuc quatre grosses houpes de linge qui leu pendont sur l'estomaque. Ils avont itou d'autres petits rabats au bout des bras, et de grands entonnois de passement aux jambes, et parmy tout c5a tant de rubans, tant de rubans, que c'est une vraye piquie1. Ignia pas jusqu'aux souliers qui n'en soiont farcis tout de pis un bout jusqu'a2 l'autre, et ils sont faits d'eune fac5on que je me romprois le cou aveuc. {CHARLOTE.} Par ma fy, Piarrot, il faut que j'aille voir un peu c5a. {PIERROT.} O acoute un peu auparavant, Charlote, j'ay queuque autre chose a2 te dire, moy. {CHARLOTE.} Et bian, dy, qu'est-ce que c'est? {PIERROT.} Vois-tu, Charlote, il faut, comme dit l'autre, que je de1bonde mon coe6ur. Je taime, tu le sc5ais bian, et je somme pour estre mariez ensemble, mais marquenne, je ne suis point satisfait de toy. {CHARLOTE.} Quement? qu'est-ce que c'est donc qu'iglia? {PIERROT.} Iglia que tu me chagraignes l'esprit franchement. {CHARLOTE.} Et quement donc? {PIERROT.} Testiguienne, tu ne maimes point. {CHARLOTE.} Ah, ah, n'est-ce que c5a? {PIERROT.} Ou4y, ce n'est que c5a, et c'est bian assez. {CHARLOTE.} Mon quieu, Piarrot, tu me viens toujou dire la mesme chose. {PIERROT.} Je te dis toujou la mesme chose, parce que c'est toujou la mesme chose, et si ce n'estoit pas toujou la mesme chose, je ne te dirois pas toujou la mesme chose. {CHARLOTE.} Mais, qu'est-ce qu'il te faut? que veux-tu? {PIERROT.} Jerniquenne, je veux que tu m'aimes. {CHARLOTE.} Est-ce que je ne taime pas? {PIERROT.} Non, tu ne maimes pas, et si je fais tout ce que je pis pour c5a. Je tachete, sans reproche, des rubans a2 tous les Marciers qui passont, je me romps le cou a2 taller denicher des marles, je fais jou4er pour toy les Vielleux quand ce vient ta feste, et tout c5a comme si je me frapois la teste contre un mur. Vois-tu, c5a n'est ny biau ny honneste de naimer pas les gens qui nous aimont. {CHARLOTE.} Mais, mon guieu, je taime aussi. {PIERROT.} Ou4y, tu maimes dune belle deguaine. {CHARLOTE.} Quement veux tu donc qu'on fasse? {PIERROT.} Je veux que l'en fasse comme l'en fait quand l'en aime comme il faut. {CHARLOTE.} Ne taimay-je pas aussi comme il faut? {PIERROT.} Non, quand c5a est, c5a se void, et l'en fait mille petites singeries aux personnes quand on les aime du bon du coe6ur. Regarde la grosse Thomasse comme elle est assote1e du jeune Robain, alle est toujou autour de ly a2 lagacer, et ne le laisse jamais en repos. Toujou al ly fait queuque niche, ou ly baille quelque taloche en passant, et l'autre jour qu'il estoit assis sur un escabiau, al fut le tirer de dessous ly, et le fit choir tout de son long par tarre. Jarny ula ou2 len voit les gens qui aimont, mais toy, tu ne me dis jamais mot, t'es toujou la2 comme eune vraye souche de bois, et je passerois ving fois devant toy que tu ne te grou4illerois pas pour me bailler le moindre coup, ou me dire la moindre chose. Ventrequenne, c5a n'est pas bian, apre1s tout, et t'es trop froide pour les gens. {CHARLOTE.} Que veux-tu que j'y fasse? c'est mon himeur, et je ne me pis refondre. {PIERROT.} Ignia himeur qui quienne, quand en a de l'amiquie1 pour les personnes, lan en baille toujou queuque petite signifiance. {CHARLOTE.} Enfin, je taime tout autant que je pis, et si tu n'es pas content de c5a, tu n'as qu'a2 en aimer queuquautre. {PIERROT.} Eh bien, ula pas mon conte? Testigue1, si tu m'aimois, me dirois-tu c5a? {CHARLOTE.} Pourquoy me viens-tu aussi tarabuster l'esprit? {PIERROT.} Morque1, queu mal te fais-je? je ne te demande qu'un peu d'amiquie1. {CHARLOTE.} Et bian, laisse faire aussi, et ne me presse point tant, peut-estre que c5a viendra tout d'un coup sans y songer. {PIERROT.} Touche donc la2, Charlote. {CHARLOTE.} Et bien, quien. {PIERROT.} Promets-moy donc que tu ta3cheras de maimer davantage. {CHARLOTE.} J'y feray tout ce que je pourray, mais il faut que c5a vienne de luy-mesme. Pierrot, est-ce la2 ce Monsieur? {PIERROT.} Ou4y, le ula. {CHARLOTE.} Ah, mon quieu, qu'il est genty, et que c5'auroit este1 dommage qu'il eust e1te1 naye1. {PIERROT.} Je revians tout a2 l'heure, je m'en vas boire chopaine pour me rebouter tant soit peu de la fatigue que j'ays eue4. {SCENE II.} {D. JUAN, SGANARELLE, CHARLOTE.} {D. JUAN.} Nous avons manque1 nostre coup, Sganarelle, et cette bourasque impreveue4 a renverse1 avec nostre barque le projet que nous avions fait; mais a2 te dire vray, la Paysane que je viens de quiter repare ce mal-heur, et je luy ay trouve1 des charmes qui effacent de mon esprit tout le chagrin que me donnoit le mauvais succez de nostre entreprise. Il ne faut pas que ce coe6ur m'e1chape, et j'y ay de1ja jette1 des dispositions a2 ne pas me souffrir long-temps de pousser des sou3pirs. {SGANARELLE.} Monsieur, j'avou4e que vous m'estonnez; a2 peine sommes-nous e1chapez d'un peril de mort, qu'au lieu de rendre grace au Ciel de la pitie1 qu'il a daigne1 prendre de nous, vous travaillez tout de nouveau a2 attirer sa colere par vos fantaisies accou3tume1es, et vos amours cr... Paix, coquin que vous estes, vous ne sc5avez ce que vous dites, et Monsieur sc5ait ce qu'il fait, allons. {D. JUAN appercevant Charlotte.} Ah, ah, d'ou2 sort cette autre Paysane, Sganarelle? as-tu rien veu de plus joly, et ne trouves-tu pas, dy-moy, que celle-cy vaut bien l'autre? {SGANARELLE.} Assure1ment. Autre piece nouvelle. {D. JUAN.} D'ou2 me vient, la Belle, une rencontre si agreable? quoy, dans ces lieux champestres, parmy ces arbres et ces rochers, on trouve des personnes faites comme vous estes? {CHARLOTE.} Vous voyez, Monsieur. {D. JUAN.} Estes-vous de ce Village? {CHARLOTE.} Ou4y, Monsieur. {D. JUAN.} Et vous y demeurez? {CHARLOTE.} Ou4y, Monsieur. {D. JUAN.} Vous vous appellez? {CHARLOTE.} Charlote, pour vous servir. {D. JUAN.} Ah! la belle personne, et que ses yeux sont penetrans! {CHARLOTE.} Monsieur, vous me rendez toute honteuse. {D. JUAN.} Ah, n'ayez point de honte d'entendre dire vos veritez. Sganarelle, qu'en dis-tu? peut-on rien voir de plus agreable? Tournez-vous un peu, s'il vous plaist, ah que cette taille est jolie! haussez un peu la teste, de grace, ah que ce visage est mignon. Ouvrez vos yeux entierement, ah qu'ils sont beaux! Que je voye un peu vos dents, je vous prie, ah qu'elles sont amoureuses! et ces le1vres appetissantes. Pour moy, je suis ravy, et je n'ay jamais veu une si charmante personne. {CHARLOTE.} Monsieur, cela vous plaist a2 dire, et je ne sc5ay pas si c'est pour vous railler de moy. {D. JUAN.} Moy, me railler de vous? Dieu m'en garde, je vous aime trop pour cela, et c'est du fond du coe6ur que je vous parle. {CHARLOTE.} Je vous suis bien oblige1e, si c5a est. {D. JUAN.} Point du tout, vous ne m'estes point oblige1e de tout ce que je dis, et ce n'est qu'a2 vostre beaute1 que vous en estes redevable. {CHARLOTE.} Monsieur, tout c5a est trop bien dit pour moy, et je n'ay pas d'esprit pour vous re1pondre. {D. JUAN.} Sganarelle, regarde un peu ses mains. {CHARLOTE.} Fy, Monsieur, elles sont noires comme je ne sc5ay quoy. {D. JUAN.} Ha que dites-vous la2? elles sont les plus belles du monde, souffrez que je les baise, je vous prie. {CHARLOTE.} Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me faites, et si j'avois sceu c5a tantost, je n'aurois pas manque1 de les laver avec du son. {D. JUAN.} Et dites-moy un peu, Belle Charlote, vous n'estes pas marie1e sans doute? {CHARLOTE.} Non, Monsieur, mais je dois bien-tost l'estre avec Piarrot, le fils de la voisine Simonete. {D. JUAN.} Quoy, une personne comme vous seroit la femme d'un simple Paysan? non, non, c'est profaner tant de beautez, et vous n'estes pas ne1e pour demeurer dans un Village, vous meritez sans doute une meilleure fortune, et le Ciel qui le connoist bien, m'a conduit icy tout expre1s pour empescher ce mariage, et rendre justice a2 vos charmes: car enfin, Belle Charlote, je vous aime de tout mon coe6ur, et il ne tiendra qu'a2 vous que je vous arrache de ce miserable lieu, et ne vous mette dans l'estat ou2 vous meritez d'estre. Ce1t amour est bien prompt sans doute; mais quoy, c'est un effet, Charlote, de vostre grande beaute1, et l'on vous aime autant en un quart d'heure, qu'on feroit une autre en six mois. {CHARLOTE.} Aussi vray, Monsieur, je ne sc5ay comment faire quand vous parlez, ce que vous dites me fait aise, et j'aurois toutes les envies du monde de vous croire, mais on m'a toujou dit, qu'il ne faut jamais croire les Monsieux, et que vous autres Courtisans estes des enjoleus, qui ne songez qu'a2 abuser les filles. {D. JUAN.} Je ne suis pas de ces gens-la2. {SGANARELLE.} Il n'a garde. {CHARLOTE.} Voyez-vous, Monsieur, il n'y a pas plaisir a2 se laisser abuser, je suis une pauvre Paysane, mais j'ay l'honneur en recommandation, et j'aimerois mieux me voir morte que de me voir deshonore1e. {D. JUAN.} Moy, j'aurois l'ame assez me1chante pour abuser une personne comme vous, je serois assez la3che pour vous deshonorer? non, non, j'ay trop de conscience pour cela, je vous aime, Charlote, en tout bien et en tout honneur, et pour vous montrer que je vous dis vray, sc5achez que je n'ay point d'autre dessein que de vous e1pouser. En voulez-vous un plus grand te1moignage? M'y voila prest quand vous voudrez, et je prends a2 te1moin l'homme que voila de la parole que je vous donne. {SGANARELLE.} Non, non, ne craignez point, il se mariera avec vous tant que vous voudrez. {D. JUAN.} Ah, Charlote, je vois bien que vous ne me connoissez pas encore, vous me faites grand tort de juger de moy par les autres, et s'il y a des fourbes dans le monde, des gens qui ne cherchent qu'a2 abuser des Filles, vous devez me tirer du nombre, et ne pas mettre en doute la sincerite1 de ma foy, et puis vostre beaute1 vous assure de tout. Quand on est faite comme vous, on doit estre a2 couvert de toutes ces sortes de crainte, vous n'avez point l'air, croyez-moy, d'une personne qu'on abuse, et pour moy, je l'avou4e, je me percerois le coe6ur de mille coups, si j'avois eu la moindre pense1e de vous trahir. {CHARLOTE.