I . . . C'e/tait l'hiver. - - Nous di^nions dans la petite pie\ce vou^te/e- << Ce n'est pas permis... C'est de/fendu--- C#a ne se dit pas, c#a ne se fait pas... Tu ne dois pas... " C#a commence de\s l'enfance... C#a continue en s'aggravant... On glisse vers la passivite/, vers la timidite/, vers l'inertie... On ne provoque plus le hasard... On n'en n'a plus le courage... On se scle/rose. Et quelque part en nous quelque chose sait que notre corps, que son hyperexcitabilite/ agonisent, ne nous serviront a\ rien, et qu'on se cache dans cette chambre obscure, instable et illimite/e comme la nymphomanie. Dans l'informule/. 9 Il faisait noir, noir dans cette pie\ce. Les rideaux e/taient tire/s. Il faisait nuit. Je reculais vers le mur. Je fixais des yeux les prunelles d'or. La re/alite/ n'e/tait plus qu'un filet de jour, qu'une rumeur qui allait progressivement s'e/teindre... Comme si biento^t nous n'allions plus vivre... J'ai peur. La\-bas le bruit. L'amusement. La\-bas la ligne pointille/e de night-clubs et de bars. Et ici la douleur. La me^me. Toujours. Et lanci- nante. Et ici, se sentir e/trangle/e par l'impossi- bilite/. Et tout autour de la nuit tourne sur lui- me^me le contro^le des centres ce/re/braux qui enserre l'espe\ce humaine. C'est l'e/trangle- ment. Un e/tranglement plane/taire comme une me/taphysique de l'angoisse. Me/taphysique fune\bre qui de/chire la poitrine tandis que les ongles enle\vent a\ la bouche les le\vres pendant le supplice, dans ce drame de l'animalite/, 10 dans ce combat perdu par la vie. Et ce pourrait e^tre l'heure d'un autre repas, l'heure d'un autre di^ner. L'heure de la re/union re/chauffe/e par la respiration, mais ici, la table est vide, la bouche est pleine de sang. Bru^lure cannibale, e/rotomanie qui m'irrite tous les organes ; la congestion me prend a\ la taille, descend vers le ventre en serrant, en oppres- sant... Qu'est-ce que l'absolu ? Dit la nuit. Ou\ est ta peau ? L'amant est mange/, de/vore/. La joie est partie. L'amant est pulve/rise/ dans la poussie\re du viol que n'e/clairent aucun astre, aucune re/mission. Et en bas, la terre ouvre largement les rives de son fleuve, les ma^choi- res monstrueuses qui se refermeront biento^t sur les spasmes, sur les hoquets, sur la noyade ; et je frissonne. L'angoisse se nourrit des pulsions qui ro^dent, je tremble tandis que, cache/e dans le re/duit et prote/ge/e par la porte verrouille/e, j'avale ma peur dont, a\ petites gorge/es, j'aspire l'e/cume noire, au plus sombre. Et je grelotte, femme prostre/e, nerfs. Mai^trise-toi, me conseille une lueur, retiens-toi. L'obscu- rite/ me contracte dans cette crispation de tous mes muscles ou\ le corps, de plus en plus, 11 he/site entre vivre et mourir, vacille dans ses ligaments et dans ses fibres. Je ne pourrai jamais me calmer, avouai-je a\ la lueur noira^- tre ou\ le cadavre e/tait entrai^ne/. Les ombres, a\ l'inte/rieur de cette ve/ge/tation de ma te^te, remuaient leurs longues tiges folles dans ce paysage de force et de faiblesse ou\ se recon- naissaient de moins en moins les e/le/ments d'un paysage terrestre... Et les vagues inte/- rieures s'acce/le/raient pour dilater la pupille et donner au regard un magne/tisme toujours plus inquie/tant, toujours plus trouble... Il ne restait presque plus rien du visage... ... C'e/tait le mois de fe/vrier.. Ma fille, Medje. Magdeleine. Ma Floretta. Ma petite doudou, ma che/rie douce, ma didi, ma dodo, ma doudou, ma Made/e, ma chair, ma boubou, mon gras de douce, mon fardelet, mon dindin, oh ! ma doudou, ma Madon, viens, ma petite, mon doudou, ma doudou, ma 12 petite boudou, mon agnelle, ma nounou de me\re, ma petite, ma petite, ma ce/re/belleuse, ma Daudon, ma Daudou, ma ciboulette (mon ventre, mes seins); << la me\re aux seins " (cette chair), ta chair tout pre\s de ma chair, tout pre\s de mes cils, tout pre\s de mon souffle (ta moelle), (ma peau), je t'embrasse, je te serre dans mes bras, toi, moi, la chair de deux corps, c'est fort et de la femme a\ la fille, il faut laisser bondir ce jaillissement ou\ la peau se transforme en odeurs, en sauces cre/meu- ses, en e/manations, en impudeur. .. Le\ve-toi ! Nous sommes dans la nuit et nous nous guidons et tiens-toi a\ moi ! Tes jambes sou- tiennent tes re^ves, ton silence qui pe\sent lourd dans mes mains sur lesquelles s'appuie ton cra^ne, et nous avons traverse/ le couloir en titubant jusqu'a\ la salle de bains ou\, avec une serviette-e/ponge, j'ai frictionne/ ta nuque, ton front... Tu as entrouvert les yeux sans te re/veiller et tu me regardais, tu me souriais en continuant de dormir, mais c'e/tait suffisant, j'e/tais rassure/e par le rai organique que filtraient tes paupie\res mi-closes. Les sons de ta respiration, dans la nuit, formaient les syllabes de la vie. J'avais moins peur. Je 13 chercherai les mots, les seuls mots que, dans le noir, nous aurons besoin de nous dire, les mots dicte/s a\ mes mains par ton e/paule, par ton bras, par ton dos, par ta te^te, jusqu'au mo- ment ou\ nous pourrons sortir, jusqu'au moment ou\ nous aurons retrouve/ le jour, le soleil. Et il y a le ciel, les nuages. La terre est enveloppe/e par l'espace. Comment s'e/chapper de cette nuit de l'inte/rieur ou\ re\gne l'exce\s, ou\ je suis couche/e dans le noir en entendant la nuit me gratter, me creuser, haine qui exsude... Ce n'est pas ma haine..., pas la mienne... C'est comme des yeux dont le regard vous rejette... Je sursaute dans cette claustration que la nuit roule sur mes le\vres ferme/es et serre/es... La nuit n'est donc pas termine/e ? La nuit est donc si longue ? Com- ment m'insensibiliser ? Comment me retenir de manger en pleine nuit, de manger ma propre faim en de/gustant cette bile que je ravale? Ce lait noir de la terreur quand les couleurs, les rouges, le vert, les bleus, sont perdus dans cette auste/rite/ me^me si la lampe de chevet e/claire la chambre. Et la force est sombre... 14 --- Ou\ est mon pe\re ? murmure la petite fille. J'ai dit au travesti : --- Ou\ est ton corps ? Il m'a re/pondu : --- J'ai des plumes et j'ai cette soie gre\ge et ce tulle plus doux et plus lumineux que ton de/collete/... J'ai murmure/ : --- Pourquoi ?. . . Et ses yeux ne s'arre^tent ni sur mon visage ni sur ma poitrine. Le travesti est cre/puscule ; et un nouveau jour de mon existence s'ache\ve, dramatique, et je me recouche bien que la nuit ne soit pas encore totalement descendue et je retrouve ma nuit inte/rieure. --- Tu me rends inerte. Avais-je seulement pu avouer au travesti en traversant la lueur pour raccompagner jusqu'a\ ma porte le jeune homme, cette silhouette de mon de/sir de/charne/, cette dernie\re clarte/ . 