} Mon Dieu, je ne sc5ay si vous dites vray ou non, mais vous faites que l'on vous croit. {D. JUAN.} Lors que vous me croirez, vous me rendrez justice assure1ment, et je vous rei4tere encore la promesse que je vous ay faite, ne l'acceptez-vous pas? et ne voulez-vous pas consentir a2 estre ma femme? {CHARLOTE.} Ou4y, pourveu que ma Tante le veu4ille. {D. JUAN.} Touchez donc la2, Charlote, puis que vous le voulez bien de vostre part. {CHARLOTE.} Mais au moins, Monsieur, ne m'allez pas tromper, je vous prie, il y auroit de la conscience a2 vous, et vous voyez comme j'y vais a2 la bonne foy. {D. JUAN.} Comment, il semble que vous doutiez encore de ma sincerite1? Voulez-vous que je fasse des sermens e1pouvantables? Que le Ciel... {CHARLOTE.} Mon Dieu, ne jurez point, je vous croy. {D. JUAN.} Donnez-moy donc un petit baiser pour gage de vostre parole. {CHARLOTE.} Oh, Monsieur, attendez que je soyons mariez, je vous prie, apre1s c5a je vous baiseray tant que vous voudrez. {D. JUAN.} Et bien, Belle Charlote, je veux tout ce que vous voulez, abandonnez-moy seulement vostre main, et souffrez que par mille baisers je luy exprime le ravissement ou2 je suis... {SCENE III.} {D. JUAN, SGANARELLE, PIERROT, CHARLOTTE.} {PIERROT se mettant entre deux et poussant D. Juan.} Tout doucement, Monsieur tenez-vous, s'il vous plaist, vous vous e1chauffez trop, et vous pourriez gagner la puresie. {D. JUAN repoussant rudement Pierrot.} Qui m'amene ce1t impertinent? {PIERROT.} Je vous dis qu'ou vous tegniez, et qu'ou ne carressiais point nos accorde1es. {D. JUAN continue4 de le repousser.} Ah, que de bruit. {PIERROT.} Jerniquenne, ce n'est pas comme c5a qu'il faut pousser les gens. {CHARLOTE prenant Pierrot par le bras.} Et laisse-le faire aussi, Piarrot. {PIERROT.} Quement, que je le laisse faire. Je ne veux pas, moy! {D. JUAN.} Ah. {PIERROT.} Testiguenne, par ce qu'ous estes Monsieu, ous viendrez caresser nos femmes a2 note barbe? allez u-s-en caresser les vostres. {D. JUAN.} Heu? {PIERROT.} Heu. {D. Juan luy donne un soufflet.} Testigue1, ne me frapez pas. {Autre soufflet.} Oh, jernigue1! {Autre soufflet.} Ventreque1! {Autre soufflet.} Palsanque1, morquenne, c5a n'est pas bian de batre les gens, et ce n'est pas la2 la recompense de u-s-avoir sauve1 d'estre naye1. {CHARLOTE.} Piarrot, ne te fasche point. {PIERROT.} Je me veux fascher, et t'es une vilainte toy d'endurer qu'on te caieole. {CHARLOTE.} Oh, Piarrot, ce n'est pas ce que tu penses, ce Monsieur veut m'e1pouser, et tu ne dois pas te bouter en colere. {PIERROT.} Quement? jerny, tu m'es promise. {CHARLOTE.} C5a n'y fait rien, Piarrot, si tu m'aimes, ne dois-tu pas estre bien-aise que je devienne Madame. {PIERROT.} Jernique1, non, j'aime mieux te voir creve1e que de te voir a2 un autre. {CHARLOTE.} Va va, Piarrot, ne te mets point en peine; si je sis Madame, je te feray gagner queuque chose, et tu apporteras du beurre et du fromage cheux nous. {PIERROT.} Ventrequenne, je gny en porteray jamais quand tu m'en poyrois deux fois autant. Est-ce donc comme c5a que t'escoutes ce qu'il te dit? Morquenne, si j'avois sceu c5a tantost, je me serois bian garde1 de le tirer de gliau, et je gly aurois baille1 un bon coup d'aviron sur la teste. {D. JUAN s'aprochant de Pierrot pour le fraper.} Qu'est-ce que vous dites? {PIERROT s'e1loignant derriere Charlote.} Jerniquenne, je ne crains parsonne. {D. JUAN passe du coste1 ou2 est Pierrot.} Attendez-moy un peu. {PIERROT repasse de l'autre coste1 de Charlote.} Je me moque de tout, moy. {D. JUAN court apre1s Pierrot.} Voyons cela. {PIERROT se sauve encore derriere Charlote.} J'en avons bien veu d'autres. {D. JUAN.} Hou4ais. {SGANARELLE.} Eh, Monsieur, laissez-la2 ce pauvre miserable. C'est conscience de le batre. Ecoute, mon pauvre Garc5on, retiretoy, et ne luy dis rien. {PIERROT passe devant Sganarelle, et dit fierement a2 D. Juan.} Je veux luy dire, moy. {D. JUAN leve la main pour donner un soufflet a2 Pierrot, qui baisse la teste, et Sganarelle rec5oit le soufflet.} Ah, je vous apprendray. {SGANARELLE regardant Pierrot qui s'est baisse1 pour e1viter le soufflet.} Peste soit du maroufle. {D. JUAN.} Te voila paye1 de ta charite1. {PIERROT.} Jarny, je vas dire a2 sa Tante tout ce me1nage-cy. {D. JUAN.} Enfin, je m'en vais estre le plus heureux de tous les hommes, et je ne changerois pas mon bonheur a2 toutes les choses du monde. Que de plaisirs quand vous serez ma femme, et que... {SCENE IV.} {D. JUAN, SGANARELLE, CHARLOTE, MATHURINE.} {SGANARELLE appercevant Mathurine.} Ah, ah. {MATHURINE a2 Dom Juan.} Monsieur, que faites vous donc la2 avec Charlote, est-ce que vous luy parlez d'amour aussi? {D. JUAN a2 Mathurine.} Non, au contraire, c'est elle qui me te1moignoit une envie d'estre ma femme, et je luy re1pondois que j'estois engage1 a2 vous. {CHARLOTE.} Qu'est-ce que c'est donc que vous veut Mathurine? {D. JUAN bas a2 Charlotte.} Elle est jalouse de me voir vous parler, et voudroit bien que je l'e1pousasse, mais je luy dis que c'est vous que je veux. {MATHURINE.} Quoy, Charlote... {D. JUAN bas a2 Mathurine.} Tout ce que vous luy direz sera inutile, elle s'est mis cela dans la teste. {CHARLOTE.} Quement donc Mathurine... {D. JUAN bas a2 Charlote.} C'est en vain que vous luy parlerez, vous ne luy osterez point cette fantaisie. {MATHURINE.} Est-ce que... {D. JUAN bas a2 Mathurine.} Il n'y a pas moyen de luy faire entendre raison. {CHARLOTE.} Je voudrois... {D. JUAN bas a2 Charlotte.} Elle est obstine1e comme tous les Diables. {MATHURINE.} Vramant... {D. JUAN bas a2 Mathurine.} Ne luy dites rien, c'est une folle. {CHARLOTE.} Je pense... {D. JUAN bas a2 Charlote.} Laissez-la la2, c'est une extravagante. {MATHURINE.} Non, non, il faut que je luy parle. {CHARLOTE.} Je veux voir un peu ses raisons. {MATHURINE.} Quoy... {D. JUAN bas a2 Mathurine.} Je gage qu'elle va vous dire que je luy ay promis de l'e1pouser. {CHARLOTE.} Je... {D. JUAN bas a2 Charlote.} Gageons qu'elle vous soustiendra que je luy ay donne1 parole de la prendre pour femme. {MATHURINE.} Hola, Charlote, c5a n'est pas bien de courir sur le marche1 des autres. {CHARLOTE.} C5a n'est pas honneste, Mathurine, d'estre jalouse que Monsieur me parle. {MATHURINE.} C'est moy que Monsieur a veu la premiere. {CHARLOTE.} S'il vous a veu la premiere, il m'a veu la seconde, et m'a promis de m'e1pouser. {D. JUAN bas a2 Mathurine.} Et bien, que vous ay-je dit? {MATHURINE.} Je vous baise les mains, c'est moy, et non pas vous qu'il a promis d'e1pouser. {D. JUAN bas a2 Charlote.} N'ay-je pas devine1? {CHARLOTE.} A d'autres, je vous prie, c'est moy, vous dis-je. {MATHURINE.} Vous vous moquez des gens, c'est moy, encore un coup. {CHARLOTE.} Le ula qui est pour le dire, si je n'ay pas raison. {MATHURINE.} Le ula qui est pour me dementir, si je ne dis pas vray. {CHARLOTE.} Est-ce, Monsieu, que vous luy avez promis de l'e1pouser? {D. JUAN bas a2 Charlote.} Vous vous raillez de moy. {MATHURINE.} Est-il vray, Monsieur, que vous luy avez donne1 parole d'estre son mary? {D. JUAN bas a2 Mathurine.} Pouvez-vous avoir cette pense1e? {CHARLOTE.} Vous voyez qu'al le sou3tient. {D. JUAN bas a2 Charlote.} Laissez-la faire. {MATHURINE.} Vous estes te1moin comme al l'assure. {D. JUAN bas a2 Mathurine.} Laissez-la dire. {CHARLOTE.} Non, non, il faut sc5avoir la verite1. {MATHURINE.} Il est question de juger c5a. {CHARLOTE.} Ou4y, Mathurine, je veux que Monsieur vous montre vostre bec jaune. {MATHURINE.} Ou4y, Charlote, je veux que Monsieur vous rende un peu camuse. {CHARLOTE.} Monsieur, vuidez la querelle, s'il vous plai3t. {MATHURINE.} Mettez-nous d'accord, Monsieur. {CHARLOTE a2 Mathurine.} Vous allez voir. {MATHURINE a2 Charlote.} Vous allez voir vous mesme. {CHARLOTE a2 D. Juan.} Dites. {MATHURINE a2 D. Juan.} Parlez. {D. JUAN embarasse1 leur dit a2 toutes deux.} Que voulez-vous que je dise? vous sou3tenez e1galement toutes deux que je vous ay promis de vous prendre pour femmes. Est-ce que chacune de vous ne sc5ait pas ce qui en est, sans qu'il soit necessaire que je m'explique davantage? pourquoy m'obliger la2-dessus a2 des redites? celle a2 qui j'ay promis effectivement n'a-t-elle pas en elle-mesme dequoy se moquer des discours de l'autre, et doit-elle se mettre en peine pourveu que j'accomplisse ma promesse? Tous les discours n'avancent point les choses, il faut faire, et non pas dire, et les effets de1cident mieux que les paroles. Aussi n'est-ce rien que par la2 que je vous veux mettre d'accord, et l'on verra quand je me marieray, laquelle des deux a mon coe6ur. {Bas, a2 Mathurine.} Laissez-luy croire ce qu'elle voudra. {Bas, a2 Charlotte.} Laissez-la se flater dans son imagination. {Bas, a2 Mathurine.} Je vous adore. {Bas, a2 Charlotte.} Je suis tout a2 vous. {Bas, a2 Mathurine.} Tous les visages sont laids aupre1s du vostre. {Bas, a2 Charlote.} On ne peut plus souffrir les autres quand on vous a veue4. J'ay un petit ordre a2 donner, je viens vous retrouver dans un quart d'heure. {CHARLOTE a2 Mathurine.} Je suis celle qu'il aime, au moins. {MATHURINE.} C'est moy qu'il e1pousera. {SGANARELLE.} Ah, pauvres filles que vous estes, j'ay pitie1 de vostre innocence, et je ne puis souffrir de vous voir courir a2 vostre malheur. Croyez-moy l'une et l'autre, ne vous amusez point a2 tous les contes qu'on vous fait, et demeurez dans vostre village. {D. JUAN revenant.} Je voudrois bien sc5avoir pourquoy Sganarelle ne me suit pas. {SGANARELLE a2 ces filles.