15 Et quand tes cheveux frisent sur ton front a\ cause du temps pluvieux et quand l'air humide des bois, a\ ton retour de promenade, colore tes joues et les rend encore plus veloute/es, je ne sais plus quoi faire, je suis la condamne/e a\ mort qui voit encore la lumie\re, encore la vie entre les barreaux de sa cellule et je mesure toute mon impuissance et je dois me retenir de te presser sauvagement contre moi pour boire ta peau. Et l'angoisse, la mise\re viennent entre ces murs noirs. Et ou\ est l'amour ? Me dit la nuit. Ou\ y a-t-il assez d'amour? Une femme e/gare/e par la solitude erre jusqu'a\ la folie dans cette nuit, dans ces gestes de nuit, gestes du sommeil qui ne vient plus, gestes de l'agitation qui fait souffrir le dos et les jambes, gestes de la faim qui ne supporte plus la nourriture, gestes d'e/gare/e, gestes qui ne travaillent plus rien, gestes de refus. Et cette compagne de la mort ne se le\ve plus de son lit et, frigide, eIle ne va plus a\ la fene^tre reconnai^tre la terre, les arbres, comme si elle avait a\ jamais coupe/ en elle les nerfs, les 16 muscles qui l'e/rotisaient, qui la rendaient re/ceptive, qui la reliaient au monde de la vie, comme la sage-femme pour se/parer la me\re et l'enfant coupe le cordon ombilical. Et la femme scrute cette blancheur forme/e par les trois couleurs ge/ne/ratrices, le bleu de ton oeil, le rouge de ta bouche, le jaune des jonquilles, ma lumie\re, l'e/quivalent dermique de la vie, l'ensemble de tes organes des sens qui te permettent de m'aimer et de me sentir t'aimer, mon enfant-fils, mon enfant-fille que mes perceptions, malgre/ ma nuit, peuvent saisir, pre\s des rideaux tire/s... Et le silence, dans les coussins, se tapisse de cils vibratils qui prote\gent encore l'inte/rieur en rejetant a\ l'exte/rieur l'agression, mais les poussie\res de mort sont colle/es, inexorables, dans les pou- mons, dans le foie, dans le cerveau des mangeuses folles. Est-ce mardi ? ai-je mur- mure/, et j'e/prouvais ce malaise qui s'accentue avec la progression de la nuit dans ce de/lire, divan de nuit noire, divan d'angoisse. --- Serre plus fort. La petite fille se reforme a\ mesure que la nuit l'efface... --- Je suis essouffle/e... 17 Elle ge/mit. --- C#a ne fait rien. Il ne faut pas arre^ter. Recommence !. --- J'en ai assez, soupire-t-elle. J'en ai assez... Elle me rela^che et je retombe... Et cette nuit est blessure, ballonnements, l'e/volution de l'infection, lenteur, danger. --- On va fermer la fene^tre, la porte ; personne ne pourra plus nous faire de mal... Dit la fillette comme si elle e/tait une femme, comme si eIle disait que le ma^le n'entrerait plus dans la femelle... --- Fermer la bouche, fermer les yeux, fermer les mains, fermer l'oreille pour que rien, pour que personne ne nous manque plus... Lui dis-je. Les formes viennent s'asphyxier dans la de/sorganisation de mon e^tre. Et je me divise. --- Le\ve-toi... Dit la fille. Essaye de te lever... Le fils surgit : --- Tu n'as pas mange/... --- Elle ne me touchait jamais avec les 18 doigts, avec les mains ; elle n'avait pas de bras, pas de mains, pas de chair... Cette blessure ou\ je loge avec deux enfants s'enfonce encore, encore, encore plus au fond des sanglots, tout au fond, tout au fond, et se fractionne en cette multitude de particules de souffrance ou\ l'ampleur de la destruction ne peut plus s'analyser et ou\ cette souffrance semble atteindre sa dimension, celle de l'es- pe\ce humaine mutile/e... --- A quoi sert de parler?... A quoi sert d'e/crire ? Si ce n'est pas l'amour qui e/coute, si ce n'est pas l'amour qui va lire ?... Et la poitrine secoue/e par le de/sespoir, la femme pleure... Et l'intelligibilite/ du sens des mots et l'intelligibilite/ du son des mots ne se rencon- trent plus... Comment s'e/chapper de cette nuit noire ? Comment remonter en haut de la ligne me/lodi- que ? Comment faire du masculin et du fe/minin un dissyllabe, un seul mot, un seul 19 corps ?... Maternite/ lubrifiante d'une syntaxe nouvelle aux substantifs adipeux, aux cuisses infinitives, les mains et les le\vres pourraient toucher les mots ; parler nourrirait, et cette langue de soute\nement aurait une re/sonance tactile qui ferait de chaque phrase la proche parente de la peau et des muqueuses, si intime serait le rapport de ce langage oral avec l'e/corce ce/re/brale, avec la vie, avec la bou- che, dans cette expe/rience sans restriction, dans ce commencement de fusion ou\ les voies et les centres nerveux nous accueiIleraient dans le cerveau et nous communiqueraient le langage neurologique de notre organisation qui est non pas division, non pas se/paration, non pas opposition, non pas recul, mais passage constant d'une e/tape de fonctions automatiques a\ une e/tape de plus en plus complexe, mais progression, perfectionne- ment, effort, e/volution de notre comportement vers la volonte/, vers l'expression, vers la cre/ation, vers la tendresse, vers la liberte/, victoire sur la nuit et sur la souffrance... 20 Mais il fait nuit. Ce n'est pas le jour. La conscience chemine mal dans la pa^leur chaude de/laye/e au miel comme certains lumi- nistes de/layent leurs couleurs. Et il fait nuit dans cette blancheur dont les reflets ont durci dans l'enveloppe au point de ne plus pouvoir venir e/clairer mes mains qui, semblables a\ des yeux, cherchent a\ voir dans cette nuit du corps humain ou\ il faut caresser pour perce- voir... --- Avance. Je ne te vois pas. Je discerne d'elle une aure/ole. Et la vie semble prendre seulement forme pour e/craser le de/sir qui, dans cette chambre, invente. Et je ne/glige mes enfants et je me ne/glige et cette lourdeur des pots de chair et d'organes ima- gine l'amour... --- Tu ne vois rien. Il faut allumer... --- N'allume pas. Approche. La tache claire se profile sur la nuit : --- Rien... Rien... Rien. C'est ma nuit. Qui suis-je ? Je ta^tonne. La\ masse ressort mal sur le sombre. Et cette lumie\re se retire chaque fois trop vite de ma nuit qui manque de secours pour palper cette approche et pour re/ussir. 