} Mon Maistre est un fourbe, il n'a dessein que de vous abuser, et en a bien abuse1 d'autres, c'est l'Epouseur du genre humain, et... ({il apperc5oit D. Juan}) cela est faux, et quiconque vous dira cela, vous luy devez dire qu'il en a menty. Mon Maistre n'est point l'Epouseur du genre humain, il n'est point fourbe, il n'a pas dessein de vous tromper, et n'en a point abuse1 d'autres. Ah, tenez, le voila, demandez-le plu3tost a2 luy-mesme. {D. JUAN.} Ou4y. {SGANARELLE.} Monsieur, comme le monde est plein de me1disans, je vais au devant des choses, et je leur disois que si quelqu'un leur venoit dire du mal de vous, elles se gardassent bien de le croire, et ne manquassent pas de luy dire qu'il en auroit menty. {D. JUAN.} Sganarelle. {SGANARELLE.} Ou4y, Monsieur est homme d'honneur, je le garantis tel. {D. JUAN.} Hon. {SGANARELLE.} Ce sont des impertinens. {SCENE V.} {D. JUAN, LA RAME1E, CHARLOTE, MATHURINE, SGANARELLE.} {LA RAME1E.} Monsieur, je viens vous avertir qu'il ne fait pas bon icy pour vous. {D. JUAN.} Comment? {LA RAME1E.} Douze hommes a2 cheval vous cherchent, qui doivent arriver icy dans un moment, je ne sc5ay pas par quel moyen ils peuvent vous avoir suivy, mais j'ay appris cette nouvelle d'un Pai4san qu'ils ont interroge1, et auquel ils vous ont de1peint. L'affaire presse, et le plu3tost que vous pourrez sortir d'icy, sera le meilleur. {D. JUAN a2 Charlote et Mathurine.} Une affaire pressante m'oblige de partir d'icy, mais je vous prie de vous ressouvenir de la parole que je vous ay donne1e, et de croire que vous aurez de mes nouvelles avant qu'il soit demain au soir. Comme la partie n'est pas e1gale, il faut user de stratageme, et e1luder adroitement le malheur qui me cherche, je veux que Sganarelle se reveste de mes habits, et moy... {SGANARELLE.} Monsieur, vous vous moquez, m'exposer a2 estre tue1 sous vos habits, et... {D. JUAN.} Allons viste, c'est trop d'honneur que je vous fais, et bien heureux est le Valet qui peut avoir la gloire de mourir pour son Maistre. {SGANARELLE.} Je vous remercie d'un tel honneur. O Ciel, puis qu'il s'agit de mort, fais-moy la grace de n'estre point pris pour un autre. {ACTE III.} {SCENE PREMIERE.} {D. JUAN en habit de campagne, SGANARELLE en Medecin.} {SGANARELLE.} Ma foy, Monsieur, avou4ez que j'ay eu raison, et que nous voila l'un et l'autre de1guisez a2 merveille. Vostre premier dessein n'estoit point du tout a2 propos, et cecy nous cache bien mieux que tout ce que vous vouliez faire. {D. JUAN.} Il est vray que te voila bien, et je ne sc5ay ou2 tu as este1 de1terrer ce1t attirail ridicule. {SGANARELLE.} Ou4y? c'est l'habit d'un vieux Medecin qui a este1 laisse1 en gage au lieu ou2 je l'ay pris, et il m'en a cou3te1 de l'argent pour l'avoir. Mais sc5avez-vous, Monsieur, que ce1t habit me met de1ja en consideration? que je suis salue1 des gens que je rencontre, et que l'on me vient consulter ainsi qu'un habile homme? {D. JUAN.} Comment donc? {SGANARELLE.} Cinq ou six Pai4sans et Pai4sanes en me voyant passer me sont venus demander mon avis sur differentes maladies. {D. JUAN.} Tu leur as re1pondu que tu n'y entendois rien? {SGANARELLE.} Moy? point du tout, j'ay voulu sou3tenir l'honneur de mon habit, j'ay raisonne1 sur le mal, et leur ay fait des ordonnances a2 chacun. {D. JUAN.} Et quels remedes encore leur as-tu ordonnez? {SGANARELLE.} Ma foy, Monsieur, j'en ay pris par ou2 j'en ay pu3 attraper, j'ay fait mes ordonnances a2 l'avanture, et ce seroit une chose plaisante si les malades gue1rissoient, et qu'on m'en vinst remercier. {D. JUAN.} Et pourquoy non? par quelle raison n'aurois-tu pas les mesmes privileges qu'ont tous les autres Medecins? ils n'ont pas plus de part que toy aux gue1risons des malades, et tout leur art est pure grimace. Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succez, et tu peux profiter comme eux du bon-heur du malade, et voir attribuer a2 tes remedes tout ce qui peut venir des faveurs du hazard, et des forces de la nature. {SGANARELLE.} Comment, Monsieur, vous estes aussi impie en Medecine? {D. JUAN.} C'est une des grandes erreurs qui soit parmy les hommes. {SGANARELLE.} Quoy, vous ne croyez pas au sene1, ny a2 la casse, ny au vin hemetique? {D. JUAN.} Et pourquoy veux tu que j'y croye? {SGANARELLE.} Vous avez l'ame bien me1creante. Cependant vous voyez depuis un temps que le vin hemetique fait bruire ses fuseaux. Ses miracles ont converty les plus incredules esprits, et il n'y a pas trois semaines que j'en ay veu, moy qui vous parle, un effet merveilleux. {D. JUAN.} Et quel? {SGANARELLE.} Il y avoit un homme qui depuis six jours estoit a2 l'agonie, on ne sc5avoit plus que luy ordonner, et tous les remedes ne faisoient rien, on s'avisa a2 la fin de luy donner de l'hemetique. {D. JUAN.} Il re1chapa, n'est-ce pas? {SGANARELLE.} Non, il mourut. {D. JUAN.} L'effet est admirable. {SGANARELLE.} Comment? il y avoit six jours entiers qu'il ne pouvoit mourir, et cela le fit mourir tout d'un coup. Voulez-vous rien de plus efficace? {D. JUAN.} Tu as raison. {SGANARELLE.} Mais laissons-la2 la Medecine ou2 vous ne croyez point, et parlons des autres choses: car ce1t habit me donne de l'esprit, et je me sens en humeur de disputer contre vous. Vous sc5avez bien que vous me permettez les disputes, et que vous ne me de1fendez que les remontrances. {D. JUAN.} He1 bien! {SGANARELLE.} Je veux sc5avoir un peu vos pense1es a2 fonds. Est-il possible que vous ne croyez point du tout au Ciel? {D. JUAN.} Laissons cela. {SGANARELLE.} C'est-a2-dire que non; et a2 l'Enfer? {D. JUAN.} Eh. {SGANARELLE.} Tout de mesme; et au Diable s'il vous plaist? {D. JUAN.} Ou4y, ou4y. {SGANARELLE.} Aussi peu; ne croyez-vous point l'autre vie? {D. JUAN.} Ah, ah, ah. {SGANARELLE.} Voila un homme que j'auray bien de la peine a2 convertir. Et, dites-moy un peu, [le Moine bourru, qu'en croyez-vous? eh! {D. JUAN.} La peste soit du fat. {SGANARELLE.} Et voyla ce que je ne puis souffrir, car il n'y a rien de plus vray que le Moine bourru; et je me ferois pendre pour celuy-la2; mais] encore faut-il croire quelque chose [dans le monde], qu'est-ce [donc] que vous croyez? {D. JUAN.} Ce que je croy? {SGANARELLE.} Ou4y. {D. JUAN.} Je croy que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit. {SGANARELLE.} La belle croyance [et les beaux articles de foi] que voila; vostre religion, a2 ce que je vois, est donc l'aritmetique; il faut avou4er qu'il se met d'e1tranges folies dans la teste des hommes, et que pour avoir bien estudie1 on en est bien moins sage le plus souvent; pour moy, Monsieur, je n'ay point estudie1 comme vous, Dieu mercy, et personne ne sc5auroit se vanter de m'avoir jamais rien appris, mais avec mon petit sens, mon petit jugement, je voy les choses mieux que tous les livres, et je comprens fort bien que ce monde, que nous voyons, n'est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuict. Je voudrois bien vous demander qui a fait ces arbres-la2, ces rochers, cette terre, et ce Ciel que voila2 la2-haut, et si tout cela s'est basty de luy-mesme; vous voila2 vous par exemple, vous estes la2; est-ce que vous vous estes fait tout seul, et n'a-t-il pas fallu que vostre pere ait engrosse1 vostre mere pour vous faire? pouvez-vous voir toutes les inventions, dont la machine de l'homme est compose1e, sans admirer de quelle fac5on cela est ageance1 l'un dans l'autre? ces nerfs, ces os, ces veines, ces arteres, ces... ce poumon, ce coe6ur, ce foye, et tous ces autres ingrediens qui sont la2 et qui... oh dame, interrompez-moy donc si vous voulez, je ne sc5aurois disputer si l'on ne m'interrompt, vous vous taisez expre1s, et me laissez parler par belle malice. {D. JUAN.} J'attends que ton raisonnement soit finy. {SGANARELLE.} Mon Raisonnement est qu'il y a quelque chose d'admirable dans l'homme quoy que vous puissiez dire, que tous les sc5avans ne sc5auroient expliquer; cela n'est-il pas merveilleux que me voila2 icy, et que j'aye quelque chose dans la teste qui pense cent choses differentes en un moment, et fait de mon corps tout ce qu'elle veut! je veux frapper des mains, hausser le bras, lever les yeux au Ciel, baisser la teste, remuer les pieds, aller a2 droit, a2 gauche, en avant, en arriere, tourner... {Il se laisse tomber en tournant. {D. JUAN.} Bon voila ton raisonnement qui a le nez casse1. {SGANARELLE.} Morbleu, je suis bien sot de m'amuser a2 raisonner avec vous; croyez ce que vous voudrez, il m'importe bien que vous soyez damne1! {D. JUAN.} Mais tout en raisonnant, je croy que nous sommes e1garez; appelle un peu ce1t homme que voila la2-bas, pour luy demander le chemin. {SGANARELLE.} Hola, ho, l'homme; ho, mon compere, ho l'amy, un petit mot, s'il vous plaist. {SCENE II.} {D. JUAN, SGANARELLE, FRANCISQUE.} {SGANARELLE.} Enseignez-nous un peu le chemin qui meine a2 la Ville. {LE PAUVRE.} Vous n'avez qu'a2 suivre cette route, Messieurs, et de1tourner a2 main droite quand vous serez au bout de la forest. Mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que depuis quelque temps, il y a des voleurs icy autour. {D. JUAN.} Je te suis bien oblige1, mon amy, et je te rends graces de tout mon coe6ur. {LE PAUVRE.} Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumosne. {D. JUAN.} Ah, ah, ton avis est interesse1 a2 ce que je vois. {LE PAUVRE.} Je suis un Pauvre homme, Monsieur, retire1 tout seul dans ce bois depuis dix ans, et je ne manqueray pas de prier le Ciel qu'il vous donne toute sorte de biens. {D. JUAN.} Eh, prie-le qu'il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres. {SGANARELLE.} Vous ne connoissez pas Monsieur, bon homme, il ne croit qu'en deux et deux sont quatre, et en quatre et quatre sont huit. {D. JUAN.} Quelle est ton occupation parmy ces arbres? {LE PAUVRE.} De prier le Ciel tout le jour pour la prosperite1 des gens de bien qui me donnent quelque chose. {D. JUAN.} Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien a2 ton aise? {LE PAUVRE.} Helas, Monsieur, je suis dans la plus grande necessite1 du monde. {D. JUAN.} Tu te moques, un homme qui prie le Ciel tout le jour ne peut pas manquer d'estre bien dans ses affaires. {LE PAUVRE.} Je vous asseure, Monsieur, que le plus souvent je n'ay pas un morceau de pain a2 mettre sous les dents. {D. JUAN.} [Voila qui est e1trange, et tu es bien mal reconnu de tes soins; ah ah, je m'en vais te donner un Louis d'or tout a2 l'heure pourveu que tu veuilles jurer. {LE PAUVRE.} Ah, Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel pe1che1? {D. JUAN.} Tu n'as qu'a2 voir si tu veux gagner un Louis d'or ou non, en voici un que je te donne si tu jures, tiens il faut jurer. {LE PAUVRE.} Monsieur. {D. JUAN.} A moins de cela tu ne l'auras pas. {SGANARELLE.} Va, va, jure un peu, il n'y a pas de mal. {D. JUAN.} Prens, le voila, prens te dis-je, mais jure donc. {LE PAUVRE.} Non Monsieur, j'ayme mieux mourir de faim. {D. JUAN.} Va va,] je te le donne pour l'amour de l'humanite1. Mais que voy-je la2, un homme attaque1 par trois autres? la partie est trop ine1gale, et je ne dois pas souffrir cette laschete1. {Il court au lieu du combat. {SCENE III.} {D. JUAN, D. CARLOS, SGANARELLE.} {SGANARELLE.} Mon Mai3tre est un vray enrage1 d'aller se presenter a2 un peril qui ne le cherche pas, mais, ma foy, le secours a servy, et les deux ont fait fuir les trois. {D. CARLOS l'e1pe1e a2 la main.} On voit par la fuite de ces voleurs de quel secours est vostre bras, souffrez, Monsieur, que je vous rende grace d'une action si genereuse, et que... {D. JUAN revenant l'e1pe1e a2 la main.} Je n'ay rien fait, Monsieur, que vous n'eussiez fait en ma place. Nostre propre honneur est interesse1 dans de pareilles avantures, et l'action de ces coquins estoit si la3che, que c'eust este1 y prendre part que de ne s'y pas opposer, mais par quelle rencontre vous estes-vous trouve1 entre leurs mains? {D. CARLOS.} Je m'estois par hazard e1gare1 d'un frere, et de tous ceux de nostre suite, et comme je cherchois a2 les rejoindre, j'ay fait rencontre de ces voleurs, qui d'abord ont tue1 mon cheval, et qui sans vo3tre valeur en auroient fait autant de moy. {D. JUAN.} Vostre dessein est-il d'aller du coste1 de la Ville? {D. CARLOS.} Ou4y, mais sans y vouloir entrer, et nous nous voyons obligez mon frere et moy a2 tenir la campagne pour une de ces fascheuses affaires qui reduisent les Gentilshommes a2 se sacrifier eux et leur famille a2 la severite1 de leur honneur, puis qu'enfin le plus doux succez en est tou3jours funeste, et que si l'on ne quite pas la vie, on est contraint de quiter le Royaume; et c'est en quoy je trouve la condition d'un Gentilhomme malheureuse, de ne pouvoir point s'assurer sur toute la prudence et toute l'honnestete1 de sa conduite, d'estre asservy par les Loix de l'honneur au de1reglement de la conduite d'autruy, et de voir sa vie, son repos, et ses biens de1pendre de la fantaisie du premier temeraire qui s'avisera de luy faire une de ces injures pour qui un honneste homme doit perir. {D. JUAN.} On a ce1t avantage qu'on fait courir le mesme risque, et passer aussi mal le temps a2 ceux qui prennent fantaisie de nous venir faire une offense de gayete1 de coe6ur. Mais ne seroit-ce point une indiscretion que de vous demander quelle peut estre vostre affaire? {D. CARLOS.} La chose en est aux termes de n'en plus faire de secret, et lors que l'injure a une fois e1clate1, nostre honneur ne va point a2 vouloir cacher nostre honte, mais a2 faire e1clater nostre vengeance, et a2 publier mesme le dessein que nous en avons. Ainsi, Monsieur, je ne feindray point de vous dire que l'offense que nous cherchons a2 vanger, est une soe6ur seduite et enleve1e d'un Convent, et que l'Auteur de cette offence est un D. Juan Tenorio, fils de D. Lou4is Tenorio. Nous le cherchons depuis quelques jours, et nous l'avons suivy ce matin sur le rapport d'un Valet, qui nous a dit qu'il sortoit a2 cheval accompagne1 de quatre ou cinq, et qu'il avoit pris le long de cette coste, mais tous nos soins ont este1 inutiles, et nous n'avons pu3 de1couvrir ce qu'il est devenu. {D. JUAN.} Le connoissez-vous, Monsieur, ce D. Juan dont vous parlez? {D. CARLOS.} Non, quant a2 moy. Je ne l'ay jamais veu, et je l'ay seulement ou4y de1peindre a2 mon frere, mais la Renomme1e n'en dit pas force bien, et c'est un homme dont la vie... {D. JUAN.} Arrestez, Monsieur, s'il vous plaist, il est un peu de mes amis, et ce seroit a2 moy une espece de laschete1 que d'en ou4ir dire du mal. {D. CARLOS.} Pour l'amour de vous, Monsieur, je n'en diray rien du tout, et c'est bien la moindre chose que je vous doive, apre1s m'avoir sauve1 la vie, que de me taire devant vous d'une personne que vous connoissez, lors que je ne puis en parler sans en dire du mal: mais quelque amy que vous luy soyez, j'ose esperer que vous n'approuverez pas son action, et ne trouverez pas estrange que nous cherchions d'en prendre la vengeance. {D. JUAN.} Au contraire, je vous y veux servir, et vous e1pargner des soins inutiles; je suis amy de D. Juan, je ne puis pas m'en empescher, mais il n'est pas raisonnable qu'il offence impune1ment des Gentilshommes, et je m'engage a2 vous faire faire raison par luy. {D. CARLOS.} Et quelle raison peut-on faire a2 ces sortes d'injures? {D. JUAN.} Toute celle que vostre honneur peut souhaiter; et sans vous donner la peine de chercher D. Juan davantage, je m'oblige a2 le faire trouver au lieu que vous voudrez, et quand il vous plaira. {D. CARLOS.} Ce1t espoir est bien doux, Monsieur, a2 des coe6urs offencez; mais apre1s ce que je vous dois, ce me seroit une trop sensible douleur, que vous fussiez de la partie. {D. JUAN.} Je suis si attache1 a2 D. Juan, qu'il ne sc5auroit se battre que je ne me batte aussi: mais enfin j'en re1ponds comme de moy-mesme, et vous n'avez qu'a2 dire quand vous voulez qu'il paroisse, et vous donne satisfaction. {D. CARLOS.} Que ma destine1e est cruelle! faut-il que je vous doive la vie, et que D. Juan soit de vos amis! {SCENE IV.} {D. ALONSE et trois suivans, D. CARLOS, D. JUAN, SGANARELLE.} {D. ALONSE.} Faites boire la2 mes chevaux, et qu'on les amene apre1s nous, je veux un peu marcher a2 pied. O Ciel, que vois-je icy? Quoy, mon frere, vous voila avec nostre Ennemy mortel? {D. CARLOS.} Nostre Ennemy mortel? {D. JUAN se reculant trois pas et mettant fierement la main sur la garde de son e1pe1e.} Ou4y, je suis D. Juan moy-mesme, et l'avantage du nombre ne m'obligera pas a2 vouloir de1guiser mon nom. {D. ALONSE.} Ah, trai3tre, il faut que tu perisses, et... {D. CARLOS.} Ah, mon frere, arrestez, je luy suis redevable de la vie, et sans le secours de son bras, j'aurois este1 tue1 par des voleurs que j'ay trouvez. {D. ALONSE.} Et voulez-vous que cette consideration empesche nostre vengeance? tous les services que nous rend une main ennemie, ne sont d'aucun merite pour engager nostre ame; et s'il faut mesurer l'obligation a2 l'injure, vostre reconnoissance, mon frere, est icy ridicule; et comme l'honneur est infiniment plus precieux que la vie, c'est ne devoir rien proprement, que d'estre redevable de la vie a2 qui nous a oste1 l'honneur. {D. CARLOS.} Je sc5ay la difference, mon frere, qu'un Gentil-homme doit tou3jours mettre entre l'un et l'autre, et la reconnoissance de l'obligation n'efface point en moy le ressentiment de l'injure: mais souffrez que je luy rende icy ce qu'il m'a preste1, que je m'acquite sur le champ de la vie que je luy dois par un delay de nostre vengeance, et luy laisse la liberte1 de jou4ir durant quelques jours du fruit de son bien-fait. {D. ALONSE.} Non, non, c'est hazarder nostre vengeance que de la reculer, et l'occasion de la prendre peut ne plus revenir; le Ciel nous l'offre icy, c'est a2 nous d'en profiter. Lors que l'honneur est blesse1 mortellement, on ne doit point songer a2 garder aucunes mesures, et si vous repugnez a2 prester vo3tre bras a2 cette action, vous n'avez qu'a2 vous retirer, et laisser a2 ma main la gloire d'un tel sacrifice. {D. CARLOS.} De grace, mon frere... {D. ALONSE.} Tous ces discours sont superflus; il faut qu'il meure. {D. CARLOS.} Arrestez-vous, dis-je, mon frere, je ne souffriray point du tout qu'on attaque ses jours, et je jure le Ciel que je le de1fendray icy contre qui que ce soit, et je sc5auray luy faire un rempart de cette mesme vie qu'il a sauve1e, et pour adresser vos coups, il faudra que vous me perciez. {D. ALONSE.} Quoy vous prenez le party de nostre Ennemy contre moy, et loin d'estre saisi a2 son aspect des mesmes transports que je sens, vous faites voir pour luy des sentimens pleins de douceur? {D. CARLOS.} Mon frere, montrons de la moderation dans une action legitime, et ne vangeons point nostre honneur avec ce1t emportement que vous te1moignez. Ayons du coe6ur dont nous soyons les mai3tres, une valeur qui n'ait rien de farouche, et qui se porte aux choses par une pure deliberation de nostre raison, et non point par le mouvement d'une aveugle colere. Je ne veux point, mon frere, demeurer redevable a2 mon Ennemy, et je luy ay une obligation dont il faut que je m'acquite avant toute chose. Nostre vangeance pour estre differe1e n'en sera pas moins e1clatante; au contraire, elle en tirera de l'avantage, et cette occasion de l'avoir pu3 prendre, la fera paroistre plus juste aux yeux de tout le monde. {D. ALONSE.} O l'e1trange foiblesse, et l'aveuglement effroyable, d'hazarder ainsi les interests de son honneur pour la ridicule pense1e d'une obligation chimerique! {D. CARLOS.