21 La bouche se\che et les yeux fixes, je me suis retourne/e sur mon matelas de nuit et de de/couragement... Mais ce qui briIle dans l'obscurite/ ou\ les tons de la chambre sont e/teints, ou\ les couleurs ont perdu leur lumino- site/, c'est cette passion, c'est le regard volon- taire et tendu. --- Pourquoi ouvres-tu les yeux ? Dit le fils. --- Non !. Crie Medje. C'est difficile de re/sister et de ne pas griffer, mordre, de/chiqueter et c'est difficile malgre/ ces deux paires d'yeux, mal- gre/ ces deux enfants qui plaquent leur petit corps effraye/ contre la fene^tre pour me barrer le passage tandis que je me pre/cipite dans ma douleur ou\, porte/e au sommet de la cre^te intensive de cette nuit par l'angoisse, je m'efforce de cesser d'e^tre consciente... Il y a une telle force de souffrir dans la femme ! une telle force de souffrir dans le corps humain !. une telle force de souffrir dans cet amour !. Oh ! ne plus souffrir... Oh ! Crier pour supporter. Crier pour se 22 libe/rer jusqu'au fond... jusqu'aux ovaires, jusqu'au rectum, jusque dans l'e/paisseur de la paroi abdominale, jusque dans l'e/paisseur de la paroi intestinale, jusqu'a\ l'innervation du coeur et du poumon, jusqu'a\ la vaso-dilatation des vaisseaux du clitoris. Crier. Et dans cette nuit du syste\me nerveux, dans cette diminution de l'acuite/ visue"e, dans ces troubles de la vue, pourquoi tes cheveux, Medje, demeurent-ils la lumie\re ? Pourquoi ta peau, Medje, demeure-t-elle la lumie\re ? Pourquoi ton oeil, Enguerrand, demeure-t-il ma lumie\re ? Pourquoi ta voix demeure-t-elle ma lumie\re ? Oh ! sexe du trajet de cette angoisse ! Energie irrigue/e par des arte\res de vitalite/ ! Violence dont les veines se jettent dans les veines. Peur dont les personnages produits par un me/lange de faim et de frustrations construisent la structure du cri tragique !. Medje, a\ mesure que tu grandis, la surface de ta joue, la surface du baiser, le velours 23 humain s'e/largissent... Mes le\vres trouvent toujours plus d'espace sur ton visage. Oh ! ce conflit ! ces fontaines, ces laves, cette liqui- dite/ qui engloutissent la maternite/ et l'obscur- cissent! C'est comme si les instincts n'arri- vaient pas a\ se diffe/rencier, comme si l'amour n'exprimait que la nuit, que l'obscurite/ d'un sentiment amoral ou\ le social ne s'oppose plus a\ l'individuel, ou\ l'instinct de conservation, ou\ l'instinct maternel sont encore confondus avec l'instinct sexuel, avec l'instinct de nutrition qui pousserait me^me Ia me\re a\ gou^ter, a\ manger, a\ mastiquer son enfant dans cet e/lan de la vie, sous la pression de la salive, du sang et de l'urine archai%ques, effre/ne/s... Le travesti est enferme/ dans un carre/ violet, et Medje, la lueur, est le noyau d'un fruit de lumie\re dont la chair est sans cesse de/faite et refaite par mes le\vres qui miment un repas. Et il y a Enguerrand, mon fils, dans un rectangle qui rappelle le jour. Et il y a le corps, son e/tat, ses sympto^mes, dans cette femme et dans tous les recoins de cette obscurite/. Et il y a un 24 homme e/vite/, chasse/ de la maison. Et il y a d'autres aspects qui se forment seulement pour quelques heures : Ce sont des ors, des gradations carmine/es, des glacis de bleu mine/ral, des trai^ne/es rouges de saturne, des bistres, des rouges sexuels, des satine/s de raisins, des yeux. 2 Le jour de ton visage. Les cheveux des greniers comme des touffes de reines-des-pre/s et je laissais tremper les longs cheveux dans l'eau frai^che qu'ils parfumaient. L'enfant devenait une infusion de tilleul. Je se/chais la chevelure dans un linge. Province de vallons, de collines, de monts, les fore^ts de cerisiers, les fore^ts de noyers. Le se/chage des noix. A la campagne. Le ble/. La vie. Fille de souvenirs. Medje douce. Medje ca^line passe/e au tamis de mes doigts et bue par mon coeur. Carnation de la lumie\re. Matie\re de ce visage. Le fil de sa chemise e/tait du soleil dans mes mains. Comme le bombement crayeux d'une terre vallonne/e ou\ je ne peux plus entrer, ou\ je ne peux plus me coucher dans les prairies, ou\ je ne peux plus attendre sur les collines ensoleil- 27 le/es, ou\ je ne peux plus descendre jusqu'a\ la mer borde/e de falaises blanches. Douceur... Me voici loin de cette e/motion. Me voici loin de cette odeur que mon odorat donnait a\ la terre. Oh ! Medje ! Medje ! Je suis a^ge/e. Tu recommences le voyage psychique. Tu vas de nouveau parcourir ces fibres, ces voies sensi- tives. Et ta peau re/fle/chit mes souvenirs. Comment te respirer ? La nuit est la\. Une nuit inculte comme des landes de/sertes. Un pays aux terres ste/riles. La chair du corps se venge. Le corps abandonne/ a\ cette agressivite/ se venge. La chair qu'on a refuse/e remonte aux le\vres en morsures, en nause/es, en muscles, en ne/vroses, en crachats, en insultes, en rongements... Eloigne-moi de cet inassouvis- sement. Arre^te cet arrachement ! Emme\ne- moi! Donne tes joues a\ ma main !. Mais la recherche de la conscience assure la propagation a\ l'amour et assure la protection et la vie au corps, et je ne mourrai pas tant que je te chercherai, tant que je t'appellerai, tant que je me souviendrai, tant que j'ouvrirai les bras, les mains a\ cette forme fuyante et 28 insaisissable qui se de/gage de ta peau et me communique cette paix ou\ la sensation m'en- vahit, Medje de blancheur... Medje gluti- neuse comme le pain, Medje comme la faim nous assure notre existence en nous poussant a\ rechercher une alimentation adapte/e a\ nos besoins physiologiques. Medje dont la femelle porte des mamelles. Medje mammife\re comme la manifestation biologique de cette lumie\re, de ces rayons appele/s par les mains, par les bras dans l'appe/tit insatiable d'amour. Medje humaine... Ma fille en liaison avec mes nerfs. Medje dont le mode ve/ge/tal re/clame des soins de de/fense et des soins de re/colte. Medje travaille/e par le souffle. Terre e/lectri- que des scissures, des sillons et des circonvo- lutions mentales. Medje dont le rire monte du silence et de/chai^ne cette tendresse dans ma poitrine. Medje de mon sang. Medje de la profondeur de cette nuit ou\ ma de/calcification augmente avec la distance qui se/pare de la vie le corps de/vore/ et de/vorant. 29 --- Allume. J'ai cherche/ a\ ta^tons. J'e/tais vivante.... J'e/tais encore vivante... Il y avait ce mur, cette re/sonance de la brique dans mes doigts ; ou\ es-tu Medje ? Ou\ es-tu ? Viens ! Je t'ai appele/e. Tu n'entends pas. Tu n'entends jamais ! Je suis couche/e. Je suis dans mon lit, toujours dans le me^me lit..., dans ce lit sale..., toujours ce corps couche/, malade, a\ bout de forces... Viens ! Soulage ma te^te avec ta main... Mets un peu de vie sur mon front... La douleur m'e/lance, e/clate ; je l'entends presque ; je l'entends de/truire mes cellules, les de/truire a\ mesure que l'amour les re/pare... Mais l'oui%e est faite pour la vie, pour les bruits de l'exte/rieur ou\ chatoient encore des casca- des, ou\ remuent encore des branches dans la fore^t. Medje, Medje, comment me lever ? Com- ment me hisser jusqu'a\ la trace que ta lumie\re laisse partout ou\, semblable a\ l'influx nerveux dans les nerfs de la sensitive, tu passes ?... Mon regard aux yeux apeure/s ne suit plus que le de/placement de l'ombre sur le mur, 30 mais je m'oriente vers cette lumie\re, vers ce que je sens vivre au bout de ma souffrance. Et les doigts de ma peau comme s'ils e/taient ma vue, dans le coeur qui bat encore, me montrent un chemin ou\ l'affolement crie a\ travers le trajet des fibres dans le nerf, a\ travers la sensibilite/ tactile, a\ travers les fonctions ce/re/brales, a\ travers l'audition, a\ travers la vision. Et il fait nuit de me^me que la re/tine de/colle/e ne perc#oit plus ni la couleur ni la lumie\re, de me^me que le vert et le violet s'annihilent s'ils se me/langent. Draps de lumie\re noire. Et je sombre. Les rideaux sont tire/s. --- Tu le pre/viendras. --- Qui? --- Il n'est jamais la\. Je prends la serviette pour m'e/ponger. --- C#a coule, c#a coule. Vite, de/pe^che-toi. Il faudra parvenir a\ la tole/rance, a\ l'en- traide. C'est dans le corps que c#a se passe, c'est ce qui rend si difficile, si douloureuse l'expres- sion, c'est ce qui fait si mal... J'ai pris le fin petit visage intelligent d'Enguerrand dans mes mains : 31 --- Il faut que tu m'e/coutes ! Ai-je souffle/ au fre/missement. C'est la ve/rite/. Il faut du courage. Mais c#a demande tant de force ! tant de force ! de s'opposer ainsi a\ ce qui domine... Mais moi, je t'ai fait avec mon ventre, avec mes seins, avec mon cerveau, avec mes mains, avec ma peau... C'e/tait l'autre de/but. C'e/tait encore physiologique. Je suis une femme. Tu es mon enfant. Tu es mon fils, je sais que la vie a de la force, je sais que la vie a toujours la force de l'amour, la force de parler. . . L'ombre progresse comme quelque chose d'externe qui deviendrait interne, et je scrute l'obsurite/ qui m'inhibe. Medje, Medje, les lumie\res s'e/teignent. C'est de cet e/tat cre/pus- culaire que je ne peux plus me sauver... Mais tu as devine/ et tu reviens et sur ma main, sans me fatiguer, tu appliques cette lueur qui e/paissirait si je n'e/tais pas prive/e de soleil et de jour par l'enfermement. Et fu fais miroiter la peau de ta chair tandis que me de/chire encore le besoin de me sentir innerve/e par ce chatouillement vaporeux, par les points 32 scintillants, par la poussie\re d'or de ces cheveux mousseux de blondeur. Medje qui Part des le\vres Medje qui est le faisceau de lumie\re de cet affinement ajoute/ a\ la vie instinctive, dans les couches cellulaires de l'e/corce ce/re/brale, dans la de/licatesse de la structure humaine, Medje ma tendresse sans laquelle il n'y a plus de jour, il n'y a plus de ve/rite/, il n'y a plus de corps... Medje, ma douce, dans cette nuit inte/rieure ou\ je pleure, ou\ je ne peux plus te construire, ou\ je me de/bats, ou\ je me de/teste. Et d'autres journe/es dans la chambre sont cet e/change de reflets entre les yeux de Medje et les miens. --- Medje. . . La petite fille est cette minceur de la couche de chair, dans l'ombre ; elle est cette lueur a\ peine blonde, la\ ou\ les le\vres, ou\ les mains peuvent encore fugitivement toucher les 33 joues, les e/paules et elle est ce satin qui parai^t de/terminer la limite de la luminosite/ du corps. --- Medje. . . Elle est l'analogie entre le ciel, le soleil et la chair, la peau, et elle se verse dans mon coeur comme le lait astral de l'infini, comme si ces courants lumineux, l'humain et le solaire se me^laient sur la terre que re/chauffe l'e/mo- tion ou\ se re/fle/chit le rayonnement. --- Ma fille... Et c'est la main du passage de la nuit a\ la lumie\re, la petite main d'un langage ou\ les yeux, les cils, les membres remplacent sou- dain les mots et ou\ le corps, le visage de l'e^tre qu'on che/rit tant sont la lumie\re qui nous permet de voir, comme si apre\s la mort, revenait la vie. Et c'est ici, dans ce passage de mon coeur a\ ton coeur que je suis vivante... Et sa chevelure roussie par la lumie\re monte vers mes narines et j'embrasse ses cheveux qui sentent le parfum d'un fond de sac a\ main... 34 Le travesti essaye : --- C#a sent mauvais ! c#a sent la sueur! Pauvre femme ! Qu'on lui change au moins son pansement ! --- Il n'y a personne pour la soigner, se sont e/crie/s Medje et Enguerrand. Et nous sommes des enfants. --- Mais levez le store, dans cette chambre pour qu'on y voie clair! Vous ne pouvez pas vivre tous les trois confine/s dans ce manque d'air et de lumie\re... --- On arrive a\ se voir... On distingue bien la peau, les ongles, les dents. On a l'habitude de l'obscurite/... On s'habitue a\ se toucher pour se voir : C'est plus doux. C'est plus chaud, comme si on avait tous les trois le me^me corps... Et il y a toujours ce clair-obscur, ce contre- jour, cet inconscient auquel, dans la nuit, e/quivaut la chair. Il y a toujours cette cham- bre, ce lieu de certitude ou\ s'agripper a\ la 35 chair duvete/e pour ne pas abandonner et on tient bon. Et c'est comme si toujours une pousse/e venue du fond nous renvoyait a\ la surface respirer un peu de jour quand, des- cendue a\ cette recherche de la tendresse, on est sur le point d'e/touffer a\ force d'approfon- dir cet attachement toujours plus visce/ral, toujours plus intense, au cours de cette lutte contre la solitude, contre l'interdiction, contre la folie, contre la haine, contre le renonce- ment. . . Et ton odeur sous l'e/clairage de ta peau pe/ne\tre la nuit et l'anime d'une lumie\re surnaturelle, lumie\re fonce/e ombrant la nuit et tu continues de sourire a\ demi, je me penche vers tes yeux re^veurs, vers ton visage de madone, vers ton myste\re, vers ce que la chair a d'inde/finissable, d'e/nigmatique, vers ce rayon de vie ou\ l'ombre, dans la chambre, ne se distingue plus de la lumie\re, ou\ ton haleine sent bon, ou\ la membrane pre^te son a^me a\ cette douceur de ta petite main qui me tient; et je regarde e/maner de toi le mouve- 36 ment de l'invisible, les liens qui nous atta- chent, qui nous unissent si fort que je ne peux pas comprendre. Et quelques instants je parviens a\ renai^tre comme si la vie e/tait e/ternelle et que l'amour e/tait un phe/nome\ne de lumie\re et que cette lumie\re de la lampe de chevet qui t'e/claire e/tait recouverte d'une lumie\re physiologique par ta peau, par ta chair, et je me retiens de te toucher et de t'embrasser car les mains et les le\vres sont impuissantes a\ saisir, a\ caresser de la lumie\re. . . 