} Non, mon frere, ne vous mettez pas en peine; si je fais une faute, je sc5auray bien la reparer, et je me charge de tout le soin de nostre honneur, je sc5ay a2 quoy il nous oblige, et cette suspension d'un jour que ma reconnoissance luy demande, ne fera qu'augmenter l'ardeur que j'ay de le satisfaire. D. Juan, vous voyez que j'ay soin de vous rendre le bien que j'ay receu de vous, et vous devez par la2 juger du reste, croire que je m'acquite avec mesme chaleur de ce que je dois, et que je ne seray pas moins exact a2 vous payer l'injure que le bien-fait. Je ne veux point vous obliger icy a2 expliquer vos sentimens, et je vous donne la liberte1 de penser a2 loisir aux resolutions que vous avez a2 prendre. Vous connoissez assez la grandeur de l'offence que vous nous avez faite, et je vous fais juge vous mesme des reparations qu'elle demande. Il est des moyens doux pour nous satisfaire; il en est de violens et de sanglans; mais enfin, quelque choix que vous fassiez, vous m'avez donne1 parole de me faire faire raison par D. Juan, songez a2 me la faire, je vous prie, et vous ressouvenez que hors d'icy je ne dois plus qu'a2 mon honneur. {D. JUAN.} Je n'ay rien exige1 de vous, et vous tiendray ce que j'ay promis. {D. CARLOS.} Allons, mon frere, un moment de douceur ne fait aucune injure a2 la severite1 de nostre devoir. {SCENE V.} {D. JUAN, SGANARELLE.} {D. JUAN.} Hola, he1, Sganarelle. {SGANARELLE.} Plaist-il? {D. JUAN.} Comment, coquin, tu fuis quand on m'attaque? {SGANARELLE.} Pardonnez-moy, Monsieur, je viens seulement d'icy pre1s, je croy que cet habit est purgatif, et que c'est prendre medecine que de le porter. {D. JUAN.} Peste soit l'insolent, couvre au moins ta poltronnerie d'un voile plus honneste, sc5ais-tu bien qui est celuy a2 qui j'ay sauve1 la vie? {SGANARELLE.} Moy? non. {D. JUAN.} C'est un frere d'Elvire. {SGANARELLE.} Un... {D. JUAN.} Il est assez honneste homme, il en a bien use1, et j'ay regret d'avoir de1me3le1 avec luy. {SGANARELLE.} Il vous seroit aise1 de pacifier toutes choses. {D. JUAN.} Ou4y, mais ma passion est use1e pour D. Elvire, et l'engagement ne compatit point avec mon humeur. J'aime la liberte1 en amour, tu le sc5ais, et je ne sc5aurois me resoudre a2 renfermer mon coe6ur entre quatre murailles. Je te l'ay dit vingt fois, j'ay une pente naturelle a2 me laisser aller a2 tout ce qui m'attire. Mon coe6ur est a2 toutes les belles, et c'est a2 elles a2 le prendre tour a2 tour, et a2 le garder tant qu'elles le pourront. Mais quel est le superbe Edifice que je vois entre ces arbres? {SGANARELLE.} Vous ne le sc5avez pas? {D. JUAN.} Non vraiment. {SGANARELLE.} Bon, c'est le Tombeau que le Commandeur faisoit faire lors que vous le tuastes. {D. JUAN.} Ah, tu as raison, je ne sc5avois pas que c'estoit de ce coste1-cy qu'il estoit. Tout le monde m'a dit des merveilles de ce1t ouvrage, aussi bien que de la statue4 du Commandeur, et j'ay envie de l'aller voir. {SGANARELLE.} Monsieur, n'allez point la2. {D. JUAN.} Pourquoy? {SGANARELLE.} Cela n'est pas civil d'aller voir un homme que vous avez tue1. {D. JUAN.} Au contraire, c'est une visite dont je luy veux faire civilite1, et qu'il doit recevoir de bonne grace, s'il est galant homme, allons, entrons dedans. {Le Tombeau s'ouvre, ou2 l'on voit un superbe Mausole1e, et la Statue4 du Commandeur. {SGANARELLE.} Ah, que cela est beau! les belles Statue4s! le beau marbre! les beaux pilliers! ah, que cela est beau, qu'en dites-vous, Monsieur? {D. JUAN.} Qu'on ne peut voir aller plus loin l'ambition d'un homme mort, et ce que je trouve admirable, c'est qu'un homme qui s'est passe1 durant sa vie d'une assez simple demeure, en veu4ille avoir une si magnifique pour quand il n'en a plus que faire. {SGANARELLE.} Voicy la Statue4 du Commandeur. {D. JUAN.} Parbleu, le voila bon avec son habit d'Empereur Romain. {SGANARELLE.} Ma foy, Monsieur, voila qui est bien fait. Il semble qu'il est en vie, et qu'il s'en va parler. Il jette des regards sur nous qui me feroient peur si j'estois tout seul, et je pense qu'il ne prend pas plaisir de nous voir. {D. JUAN.} Il auroit tort, et ce seroit mal recevoir l'honneur que je luy fais. Demande-luy s'il veut venir souper avec moy. {SGANARELLE.} C'est une chose dont il n'a pas besoin, je croy. {D. JUAN.} Demande-luy, te dis-je. {SGANARELLE.} Vous moquez-vous? Ce seroit estre fou que d'aller parler a2 une Statue4. {D. JUAN.} Fais ce que je te dis. {SGANARELLE.} Quelle bizarrerie! Seigneur Commandeur... je ry de ma sottise, mais c'est mon Mai3tre qui me la fait faire. Seigneur Commandeur, mon Mai3tre D. Juan vous demande si vous voulez luy faire l'honneur de venir souper avec luy. {La Statue4 baisse la teste.} Ha! {D. JUAN.} Qu'est-ce? qu'as-tu? dy donc, veux-tu parler? {SGANARELLE fait le mesme signe que luy a fait la Statue4, et baisse la teste.} La Statue4... {D. JUAN.} Et bien, que veux-tu dire, traistre? {SGANARELLE.} Je vous dis que la Statue4... {D. JUAN.} Et bien, la Statue4? je t'assomme si tu ne parles. {SGANARELLE.} La Statue4 m'a fait signe. {D. JUAN.} La peste le coquin. {SGANARELLE.} Elle m'a fait signe, vous dis-je, il n'est rien de plus vray. Allez-vous-en luy parler vous-mesme pour voir; peut-estre... {D. JUAN.} Viens, Maraut, viens, je te veux bien faire toucher au doigt ta poltronnerie, prends garde. Le Seigneur Commandeur voudroit-il venir souper avec moy? {La Statue4 baisse encore la teste. {SGANARELLE.} Je ne voudrois pas en tenir dix pistolles. Et bien, Monsieur? {D. JUAN.} Allons, sortons d'icy. {SGANARELLE.} Voila de mes esprits forts qui ne veulent rien croire. {ACTE IV.} {SCENE PREMIERE.} {D. JUAN, SGANARELLE.} {D. JUAN.} Quoy qu'il en soit, laissons cela, c'est une bagatelle, et nous pouvons avoir este1 trompez par un faux jour, ou surpris de quelque vapeur qui nous ait trouble1 la veue4. {SGANARELLE.} Eh, Monsieur, ne cherchez point a2 de1mentir ce que nous avons veu des yeux que voila. Il n'est rien de plus veritable que ce signe de teste, et je ne doute point que le Ciel scandalize1 de vostre vie, n'ait produit ce miracle pour vous convaincre, et pour vous retirer de... {D. JUAN.} Ecoute. Si tu m'importunes davantage de tes sottes moralitez, si tu me dis encore le moindre mot la2-dessus, je vais appeller quelqu'un, demander un nerf de boe6uf, te faire tenir par trois ou quatre, et te rou4er de mille coups. M'entens-tu bien? {SGANARELLE.} Fort bien, Monsieur, le mieux du monde, vous vous expliquez clairement, c'est ce qu'il y a de bon en vous, que vous n'allez point chercher de de1tours, vous dites les choses avec une nettete1 admirable. {D. JUAN.} Allons, qu'on me fasse souper le plu3tost que l'on pourra. Une chaise, petit garc5on. {SCENE II.} {D. JUAN, LA VIOLETTE, SGANARELLE.} {LA VIOLETTE.} Monsieur, voila vostre Marchand, Monsieur Dimanche, qui demande a2 vous parler. {SGANARELLE.} Bon, voila ce qu'il nous faut qu'un compliment de creancier. De quoy s'avise-t-il de nous venir demander de l'argent, et que ne luy disois-tu que Monsieur n'y est pas? {LA VIOLETTE.} Il y a trois quarts d'heure que je luy dis, mais il ne veut pas le croire, et s'est assis la2-dedans pour attendre. {SGANARELLE.} Qu'il attende tant qu'il voudra. {D. JUAN.} Non, au contraire, faites-le entrer, c'est une fort mauvaise politique que de se faire celer aux creanciers. Il est bon de les payer de quelque chose, et j'ay le secret de les renvoyer satisfaits sans leur donner un double. {SCENE III.} {D. JUAN, Mr DIMANCHE, SGANARELLE. Suite.} {D. JUAN faisant de grandes civilitez.} Ah, Monsieur Dimanche, approchez. Que je suis ravy de vous voir, et que je veux de mal a2 mes gens de ne vous pas faire entrer d'abord! J'avois donne1 ordre qu'on ne me fist parler personne, mais ce1t ordre n'est pas pour vous, et vous estes en droit de ne trouver jamais de porte ferme1e chez moy. {Mr DIMANCHE.} Monsieur, je vous suis fort oblige1. {D. JUAN parlant a2 ses Laquais.} Parbleu, coquins, je vous apprendray a2 laisser Monsieur Dimanche dans une antichambre, et je vous feray connoistre les gens. {Mr DIMANCHE.} Monsieur, cela n'est rien. {D. JUAN.} Comment? vous dire que je n'y suis pas, a2 Monsieur Dimanche, au meilleur de mes amis? {Mr DIMANCHE.} Monsieur, je suis vostre serviteur. J'estois venu... {D. JUAN.} Allons, viste, un siege pour Monsieur Dimanche. {Mr DIMANCHE.} Monsieur, je suis bien comme cela. {D. JUAN.} Point, point, je veux que vous soyez assis contre moy. {Mr DIMANCHE.} Cela n'est point necessaire. {D. JUAN.} Ostez ce pliant, et apportez un fauteu4il. {Mr DIMANCHE.} Monsieur, vous vous moquez, et... {D. JUAN.} Non, non, je sc5ay ce que je vous doy, et je ne veux point qu'on mette de difference entre nous deux. {Mr DIMANCHE.} Monsieur... {D. JUAN.} Allons, asseyez-vous. {Mr DIMANCHE.} Il n'est pas besoin, Monsieur, et je n'ay qu'un mot a2 vous dire. J'estois... {D. JUAN.} Mettez-vous la2, vous dis-je. {Mr DIMANCHE.} Non, Monsieur, je suis bien, je viens pour... {D. JUAN.} Non, je ne vous e1coute point si vous n'estes assis. {Mr DIMANCHE.} Monsieur, je fais ce que vous voulez. Je... {D. JUAN.} Parbleu, Monsieur Dimanche, vous vous portez bien. {Mr DIMANCHE.} Ou4y, Monsieur, pour vous rendre service. Je suis venu... {D. JUAN.} Vous avez un fonds de sante1 admirable, des levres fraisches, un teint vermeil, et des yeux vifs. {Mr DIMANCHE.} Je voudrois bien... {D. JUAN.} Comment se porte Madame Dimanche, vostre Epouse? {Mr DIMANCHE.} Fort bien, Monsieur, Dieu mercy. {D. JUAN.} C'est une brave femme. {Mr DIMANCHE.} Elle est vostre servante, Monsieur. Je venois... {D. JUAN.} Et vostre petite fille Claudine, comment se porte-t-elle? {Mr DIMANCHE.} Le mieux du monde. {D. JUAN.} La jolie petite fille que c'est! je l'aime de tout mon coe6ur. {Mr DIMANCHE.} C'est trop d'honneur que vous luy faites, Monsieur. Je vous... {D. JUAN.} Et le petit Colin fait-il tou3jours bien du bruit avec son tambour? {Mr DIMANCHE.} Tou3jours de mesme, Monsieur. Je... {D. JUAN.} Et vostre petit chien Brusquet? gronde-t-il tou3jours aussi fort, et mord-il tou3jours bien aux jambes les gens qui vont chez vous? {Mr DIMANCHE.} Plus que jamais, Monsieur, et nous ne sc5aurions en chevir. {D. JUAN.} Ne vous estonnez pas si je m'informe des nouvelles de toute la famille, car j'y prends beaucoup d'interest. {Mr DIMANCHE.} Nous vous sommes, Monsieur, infiniment obligez. Je... {D. JUAN lui tendant la main.} Touchez donc la2, Monsieur Dimanche. Estes-vous bien de mes amis? {Mr DIMANCHE.} Monsieur, je suis vostre serviteur. {D. JUAN.} Parbleu, je suis a2 vous de tout mon coe6ur. {Mr DIMANCHE.} Vous m'honorez trop. Je... {D. JUAN.} Il n'y a rien que je ne fisse pour vous. {Mr DIMANCHE.} Monsieur, vous avez trop de bonte1 pour moy. {D. JUAN.} Et cela sans interest, je vous prie de le croire. {Mr DIMANCHE.} Je n'ay point merite1 cette grace assure1ment, mais, Monsieur... {D. JUAN.} Oh c5a2, Monsieur Dimanche, sans fac5on, voulez-vous souper avec moy? {Mr DIMANCHE.} Non, Monsieur, il faut que je m'en retourne tout a2 l'heure. Je... {D. JUAN se levant.} Allons, viste un flambeau pour conduire Monsieur Dimanche, et que quatre ou cinq de mes gens prennent des mousquetons pour l'escorter. {Mr DIMANCHE se levant de mesme.} Monsieur, il n'est pas necessaire, et je m'en iray bien tout seul. Mais... {Sganarelle oste les sieges promptement. {D. JUAN.} Comment? je veux qu'on vous escorte, et je m'interesse trop a2 vostre personne, je suis vostre serviteur, et de plus vostre debiteur. {Mr DIMANCHE.} Ah, Monsieur... {D. JUAN.} C'est une chose que je ne cache pas, et je le dis a2 tout le monde. {Mr DIMANCHE.} Si... {D. JUAN.} Voulez-vous que je vous reconduise? {Mr DIMANCHE.} Ah, Monsieur, vous vous moquez. Monsieur... {D. JUAN.} Embrassez-moy donc, s'il vous plaist, je vous prie encore une fois d'estre persuade1 que je suis tout a2 vous, et qu'il n'y a rien au monde que je ne fisse pour vostre service. {Il sort. {SGANARELLE.} Il faut avou4er que vous avez en Monsieur un homme qui vous aime bien. {Mr DIMANCHE.} Il est vray, il me fait tant de civilitez et tant de complimens que je ne sc5aurois jamais luy demander de l'argent. {SGANARELLE.} Je vous assure que toute sa maison periroit pour vous, et je voudrois qu'il vous arrivast quelque chose, que quelqu'un s'avisast de vous donner des coups de baston, vous verriez de quelle maniere... {Mr DIMANCHE.} Je le croy, mais, Sganarelle, je vous prie de luy dire un petit mot de mon argent. {SGANARELLE.} Oh, ne vous mettez pas en peine. Il vous payera le mieux du monde. {Mr DIMANCHE.} Mais vous, Sganarelle, vous me devez quelque chose en vostre particulier. {SGANARELLE.} Fy, ne parlez pas de cela. {Mr DIMANCHE.} Comment? je... {SGANARELLE.} Ne sc5ais-je pas bien que je vous dois. {Mr DIMANCHE.} Ou4y, mais... {SGANARELLE.} Allons, Monsieur Dimanche, je vais vous e1clairer. {Mr DIMANCHE.} Mais mon argent... {SGANARELLE prenant Monsieur Dimanche par le bras.} Vous moquez-vous? {Mr DIMANCHE.} Je veux... {SGANARELLE le tirant.} Eh. {Mr DIMANCHE.} J'entends... {SGANARELLE le poussant.} Bagatelles. {Mr DIMANCHE.} Mais... {SGANARELLE le poussant.} Fy. {Mr DIMANCHE.} Je... {SGANARELLE le poussant tout a2 fait hors du Theatre.} Fy, vous dis-je. {SCENE IV.} {D. LOUIS, D. JUAN, LA VIOLETTE, SGANARELLE.} {LA VIOLETTE.} Monsieur, voila Monsieur vostre pere. {D. JUAN.} Ah, me voicy bien, il me falloit cette visite pour me faire enrager. {D. LOUIS.} Je vois bien que je vous embarasse, et que vous vous passeriez fort aisement de ma venue4. A dire vray, nous nous incommodons estrangement l'un et l'autre, et si vous estes las de me voir, je suis bien las aussi de vos de1portemens. Helas, que nous sc5avons peu ce que nous faisons, quand nous ne laissons pas au Ciel le soin des choses qu'il nous faut, quand nous voulons estre plus avisez que luy, et que nous venons a2 l'importuner par nos souhaits aveugles, et nos demandes inconsidere1es! J'ay souhaite1 un fils avec des ardeurs nompareilles, je l'ay demande1 sans relasche avec des transports incroyables, et ce fils que j'obtiens, en fatiguant le Ciel de voe6ux, est le chagrin et le supplice de cette vie mesme dont je croyois qu'il devoit estre la joie et la consolation. De quel oe6il, a2 vostre avis, pensez-vous que je puisse voir ce1t amas d'actions indignes dont on a peine aux yeux du monde d'adoucir le mauvais visage, cette suite continuelle de me1chantes affaires, qui nous reduisent a2 toutes heures a2 lasser les bontez du Souverain, et qui ont e1puise1 aupre1s de luy le merite de mes services, et le credit de mes amis? ah, quelle bassesse est la vostre! ne rougissez-vous point de meriter si peu vostre naissance? estes-vous en droit, dites-moy, d'en tirer quelque vanite1? Et qu'avez-vous fait dans le monde pour estre Gentilhomme? croyez-vous qu'il suffise d'en porter le nom et les armes, et que ce nous soit une gloire d'estre sorty d'un sang noble, lors que nous vivons en infames? non, non, la naissance n'est rien ou2 la vertu n'est pas. Aussi nous n'avons part a2 la gloire de nos Ancestres, qu'autant que nous nous efforc5ons de leur ressembler, et ce1t e1clat de leurs actions qu'ils re1pandent sur nous, nous impose un engagement de leur faire le mesme honneur, de suivre les pas qu'ils nous tracent, et de ne point degenerer de leurs vertus, si nous voulons estre estimez leurs veritables descendans. Ainsi vous descendez en vain des Ayeux dont vous estes ne1, ils vous desavou4ent pour leur sang, et tout ce qu'ils ont fait d'illustre ne vous donne aucun avantage, au contraire, l'e1clat n'en rejallit sur vous qu'a2 vostre deshonneur, et leur gloire est un flambeau qui e1claire aux yeux d'un chacun la honte de vos actions. Apprenez enfin qu'un Gentilhomme qui vit mal, est un monstre dans la nature, que la vertu est le premier titre de Noblesse, que je regarde bien moins au nom qu'on signe, qu'aux actions qu'on fait, et que je ferois plus d'estat du fils d'un Crocheteur, qui seroit honneste homme, que du fils d'un Monarque qui vivroit comme vous. {D. JUAN.} Monsieur, si vous estiez assis, vous en seriez mieux pour parler. {D. LOUIS.} Non, insolent, je ne veux point m'asseoir, ny parler davantage, et je vois bien que toutes mes paroles ne font rien sur ton ame; mais sc5ache, fils indigne, que la tendresse paternelle est pousse1e a2 bout par tes actions, que je sc5auray, plustost que tu ne penses, mettre une borne a2 tes de1reglemens, prevenir sur toy le courroux du Ciel, et laver par ta punition la honte de t'avoir fait naistre. {Il sort. {SCENE V.} {D. JUAN, SGANARELLE.} {D. JUAN.} Eh, mourez le plu3tost que vous pourrez, c'est le mieux que vous puissiez faire. Il faut que chacun ait son tour, et j'enrage de voir des peres qui vivent autant que leurs fils. {Il se met dans son fauteu4il. {SGANARELLE.} Ah, Monsieur, vous avez tort. {D. JUAN.} J'ay tort? {SGANARELLE.} Monsieur... {D. JUAN se leve de son siege.} J'ay tort? {SGANARELLE.} Ou4y, Monsieur, vous avez tort d'avoir souffert ce qu'il vous a dit, et vous le deviez mettre dehors par les e1paules. A-t-on jamais rien veu de plus impertinent? un pere venir faire des remontrances a2 son fils, et luy dire de corriger ses actions, de se ressouvenir de sa naissance, de mener une vie d'honneste homme, et cent autres sottises de pareille nature. Cela se peut-il souffrir a2 un homme comme vous, qui sc5avez comme il faut vivre? J'admire votre patience, et si j'avois este1 en vostre place, je l'aurois envoye1 promener. O complaisance maudite, a2 quoy me reduis-tu! {D. JUAN.} Me fera-t-on souper bien-tost? {SCENE VI.} {D. JUAN, D. ELVIRE, RAGOTIN, SGANARELLE.} {RAGOTIN.} Monsieur, voicy une Dame voile1e qui vient vous parler. {D. JUAN.} Que pourroit-ce estre? {SGANARELLE.} Il faut voir. {D. ELVIRE.} Ne soyez point surpris, D. Juan, de me voir a2 cette heure et dans ce1t e1quipage. C'est un motif pressant qui m'oblige a2 cette visite, et ce que j'ay a2 vous dire ne veut point du tout de retardement. Je ne viens point icy pleine de ce couroux que j'ay tantost fait e1clater, et vous me voyez bien change1e de ce que j'estois ce matin. Ce n'est plus cette D. Elvire qui faisoit des voe6ux contre vous, et dont l'ame irrite1e ne jettoit que menaces, et ne respiroit que vangeance. Le Ciel a banny de mon ame toutes ces indignes ardeurs que je sentois pour vous, tous ces transports tumultueux d'un attachement criminel, tous ces honteux emportemens d'un amour terrestre et grossier, et il n'a laisse1 dans mon coe6ur pour vous qu'une fla3me e1pure1e de tout le commerce des sens, une tendresse toute sainte, un amour de1tache1 de tout, qui n'agit point pour soy, et ne se met en peine que de vostre interest. {D. JUAN a2 Sganarelle.} Tu pleures, je pense. {SGANARELLE.} Pardonnez-moy. {D. ELVIRE.} C'est ce parfait et pur amour qui me conduit icy pour vostre bien, pour vous faire part d'un avis du Ciel, et ta3cher de vous retirer du precipice ou2 vous courez. Ou4y, D. Juan, je sc5ay tous les de1reglemens de vostre vie, et ce mesme Ciel qui m'a touche1 le coe6ur, et fait jetter les yeux sur les e1garemens de ma conduite, m'a inspire1 de vous venir trouver, et de vous dire de sa part que vos offences ont e1puise1 sa misericorde, que sa colere redoutable est preste de tomber sur vous, qu'il est en vous de l'e1viter par un prompt repentir, et que peut-estre vous n'avez pas encore un jour a2 vous pouvoir soustraire au plus grand de tous les malheurs. Pour moy, je ne tiens plus a2 vous par aucun attachement du monde. Je suis revenue4, graces au Ciel, de toutes mes foles pense1es, ma retraite est resolue4, et je ne demande qu'assez de vie pour pouvoir expier la faute que j'ay faite, et meriter par une austere penitence le pardon de l'aveuglement ou2 m'ont plonge1e les transports d'une passion condamnable; mais dans cette retraite, j'aurois une douleur extre3me qu'une personne que j'ay cherie tendrement, devi3nt un exemple funeste de la Justice du Ciel, et ce me sera une joye incroyable, si je puis vous porter a2 de1tourner de dessus vostre teste l'e1pouvantable coup qui vous menace. De grace, D. Juan, accordez-moy pour derniere faveur cette douce consolation, ne me refusez point vostre salut, que je vous demande avec larmes, et si vous n'estes point touche1 de vostre interest, soyez-le au moins de mes prieres, et m'e1pargnez le cruel de1plaisir de vous voir condamner a2 des supplices e1ternels. {SGANARELLE.