37 3 Parfois, plus forte que le reflux, je m'e/chappais de la vie affective pour retourner a\ la vie sexuelle, a\ des fourmillements. Je gonflais en bas de mon ventre ou\ la congestion de/clenchait l'ouverture inte/rieure, ou\ je m'e/largissais, ou\ je m'allongeais, irrigue/e, engorge/e, en invitant l'e/rection de l'homme a\ pousser, a\ entrer..., a\ revenir... C#a m'a repris... C'est dans le ventre... C'est cette musique... C'est ce besoin... qui monte, monte de mes jambes et irradie dans mes seins, dans mes bras. C'est le retour de cet e/tat amoureux. Les fibres se de/tendent. Et concentre/, explosif, le tissu e/volue, l'e/largis- sement progresse le long du conduit vaginal, 39 ouverture concentrique, spirales, danse gra- duelle, les le\vres engorge/es par le sang s'ouvrent en appels circulaires, en cercles irre/sistibles, s'ouvrent en longueur et en dia- me\tres accrus a\ mesure que se plissent la demande, la lubrification, que perle la moi- teur sur les parois, que se de/placent, mouille/s de chaud, les doigts vers le clitoris, dans ce rouge sanguin fonce/ par l'excitation comme le soleil de l'e/te/ nous bru^le. Il y a l'autre : un de/sir de mes seins, un de/sir de toute ma peau, un de/sir de ma bouche pour cet homme qui me fera souffrir parce qu'il m'ignore, parce qu'il refuse de donner. Il y a aussi ces re^ves ou\, dans cette chambre, me^me si tu n'es pas la\, me^me si tu es loin, je supplie tes yeux de me toucher, comme tes mains : << Regarde-moi pourvu que tes yeux me palpent. " Regarde-moi, souffle sur ma peau comme le pe/nis frotte le vagin. Il y a l'autre de/sir, l'autre partie de l'amour, l'autre organe d'un autre besoin. Et c'est peut-e^tre toujours le me^me de/sir et c'est peut-e^tre toujours le me^me amour, la me^me soif : ce 40 corps qui nous de/mange, qu'on nous fragmente, qu'on nous de/compose, qu'on nous condamne a\ refouler, qu'on nous interdit, ce corps dont la force, le potentiel, la de/mesure font peur... Oh ! angoisse ! angoisse ! comme les doigts d'une main qui chercherait a\ conte- nir l'infini dans la nuit en se tordant... Et je meurs... dans ce supplice. Et la gra^ce ne s'approche pas de mes le\vres qui ont trop soif, qui ont trop faim au fond de cette chambre me/ditative et labiale ou\ la lumie\re me hante et ou\ la nuit se voit comme par transparence tellement la peau, la chair, les cheveux continuent de rayonner et de m'attirer... Et tellement tu te condenses dans ce visage, dans cet oeuf d'un monde... --- Eteins, Maman ! Il est tard ! Murmure Enguerrand. --- Est-ce qu'il est passe/ ?... --- Qui ? --- L'ombre devient plus sombre. 41 Je me recouche, les yeux grands ouverts. Et l'obscurite/ me traverse et tes cheveux, capte/s dans ta pa^leur, voilent ta peau comme des nuages tamisent la lumie\re. Et tu t'obscurcis. Et j'ai de plus en plus de mal a\ respirer, de plus en plus de mal a\ te voir, de plus en plus de mal a\ t'e/treindre; on dirait que tu t'e/loi- gnes, que tu perds de ta lumie\re, que je recommence d'e^tre livre/e a\ cette solitude, a\ cette contraction de mes visce\res et que mon syste\me nerveux ne commande plus qu'a\ mes fonctions ve/ge/tatives et que, dans cette nuit, il n'y a plus de diffe/rence entre dormir et veiller ; et en t'e/loignant de moi, tu perds de ta blondeur. Et ce me/lange de clair et d'obscur ce\de graduellement a\ cette angoisse et a\ la nuit. Et mon corps manque de toi et ne se sent plus relie/ par la main a\ tes cheveux, a\ ta peau ; et il est lent, cet arrachement, comme si tu n'en finissais pas de disparai^tre et que j'entrais de/finitivement dans la zone nocturne de l'extinction des sens et de la perte de sensibilite/ ou\ rien de l'amour n'est plus concevable. Et ta blondeur et ta pa^leur se me^lent dans cette lueur que tu me retires en 42 partant. Et il est tard. Et je ne crie pas : on ne crie pas, seule dans le noir ou\ il n'y a plus personne pour nous entendre... Et tu n'e/tais peut-e^tre qu'un effet de ce rayon entre/ un instant dans mon coeur par l'inspiration d'une bouffe/e d'air quand j'ai caresse/ ces cheveux de petite fille. Et je ne sais plus bien ce qu'appellent mes doigts, ce que cherchent mes doigts, ce que caressent mes doigts. Et je crois que c'est la nuit qui vide ainsi mes mains et vide ainsi mon coeur a\ mesure qu'autour de mon lit les contours disparaissent et que je perds la vue et que s'e/paissit le brouillard se/cre/te/ par la peur qui m'empe^che de reconnai^tre les sil- houettes familie\res. Viendras-tu ? Comme un pressentiment maintient cette vigilance de tous les nerfs et de tous les muscles... Et rien... Rien... Personne... Rien... Rien... Je sursaute. La nuit est si noire, si noire qu'elle semble peuple/e d'ombres en mouvement sur ces murs de l'enfer ou\ la cruaute/ tombe en gouttes a^cres dans l'arrie\re-bouche d'ou\ ne sort plus aucun dialogue de communication et de de/livrance... Et le modele/ du visage s'alte\re. Et mes mains ne te trouvent pas. Et 43 l'absence, au cours de l'implacable, au cours de l'analyse, forme des barrie\res qui empe^- chent la diffusion de cette lumie\re. Et il continue de faire nuit tout au fond, tout au fond de cet inte/rieur, de cette introspection dont les murs semblent avoir un ro^le physiolo- gique d'emprisonnement, dans cette pie\ce ou\ j'oublie que je suis vivante... Il n'y a rien... Rien... Rien... Et je me suis trai^ne/e pour rien jusqu'a\ la porte pour essayer d'ouvrir. Et les fibres de la lumie\re ne fonctionnent plus et la lueur ne de/colle plus rien du fond. Et rien d'autre ne se profile plus que les ombres, la peur. Et aucun son ne me sauve de ce silence et ne me donne l'illusion que je communique avec l'exte/rieur, avec toi, avec vous... Comme si je n'avais plus de mains, plus de bras, plus de peau... o^ sadisme ! o^ ane/mie ! o^ cette partie cannibale du corps qui de/vore tout le reste... o^ violence... Violence... Abandon... Me/ca- nisme masticatoire de morsures et de succion autodestructrice comme le secret qui n'en finit pas de se manger, de se de/pecer, de se masturber, nuit re/pressive ou\, dans cette attente, on n'ose plus rien, on ne peut plus 44 rien, il n'y a pas d'issue, il n'y a pas d'issue... que la re/signation a\ l'e/touffement... Et Enguerrand et Medje me demandent de ne pas e^tre si inquie\te, si inquie\te... La fene^tre e/claire a\ peine quand il fait jour. Et a\ l'inte/rieur de cette chambre, c'est en vain qu'on se place devant cette petite fene^tre pour recevoir un peu de lumie\re. Mais seules, la peau, la chair produisent l'image de la ten- dresse et forment miroir et interceptent la peau, la chair... D'invisibles lacets noirs emprisonnaient mes seins dans une grille qui formait un filet dont ma chair e/tait le contenu trop passif et je ne pouvais plus sortir mes seins de ces pincements et les broderies psychotiques de ce soutien-gorge muraient ma peau et j'e/tais la femme qu'un homme posse/dait et palpait et j'e/tais marque/e aux seins et au ventre par les mains, par la bouche de cet homme sur ma peau et j'ai refuse/ cette prison d'e/rotisme... 45 Et ses doigts, a\ l'ho^tel, me gonflaient et mes seins, trop gros, tenaient mal dans les mains d'homme ouvertes a\ mes ge/missements que les doigts, les ongles cherchaient a\ triturer, a\ malaxer. Et ces lacets me serraient, m'irri- taient, m'e/corchaient en m'empe^chant de m'e/chapper. Et l'amant en me le/chant tirait les lacets qui re/duisaient encore la cage textile ou\ mes deux seins e/taient retenus par cette bouche qui les mouillait, les salait, par ces dents qui les mordillaient tandis que j'es- sayais de de/grafer la fermeture et de libe/rer ma chair prisonnie\re de la langue que l'homme, en les faisant pointer, passait sur mes mamelons. Et je sentais mes seins durcir et je ge/missais, l'homme m'aimait en noir : " J'aime que tu portes du noir, disait-il, je t'aime dans ton soutien-gorge de dentelle noire. J'aime te toucher. J'aime ce bleute/ de ta peau ha^ve sous le tulle noir que tu de/chires toi-me^me a\ force de gonfler, aux seins sous ma bouche qui te suce... " J'e/tais si pre\s du de/gou^t. . . Pourtant, tes le\vres sinueuses me domi- 46 naient. C'e/tait quelque chose qui me rappelait mon corps avant me^me qu'elles me pressent et tu continuais de me regarder et mon sexe e/tait un crate\re et a\ cette chaleur je sentais mes cuisses fondre jusqu'a\ se ramollir, jusqu'a\ remonter a\ ma matrice, jusqu'a\ se libe/rer, jusqu'a\ se de/contracter pour couler vers tes yeux noirs, pour me baigner dans le printemps et dans l'e/te/ que ton magne/tisme pailletait d'or et je me sentais t'appeler de mon feu et je me sentais aller a\ la rencontre de tes sens qui cognaient sourdement contre mes muscles et me cherchaient et toute ma chair, tout mon conduit tremblaient, muqueux, t'attendaient. Et a\ force de me tendre vers ta propre tension j'avais mal et mes ovaires mettaient le feu a\ mon ventre, a\ ma crampe, a\ la moiteur qui me fouillait et ta jambe se frottait contre ma jambe et j'avais peur de me retrouver au plus sombre de l'encheve^trement de nos parois et j'avais peur de ta virilite/ et j'avais envie de me jeter dans ce visqueux ou\ ton sexe aurait pu me rejoindre, et ta jambe insistait, enve- loppante, prenante... Et je m'essoufflais, en proie a\ l'envahissement, a\ l'inflammation inte/- rieure, a\ la conque^te qui sous ton haleine me 47 faisaient faiblir, faiblir, rougir, fermer les yeux, devenir collante, e/coeurante, gluante, de/pendante, cette couche fluide ou\ tu te serais enfonce/ dans le noir, dans l'aveuglement en me bru^lant si, sans te craindre comme on craint sa propre sensualite/, j'avais ose/ accep- ter ta fougue, accepter que tu me re/duises a\ ces e/paisseurs du derme et de l'e/piderme, a\ cette matie\re du contact en quoi tu me transformais malgre/ ma volonte/ d'e^tre telle- ment plus qu'une femme soumise a\ l'ins- tinct. . . Et entre les coutures de la bande de satin se trouvait une ouverture pour le passage de la main de l'homme dans cette partie de la femme, les seins, pour caresser dans le gros de la chair... ... J'avais une grosse poitrine... Sce\nes d'amour blafardes... 48 4 Aujourd'hui, a\ l'aube, le ciel e/tait d'un mauve surnaturel qui he/sitait entre le jour bleu et la nuit... Et le plus sombre de la nuit semblait s'e^tre e/vapore/ en nuages de demi- teintes qui flottaient au-dessus des arbres, au seuil de la chambre obscure d'ou\ je suivais le de/grade/ du jour et de la nuit comme s'il correspondait a\ un e/claircissement du monde, comme si s'alle/geait la douleur, comme si je me libe/rais de ces non-couleurs de l'emprison- nement. Et j'ai contemple/ Medje endormie a\ co^te/ de moi ; les lointains la fondaient avec la douceur et la paix qui montaient de l'inde/ci- sion de cette lumie\re ; et j'ai effleure/ ses cheveux sur l'oreiller, mais cette force de l'amour peut soudain atteindre la fre/ne/sie et la me^me main humaine sert a\ la caresse et au 49 4 meurtre sans qu'on puisse toujours contro^ler cette e/volution perverse de l'intensite/... --- Si tu sors de ma tendresse, Medje, si tu sors de ma tendresse, la violence peut tuer... Oh ! ta respiration, les battements de ton coeur dans cette nuit, prennent leur origine dans une enveloppe plus protectrice qu'au- cune main, qu'aucun geste, qu'aucune e/treinte ; et la vie s'e/le\ve ainsi de ma bouche que j'ai approche/e de ton oreille pour te parler, pour communiquer, par ce langage biologique, avec ton visage, comme une me\re donnant le jour a\ l'enfant trouve la force de diminuer la destruction. Et au centre de cette lutte entre la ve/rite/ et l'erreur, entre la sauvagerie et une morale, entre l'amour et la haine, entre l'he/te/rosexualite/ et l'homosexua- lite/, entre l'esprit et le corps, entre le fe/minin et le masculin, entre la fe/minite/ et la mater- nite/, entre l'attraction et la re/pulsion, entre le de/sir et la crainte, entre le de/sir et la spiritualite/, entre soi-me^me et l'autre, et dans 50 cette ambivalence, je me penche sur ce visage qui est ma lumie\re... Qu'ai-je fait ? L'obscurite/ que j'ai cre/e/e autour de moi est si profonde qu'elle m'isole, que je ne sais plus me diriger, ou\ aller. Voici des parties tre\s sombres. Qui es-tu ? Et sans pouvoir supporter plus de souffrance, je reviens, je me place dans tes bras, je me place a\ l'inte/rieur de ta chair, je me place a\ l'inte/rieur de cette douceur de ta chair pour e^tre e/claire/e, pour e^tre rassure/e, pour e^tre fortifie/e, pour sentir le jour s'appliquer sur moi par caresses, par pressions... Mais c'est un enfant. Et j'enlace ma fille. J'enlace mon fils, convulsivement, la vie que je cherchais, la lumie\re que le soleil de/pose sur la peau quand le corps peut sortir de la nuit et que la lumie\re peut passer entre le fond du de/sespoir et les cils et qu'on retrouve la vue, quand cette 51 lumie\re devient aussi homoge\ne que cette chair tendre a\ renifler, a\ fro^ler, quand on n'est plus seul et qu'on est e/bloui par l'autre comme l'apre\s-midi, dans une maison tre\s claire, tre\s blanche, on se sent enveloppe/ par la re/flexion des rayons du soleil. Les yeux viennent-ils d'une racine ? Vien- nent-ils du coeur? Je parlais a\ mes larmes et je sentais ruisseler la vie sur mes joues. Existait-il un passage du lointain au proche ? Et je pleurais pour qu'on m'entende. Et vous serrer, mes enfants, contre mon coeur, contre toute ma poitrine, contre toute ma respiration, ferait cesser la nuit. Mais je n'ai rien dans les bras, dans les mains. Et ce sont les nuits, les me^mes nuits, cette anatomie des me^mes nuits toujours, toujours et le silence, le remords, j'ai beau supplier comme si je m'agenouillais, demander de sortir. Oh ! sois mon amant comme le sein d'une femme peut donner du lait a\ l'enfant... Oh ! sexualite/ ! discordance ! Et des doigs a\ la paume, la main se crispe. 