} Pauvre femme! {D. ELVIRE.} Je vous ay aime1 avec une tendresse extre1me, rien au monde ne m'a este1 si cher que vous, j'ay oublie1 mon devoir pour vous, j'ay fait toutes choses pour vous, et toute la recompense que je vous en demande, c'est de corriger vostre vie, et de prevenir vostre perte. Sauvez-vous, je vous prie, ou pour l'amour de vous, ou pour l'amour de moy. Encore une fois, D. Juan, je vous le demande avec larmes, et si ce n'est assez des larmes d'une personne que vous avez aime1e, je vous en conjure par tout ce qui est le plus capable de vous toucher. {SGANARELLE.} Coe6ur de tigre! {D. ELVIRE.} Je m'en vais apre1s ce discours, et voila tout ce que j'avois a2 vous dire. {D. JUAN.} Madame, il est tard, demeurez icy, on vous y logera le mieux qu'on pourra. {D. ELVIRE.} Non, D. Juan, ne me retenez pas davantage. {D. JUAN.} Madame, vous me ferez plaisir de demeurer, je vous assure. {D. ELVIRE.} Non, vous dis-je, ne perdons point de temps en discours superflus, laissez-moy viste aller, ne faites aucune instance pour me conduire, et songez seulement a2 profiter de mon avis. {SCENE VII.} {D. JUAN, SGANARELLE, Suite.} {D. JUAN.} Sc5ais-tu bien que j'ay encore senty quelque peu d'e1motion pour elle, que j'ay trouve1 de l'agre1ment dans cette nouveaute1 bizarre, et que son habit neglige1, son air languissant, et ses larmes ont re1veille1 en moy quelques petits restes d'un feu e1teint. {SGANARELLE.} C'est a2 dire que ses paroles n'ont fait aucun effet sur vous. {D. JUAN.} Viste a2 souper. {SGANARELLE.} Fort bien. {D. JUAN se mettant a2 table.} Sganarelle, il faut songer a2 s'amender pourtant. {SGANARELLE.} Ou4y dea. {D. JUAN.} Ou4y, ma foy, il faut s'amender, encore vingt ou trente ans de cette vie cy, et puis nous songerons a2 nous. {SGANARELLE.} Oh. {D. JUAN.} Qu'en dis-tu? {SGANARELLE.} Rien, voila le soupe1. {Il prend un morceau d'un des plats qu'on apporte, et le met dans sa bouche. {D. JUAN.} Il me semble que tu as la jou4e enfle1e, qu'est-ce que c'est? parle donc, qu'as-tu la2? {SGANARELLE.} Rien. {D. JUAN.} Montre un peu, parbleu c'est une fluxion qui luy est tombe1e sur la jou4e, viste une lancette pour percer cela. Le pauvre garc5on n'en peut plus, et ce1t abcez le pourroit e1touffer, attends, voyez comme il estoit meur. Ah, coquin que vous estes. {SGANARELLE.} Ma foy, Monsieur, je voulois voir si vostre Cuisinier n'avoit point mis trop de sel, ou trop de poivre. {D. JUAN.} Allons, mets-toy la2, et mange. J'ay affaire de toy quand j'auray soupe1, tu as faim a2 ce que je voy? {SGANARELLE se met a2 table.} Je le croy bien, Monsieur, je n'ay point mange1 depuis ce matin. Tastez de cela, voila qui est le meilleur du monde. {Un laquais oste les assiettes de Sganarelle d'abord qu'il y a dessus a2 manger. Mon assiette, mon assiette. Tout doux, s'il vous plaist. Vertubleu, petit Compere, que vous estes habile a2 donner des assiettes nettes, et vous, petit la Violette, que vous sc5avez presenter a2 boire a2 propos. {Pendant qu'un laquais donne a2 boire a2 Sganarelle, l'autre laquais oste encore son assiette. {D. JUAN.} Qui peut fraper de cette sorte? {SGANARELLE.} Qui diable nous vient troubler dans nostre repas? {D. JUAN.} Je veux souper en repos au moins, et qu'on ne laisse entrer personne. {SGANARELLE.} Laissez-moy faire, je m'y en vais moy-mesme. {D. JUAN.} Qu'est-ce donc? qu'y a-t-il? {SGANARELLE baissant la teste comme a fait la Statue4.} Le... qui est la2! {D. JUAN.} Allons voir, et montrons que rien ne me sc5auroit e1branler. {SGANARELLE.} Ah, pauvre Sganarelle, ou2 te cacheras-tu? {SCENE VIII.} {D. JUAN, LA STATUE DU COMMANDEUR qui vient se mettre a2 table, SGANARELLE, Suite.} {D. JUAN.} Une chaise et un couvert, viste donc! A {Sganarelle}. Allons, mets-toy a2 table. {SGANARELLE.} Monsieur, je n'ay plus de faim. {D. JUAN.} Mets-toy la2, te dis-je. A boire. A la sante1 du Commandeur, je te la porte, Sganarelle. Qu'on luy donne du vin. {SGANARELLE.} Monsieur, je n'ay pas soif. {D. JUAN.} Bois et chante ta chanson pour regaler le Commandeur. {SGANARELLE.} Je suis enrume1, Monsieur. {D. JUAN.} Il n'importe, allons. Vous autres venez, accompagnez sa voix. {LA STATUE.} D. Juan, c'est assez, je vous invite a2 venir demain souper avec moy, en aurez-vous le courage? {D. JUAN.} Ou4y, j'iray accompagne1 du seul Sganarelle. {SGANARELLE.} Je vous rends grace, il est demain jeusne pour moy. {D. JUAN a2 Sganarelle.} Prends ce flambeau. {LA STATUE.} On n'a pas besoin de lumiere, quand on est conduit par le Ciel. {ACTE V.} {SCENE PREMIERE.} {D. LOUIS, D. JUAN, SGANARELLE.} {D. LOUIS.} Quoy, mon fils, seroit-il possible que la bonte1 du Ciel eust exauce1 mes voe6ux? Ce que vous me dites est-il bien vray? ne m'abusez-vous point d'un faux espoir, et puis-je prendre quelque assurance sur la nouveaute1 surprenante d'une telle conversion? {D. JUAN faisant l'hipocrite.} Ou4y, vous me voyez revenu de toutes mes erreurs, je ne suis plus le mesme d'hier au soir, et le Ciel tout d'un coup a fait en moy un changement qui va surprendre tout le monde. Il a touche1 mon ame, et dessille1 mes yeux, et je regarde avec horreur le long aveuglement ou2 j'ay este1 et les de1sordres criminels de la vie que j'ay mene1e. J'en repasse dans mon esprit toutes les abominations, et m'estonne comme le Ciel les a pu3 souffrir si long-temps et n'a pas vingt fois sur ma teste laisse1 tomber les coups de sa Justice redoutable. Je voy les graces que sa bonte1 m'a faites en ne me punissant point de mes crimes, et je pretends en profiter comme je doy, faire e1clater aux yeux du monde un soudain changement de vie, reparer par la2 le scandale de mes actions passe1es, et m'efforcer d'en obtenir du Ciel une pleine remission. C'est a2 quoy je vais travailler, et je vous prie, Monsieur, de vouloir bien contribuer a2 ce dessein, et de m'aider vous mesme a2 faire choix d'une personne qui me serve de guide, et sous la conduite de qui je puisse marcher seurement dans le chemin ou2 je m'en vais entrer. {D. LOUIS.} Ah, mon fils, que la tendresse d'un pere est aise1ment rappelle1e, et que les offences d'un fils s'e1vanou4issent viste au moindre mot de repentir! Je ne me souviens plus de1ja de tous les de1plaisirs que vous m'avez donnez, et tout est efface1 par les paroles que vous venez de me faire entendre. Je ne me sens pas, je l'avou4e, je jette des larmes de joye, tous mes voe6ux sont satisfaits, et je n'ay plus rien desormais a2 demander au Ciel. Embrassez-moy, mon fils, et persistez, je vous conjure, dans cette lou4able pense1e. Pour moy, j'en vais tout de ce pas porter l'heureuse nouvelle a2 vostre mere, partager avec elle les doux transports du ravissement ou2 je suis, et rendre grace au Ciel des saintes resolutions qu'il a daigne1 vous inspirer. {SCENE II.} {D. JUAN, SGANARELLE.} {SGANARELLE.} Ah, Monsieur, que j'ay de joye de vous voir converty! il y a long-temps que j'attendois cela, et voila, grace au Ciel, tous mes souhaits accomplis. {D. JUAN.} La peste le benest. {SGANARELLE.} Comment, le benest? {D. JUAN.} Quoy? tu prends pour de bon argent ce que je viens de dire, et tu crois que ma bouche estoit d'accord avec mon coe6ur? {SGANARELLE.} Quoy, ce n'est pas... vous ne... vostre... oh quel homme! quel homme! quel homme! {D. JUAN.} Non, non, je ne suis point change1, et mes sentimens sont tou3jours les mesmes. {SGANARELLE.} Vous ne vous rendez pas a2 la surprenante merveille de cette Statue4 mouvante et parlante? {D. JUAN.} Il y a bien quelque chose la2-dedans que je ne comprends pas, mais quoy que ce puisse estre, cela n'est pas capable, ny de convaincre mon esprit, ny d'e1branler mon ame, et si j'ay dit que je voulois corriger ma conduite, et me jetter dans un train de vie exemplaire, c'est un dessein que j'ay forme1 par pure politique, un stratageme utile, une grimace necessaire, ou2 je veux me contraindre pour me1nager un pere dont j'ay besoin, et me mettre a2 couvert du coste1 des hommes de cent fa3cheuses avantures qui pourroient m'arriver. Je veux bien, Sganarelle, t'en faire confidence, et je suis bien-aise d'avoir un te1moin du fond de mon ame et des veritables motifs qui m'obligent a2 faire les choses. {SGANARELLE.} Quoy? vous ne croyez rien du tout, et vous voulez cependant vous eriger en homme de bien? {D. JUAN.} Et pourquoy non? il y en a tant d'autres comme moy qui se me1lent de ce me1tier, et qui se servent du mesme masque pour abuser le monde. {SGANARELLE.} Ah, quel homme! quel homme! {D. JUAN.