52 Enguerrand e/coute. Et la peau se re/verbe\re sur les yeux de mon fils et projette de l'amour dans la chambre qui, malgre/ l'obscurite/, s'est illumine/e de douceur gra^ce a\ ce regard grave ou\, entre les longs cils du petit visage, j'avance vers ce rayonnement de l'appel et du besoin que concentrent les sentiments d'un enfant de\s le de/but de sa vie. Et me^me si je me de/chire jusqu'aux os, ma chair est aussi ces pre/noms de ma tendresse et peut prendre d'autres formes, elle a servi aussi a\ modeler de la lumie\re : Medje, Enguerrand... leurs cheveux... Le souvenir est entre/ ; il a du^ passer par le rectum. --- Comment as-tu pu entrer ? --- Il y avait les rats. --- Pourquoi viens-tu ? --- Pour boire. --- Je n'ai plus de visage. Je ne suis plus que du sang. Ne regarde pas. --- Je veux seulement du sang. --- Je crois que ce sont les rats qui m'ont 53 mange/e. Ai-je dit. Ils ressemblaient a\ de petites boules noires expulse/es par l'anus. --- Je suis anal, anal et sadique. Je n'ai pas de moralite/. Et tu es ce que j'aime : cette mise\re a\ laquelle tu es re/duite, dans cette cave. Je me souviens. J'e/tais tre\s poisseuse, anxieuse. Les amants. Orage de sperme. Femelle oestroge\ne. Jument e/talonnie\re. Vache taurelie\re. Exce\s. Quelque chose se gaspillait dans ces se/cre/tions. Je ne me contro^lais plus. J'e/tais ute/rine. J'e/tais coule/e dans mes cuisses, dans ma bouche, dans mes ovaires, dans ma folliculine. L'homme dans les zones de foudre, dans les zones physiques recommenc#ait, me satisfaisait, m'obse/dait. J'avais des muqueuses pour le tenir dans ma lubrification comme si je mangeais de la chair humaine. J'e/tais parcourue, envahie, ane/an- tie. Le feu passionnel allume/ dans mon ventre et dans mon sang par des amants de mort me ravageait, m'incendiait, ne laissait de moi que les ruines d'une femme. 54 Or, que nous ide/alisions, que nous subli- mions ou que nous jouissions, nous demeu- rons confuse/ment frustre/s. --- Je suis une femme. --- Une grappe d'intestins et d'he/morroi%des comme un homme. Il faudra te drainer si tu suppures. --- Je re^ve. --- Et ton amant ? --- Ce n'est jamais lui... --- Tu es trop ce/re/brale. --- Le re^ve voulait m'apprendre qu'aban- donner c'est aimer. Le souvenir boit a\ petites gorge/es le sang bouillant. --- Ai%e ! --- Je continue, tu aimes c#a? Qui est-ce ? Qui parle ? Comment savoir ? On exige trop. Nous sommes trop nombreux 55 dans cet espace de mon corps, dans la soupente. Nous sommes trop nombreux a\ nous disputer la vie, l'air. Nous sommes trop nombreux dans le de/sir pour ne pas fausser nos paroles, pour ne pas rendre suspect le regard et pour ne pas sombrer dans la solitude quand nous assaillent ces mouvements contra- dictoires, ces pulsions simultane/es, ces cole\- res qui font trembler d'angoisse. Il y aura la nuit de la nuit, le ne/ant, on entrera dans ces diarrhe/es des entrailles, on entrera dans cette dernie\re chambre ou\ l'obscurite/ est si fonce/e qu'elle efface me^me le rouge sang et qu'elle nous empe^che de nous reconnai^tre. Et on ira au fond. Me^me si c'est dans cette lueur instable des cheveux blonds de Medje ou dans cette lueur de la luminosite/ du regard de mon fils aux yeux brillants comme les cendres de cette nuit ou\ ne reste plus de moi que deux enfants au visage de lumie\re et de feu pour m'e/clairer. Qu'est-ce qui sent mauvais ? C'est dehors. C'est du sang humain. Ferme la fene^tre. Tire 56 les rideaux violets. Je ne veux plus voir. Elle est tombe/e du dixie\me e/tage. Tout ce sang qui coule sur le mur de l'immeuble d'en face. On dirait un mur de sang. Elle a e/clabousse/ le be/ton. C'est plein de sang. Je ne supporte pas l'odeur de la de/composition du corps. Je ne supporte pas la vue. Il y a partout de la chair de/chire/e. On dirait de la viande. On dirait un chien e/crase/ en train de se vider sur la chausse/e. Il y a du sang sur toute la fac#ade. Les muscles de son abdomen sont si tendres. Je n'ai vu que des entrailles e/tendues. C'e/tait des morceaux d'intestins, de rate et de foie ; il y avait du sang a\ la surface du bras et du poumon qui pendaient d'une fene^tre. Fan- tasme, fantasme. Je ne vois que cette effusion sanguine, que cette matie\re de la souffrance, que ces morceaux de gros boyaux accroche/s aux balcons, a\ presque tous les e/tages, au- dessus de son corps disloque/. C'est moi... Je mange la bouillie de sang, le sacrifice, la femme assassine/e qui me nourrit a\ la petite cuille\re, le repas d'horreur, les vaisseaux sanguins aux parois violettes aplaties par la chute. ... Sang de/sert... 57 ... Une re/sistance qui fait si mal, si mal dans ce violet de ma chambre ou\ sont encore confondus le velours, le viol, le meurtre, le de/sir, l'incompre/hension... --- On te fait du mal. Dit le travesti. --- On me fait peur. --- Essaye de te sauver. --- Et les enfants ? --- Essaye. --- Nous sommes tous prisonniers. --- Tu coules, tu coules... --- Il y a en toi et en moi la me^me responsabilite/. Je me fais peur. --- La me^me obsession... --- Il nous est difficile de nous aimer... --- Oui, de nous e/vader de tant de souf- france... 