} Il n'y a plus de honte maintenant a2 cela, l'Hipocrisie est un vice a2 la mode, et tous les vices a2 la mode passent pour vertus, le personnage d'homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu'on puisse jou4er aujourd'hui, et la profession d Hipocrite a de merveilleux avantages. C'est un art de qui l'imposture est tou3jours respecte1e, et quoy qu'on la de1couvre, on n'ose rien dire contr'elle. Tous les autres vices des hommes sont exposez a2 la censure, et chacun a la liberte1 de les attaquer hautement, mais l'Hipocrisie est un vice privilegie1, qui de sa main ferme la bouche a2 tout le monde, et jou4it en repos d'une impunite1 souveraine. On lie a2 force de grimaces une socie1te1 e1troite avec tous les gens du party; qui en choque un, se les attire tous sur les bras, et ceux que l'on sc5ait mesme agir de bonne foy la2-dessus, et que chacun connoist pour e3tre veritablement touchez: ceux-la2, dis-je, sont tou3jours les dupes des autres, ils donnent hautement dans le panneau des grimaciers, et appuyent aveugle1ment les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j'en connoisse, qui par ce stratageme ont rhabille1 adroitement les desordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion, et sous cet habit respecte1, ont la permission d'estre les plus me1chans hommes du monde? on a beau sc5avoir leurs intrigues, et les connoistre pour ce qu'ils sont, ils ne laissent pas pour cela d'estre en credit parmy les gens, et quelque baissement de teste, un sou3pir mortifie1, et deux roulemens d'yeux rajustent dans le monde tout ce qu'ils peuvent faire. C'est sous ce1t abry favorable que je veux me sauver et mettre en seurete1 mes affaires. Je ne quitteray point mes douces habitudes, mais j'auray soin de me cacher, et me divertiray a2 petit bruit. Que si je viens a2 estre de1couvert, je verray sans me remuer prendre mes interests a2 toute la cabale, et je seray de1fendu par elle envers, et contre tous. Enfin, c'est la2 le vray moyen de faire impune1ment tout ce que je voudray. Je m'e1rigeray en censeur des actions d'autruy, jugeray mal de tout le monde, et n'auray bonne opinion que de moy. De1s qu'une fois on m'aura choque1 tant soit peu, je ne pardonneray jamais, et garderay tout doucement une haine irreconciliable. Je feray le vangeur des intere3ts du Ciel, et sous ce pretexte commode, je pousseray mes Ennemis, je les accuseray d'impiete1, et sc5auray de1chai3ner contr'eux des zelez indiscrets, qui sans connoissance de cause crieront en public contr'eux, qui les accableront d'injures, et les damneront hautement de leur authorite1 prive1e. C'est ainsi qu'il faut profiter des foiblesses des hommes, et qu'un sage esprit s'accommode aux vices de son siecle. {SGANARELLE.} O Ciel! qu'entends-je icy? il ne vous manquoit plus que d'estre Hipocrite pour vous achever de tout point, et voila le comble des abominations. Monsieur, cette derniere cy m'emporte, et je ne puis m'empescher de parler. Faites moy tout ce qu'il vous plaira, batez-moy, assommez-moy de coups, tuez-moy, si vous voulez, il faut que je de1charge mon coe6ur, et qu'en Valet fidele je vous dise ce que je dois. Sc5achez, Monsieur, que tant va la cruche a2 l'eau, qu'enfin elle se brise: et comme dit fort bien ce1t Auteur que je ne connois pas, l'homme est en ce monde ainsi que l'oiseau sur la branche, la branche est attache1e a2 l'arbre, qui s'attache a2 l'arbre suit de bons preceptes, les bons preceptes valent mieux que les belles paroles, les belles paroles se trouvent a2 la Cour. A la Cour sont les Courtisans, les Courtisans suivent la mode, la mode vient de la fantaisie, la fantaisie est une faculte1 de l'ame, l'ame est ce qui nous donne la vie, la vie finit par la mort, la mort nous fait penser au Ciel, le Ciel est au dessus de la terre, la terre n'est point la mer, la mer est sujette aux orages, les orages tourmentent les vaisseaux, les vaisseaux ont besoin d'un bon pilote, un bon pilote a de la prudence, la prudence n'est point dans les jeunes gens, les jeunes gens doivent obei4ssance aux vieux, les vieux ayment les richesses, les richesses font les riches, les riches ne sont pas pauvres, les pauvres ont de la necessite1, necessite1 n'a point de loy, qui n'a point de loy vit en be3te brute, et par consequent vous serez damne1 a2 tous les Diables. {D. JUAN.} O le beau raisonnement! {SGANARELLE.} Apre1s cela, si vous ne vous rendez, tant pis pour vous. {SCENE III.} {D. CARLOS, D. JUAN, SGANARELLE.} {D. CARLOS.} Dom Juan, je vous trouve a2 propos, et suis bien aise de vous parler icy plu3tost que chez vous, pour vous demander vos resolutions. Vous sc5avez que ce soin me regarde, et que je me suis en vostre presence charge1 de cette affaire. Pour moy, je ne le cele point, je souhaite fort que les choses aillent dans la douceur, et il n'y a rien que je ne fasse pour porter vostre esprit a2 vouloir prendre cette voye, et pour vous voir publiquement confirmer a2 ma soe6ur le nom de vostre femme. {D. JUAN d'un ton hipocrite.} Helas! je voudrois bien de tout mon coe6ur vous donner la satisfaction que vous souhaitez, mais le Ciel s'y oppose directement, il a inspire1 a2 mon ame le dessein de changer de vie, et je n'ay point d'autres pense1es maintenant que de quitter entierement tous les attachemens du monde, de me de1pou4iller au plu3tost de toutes sortes de vanitez, et de corriger desormais par une austere conduite tous les de1reglemens criminels ou2 m'a porte1 le feu d'une aveugle jeunesse. {D. CARLOS.} Ce dessein, D. Juan, ne choque point ce que je dis, et la compagnie d'une femme legitime peut bien s'accommoder avec les lou4ables pense1es que le Ciel vous inspire. {D. JUAN.} Helas point du tout, c'est un dessein que vostre soe6ur elle-mesme a pris, elle a resolu sa retraite, et nous avons este1 touchez tous deux en mesme temps. {D. CARLOS.} Sa retraite ne peut nous satisfaire, pouvant estre impute1e au me1pris que vous feriez d'elle et de no3tre famille, et nostre honneur demande qu'elle vive avec vous. {D. JUAN.} Je vous assure que cela ne se peut, j'en avois pour moy toutes les envies du monde, et je me suis mesme encore aujourd'huy conseille1 au Ciel pour cela; mais lors que je l'ay consulte1, j'ay entendu une voix qui m'a dit que je ne devois point songer a2 vostre soe6ur, et qu'avec elle assure1ment je ne ferois point mon salut. {D. CARLOS.} Croyez-vous, D. Juan, nous e1blou4ir par ces belles excuses? {D. JUAN.} J'obei4s a2 la voix du Ciel. {D. CARLOS.} Quoy vous voulez que je me paye d'un semblable discours? {D. JUAN.} C'est le Ciel qui le veut ainsi. {D. CARLOS.} Vous aurez fait sortir ma soe6ur d'un Convent pour la laisser ensuite? {D. JUAN.} Le Ciel l'ordonne de la sorte. {D. CARLOS.} Nous souffrirons cette tache en nostre famille? {D. JUAN.} Prenez-vous-en au Ciel. {D. CARLOS.} Et quoy tou3jours le Ciel? {D. JUAN.} Le Ciel le souhaite comme cela. {D. CARLOS.} Il suffit, D. Juan, je vous entends, ce n'est pas icy que je veux vous prendre, et le lieu ne le souffre pas; mais avant qu'il soit peu, je sc5auray vous trouver. {D. JUAN.} Vous ferez ce que vous voudrez, vous sc5avez que je ne manque point de coe6ur, et que je sc5ay me servir de mon e1pe1e quand il le faut, je m'en vais passer tout a2 l'heure dans cette petite rue4 e1carte1e qui mene au grand Convent, mais je vous declare pour moy, que ce n'est point moy qui me veux battre, le Ciel m'en de1fend la pense1e, et si vous m'attaquez, nous verrons ce qui en arrivera. {D. CARLOS.} Nous verrons, de vray, nous verrons. {SCENE IV.} {D. JUAN, SGANARELLE.} {SGANARELLE.} Monsieur, quel diable de stile prenez-vous la2? cecy est bien pis que le reste, et je vous aimerois bien mieux encore comme vous estiez auparavant, j'esperois tou3jours de vostre salut, mais c'est maintenant que j'en desespere, et je croy que le Ciel qui vous a souffert jusques icy, ne pourra souffrir du tout cette derniere horreur. {D. JUAN.} Va, va, le Ciel n'est pas si exact que tu penses, et si toutes les fois que les hommes... {SGANARELLE.} Ah, Monsieur, c'est le Ciel qui vous parle, et c'est un avis qu'il vous donne. {D. JUAN.} Si le Ciel me donne un avis, il faut qu'il parle un peu plus clairement, s'il veut que je l'entende. {SCENE V.} {D. JUAN, UN SPECTRE en femme voile1e, SGANARELLE.} {LE SPECTRE.} Dom Juan n'a plus qu'un moment a2 pouvoir profiter de la misericorde du Ciel, et s'il ne se repent icy, sa perte est resolue4. {SGANARELLE.} Entendez-vous, Monsieur? {D. JUAN.} Qui ose tenir ces paroles? je croy connoistre cette voix. {SGANARELLE.} Ha, Monsieur, c'est un Spectre, je le reconnois au marcher. {D. JUAN.} Spectre, Fantosme, ou Diable, je veux voir ce que c'est. {Le Spectre change de figure, et repre1sente le Temps avec sa faux a2 la main. {SGANARELLE.} O Ciel! voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure? {D. JUAN.} Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux e1prouver avec mon e1pe1e si c'est un corps ou un esprit. {Le Spectre s'envole dans le temps que D. Juan le veut fraper. {SGANARELLE.} Ah, Monsieur, rendez-vous a2 tant de preuves, et jettez-vous viste dans le repentir. {D. JUAN.} Non, non, il ne sera pas dit, quoy qu'il arrive, que je sois capable de me repentir, allons, suis-moy. {SCENE VI.} {LA STATUE, D. JUAN, SGANARELLE.} {LA STATUE.} Arrestez, D. Juan, vous m'avez hier donne1 parole de venir manger avec moy. {D. JUAN.} Ou4y, ou2 faut-il aller? {LA STATUE.} Donnez-moy la main. {D. JUAN.} La voila. {LA STATUE.} D. Juan, l'endurcissement au peche1 trai3ne une mort funeste, et les graces du Ciel que l'on renvoye, ouvrent un chemin a2 sa foudre. {D. JUAN.} O Ciel, que sens-je? un feu invisible me bru3le, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent, ah! {Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands e1clairs sur D. Juan, la terre s'ouvre et l'abysme, et il sort de grands feux de l'endroit ou2 il est tombe1. {SGANARELLE.} [Ah mes gages! mes gages!] Voila par sa mort un chacun satisfait, Ciel offence1, Loix viole1es, filles seduites, familles deshonore1es, parens outragez, femmes mises a2 mal, maris poussez a2 bout, tout le monde est content; il n'y a que moy seul de malheureux, qui apre1s tant d'anne1es de service, n'ay point d'autre recompense que de voir a2 mes yeux l'impiete1 de mon Mai3tre, punie par le plus e1pouvantable cha3timent du monde. [Mes gages, mes gages, mes gages!]