58 5 Je vois a\ peine mais l'amour dans cette chambre me guide. Il me fait voir dans le coeur et me re/ve\le qu'il ne fait pas nuit partout. Et sans cette lumie\re inte/rieure, je ce/derais au pire, je renoncerais a\ lutter, je me livrerais a\ la rancune, a\ la vengeance, au de/lire. Mais l'amour de la lumie\re transforme en lumie\re les mains que j'approche de ton visage et tu rayonnes, je passe des mains de soleil sur cette purete/, sur la peau qui s'e/claire d'un sourire quand elle se sent aime/e et j'ai tant d'amour pour ces caresses, pour cette tendresse que je trouve la force de me libe/rer. --- Je suis ta me\re, je suis ta me\re... En te contemplant je suis une femme qui se hisse au-dessus de l'angoisse et qui parvient a\ 59 la couche de chair illuminative, unitive que les mains et les doigts peuvent retenir. Et le corps humain, dans ce souffle de la contem- plation, devient une lumie\re qui affaiblit la mort et l'envahissement de la nuit. Oh ! la fille donne le jour a\ la me\re ! Oh ! Medje ! a\ l'exte/rieur, on nous tue mais a\ l'inte/rieur de l'amour, le corps arrive a\ revivre... Et le soleil terrestre s'infiltre a\ peine au fond du corps qui demeurerait obscur, le domaine de la nuit si cet e/clat inte/rieur ne nous re/confortait pas et ne repoussait pas la violence ; et gra^ce a\ cette phosphorescence, gra^ce a\ cette de/cantation produites par le fonctionnement des organes de vie, je vois en toi et en moi. Et la force humaine, ce n'est pas l'esprit, c'est l'amour ; et l'amour donne la vue, me^me aux mains qui caressent sans se lasser le corps de peau et de chair... Et dans cette simplicite/ de mon existence ve/cue dans une petite chambre, il me semble me de/pouiller peu a\ peu de tout autre senti- ment, de toute autre sensation, de toute autre clarte/, de tout autre de/sir que l'amour. Et il me semble, au cours de ce lent de/pouillement, avancer vers toi, Medje, vers toi, Enguerrand, 60 vers la ve/rite/ que murmurent, que re/pe\tent le corps et ces mots, toujours les me^mes, qui de/signent, qui illuminent le corps : mains, peau, cheveux, caresses module/s pour com- muniquer avec le foyer de la vie. Mon e/nergie, dans une sorte d'asce\se de la fe/minite/, s'e/conomise, ma langue cherche a\ s'appauvrir par souci d'exactitude et cherche a\ s'e/purer, a\ se re/duire au support physique des mots, a\ la quintessence du langage, a\ ce travail de l'angoisse, a\ la re/gularite/ re/pe/titive de la respiration qui s'exhale de la bouche et du nez et qui se perc#oit intense/ment quand, attentive, la nuit, a\ son sommeil, je suis penche/e sur le sobre visage de l'enfant endormi et que ma maternite/, dans cet effort de protection et de progression, aure/ole Medje ou Enguerrand de ma tension nerveuse. Mais l'a-t-on dit cet amour de la femme pour la vie ? L'a-t-on dite la force qu'une femme donne, au sang, a\ la chair, a\ l'e/lectricite/, quand cette me\re, sur son enfant, caresse plus que le monde, plus que les plane\tes, plus que les 61 oce/ans, plus que les nuages, plus que son de/sir? Et ma peau, ma chair, dans la cham- bre, me bru^laient comme une flamme en touchant cette douceur de l'indicible ou\ on acce\de a\ l'origine ; et ma chair puisait la matie\re. Lueur... Lueur... Chastete/ du soleil... Continence de cette lumie\re que la chair rayonne... Et la flamme qui se retient de bru^ler ne peut pas e/clairer... Et il fait nuit malgre/ le feu qui cre/pite dans l'oeil et dans le sang de celle dont les mains n'osent pas s'approcher de ton corps tandis que la lumie\re, au lieu de se verser dans cette chambre, est empe^che/e de se diffuser hors des sentiments par cette angoisse et qu'elle est renvoye/e au plus secret de l'inte/rieur, au coeur dont elle acce/le\re les battements. Et je trem- ble en m'arre^tant, en m'aveuglant. Et il y a au bord de la clarte/ le liquide beaucoup moins distinct, profondeur qui me trouble dans cet e/clairage glauque et apparente le jour a\ la nuit et l'oeil aux remous et le fond de l'inte/rieur au 62 mouvant et il faudrait se surveiller, s'obliger a\ ne pas re/pondre a\ cette attirance, a\ cet enlisement mais je sens que je se/cre/terais encore plus d'ombre au contact de cette noirceur si je continuais et qu'il suffirait de commencer de m'enfoncer pour ne plus pou- voir, pour ne plus vouloir m'arre^ter. Qu'est-ce que c'est ? A quoi correspond mon incapacite/ d'interpre/ter cette forme ? Quelle est cette silhouette qui pe\se, qui me fatigue sans que je la distingue d'Enguerrand ou de Medje ? Quel est ce fond trop fibreux, trop nu, trop sensoriel, trop amniotique, trop instinctif pour e^tre re/gle/, domine/ par la conscience, quel est ce fond qui me fait ployer sous une terreur liquide, e/paisse et me contraint a\ reculer devant le poids de silence ? Qui d'autre ? Qui est-ce ? C#a n'a pas de nom, c'est l'innommable, l'innommable, ce qui est e/jecte/ par fragments, peut-e^tre ces sons de la chair qui ne deviendront jamais sociaux et que le langage n'inte/grera jamais ? Ces sons qui ne seront jamais des mots, jamais des phrases ? Jamais l'aveu et qui continueront de tisser un filet de nuit pour emprisonner la luniie\re et culpabiliser le corps et perpe/tuer le re^ve 63 nocturne, la faute et humilier l'innocence dans une confuse mortification verbale ? Et il n'e/clatera jamais le cri dans cet e/tat hyper- dense de la sensualite/ ! o^ mon amant comme l'inceste ! o^ pe\re ! o^ me\re ! o^ mon amant comme les femmes, comme les hommes multi- plie/s par mon de/sir! o^ mon enfance ! o^ mon amant de l'insatiable ! o^ le flamboiement qui ne donnera jamais de lumie\re ! o^ cette puis- sance qui confond toutes les manifestations de l'instinct, hommes, femmes, pe\res, fils, fil- les, fre\res, soeurs, sexes, sie\cles, humain, inhumain, dans l'animalite/ infinie du re\gne de la vie comme si tous les soleils, tout l'he/lium de l'univers e/clairaient ensemble la terre malgre/ ce fond de la nuit de la matrice que je touche de toute mon a^me... o^ fureur ! Je te re/prime, mais a\ quel prix ! Dans cet espace maudit, dans ce chaos, ou\ parvenir a\ cette origine signifie ignorer, rejeter la loi, la morale... Et il y a tant d'angoisse aux abords du centre de l'amour la\ ou\ le sexe nous bru^le sans mesure, la\ ou\ la parente/, dans la cellule familiale, e/touffe : --- Jour et nuit, je tourne en rond, je tourne en rond, ai-je chuchote/ au travesti. Cette nuit 64 n'a pas de fin. La jouissance est peut-e^tre tout pre\s. Je la sens presque proche comme si allaient cesser l'incertitude, cette absence... --- Tu n'oses pas. Dit le travesti. --- Toi non plus. --- Eux non plus. --- Personne. Comme si la nuit masquait nos visages pour nous empe^cher de discerner ces surfaces de la chair qui sont la lumie\re. Les yeux d'Enguerrand, au voisinage du coeur, brillaient : bonte/, beaute/, accent de cette lumie\re ou\ l'oeil est parfois si dense qu'il semble presque douloureux. C'e/tait cette gra- vite/ que rayonnait le petit garc#on en me fixant des yeux, a\ co^te/ de mon lit, comme si l'e/clat lumineux de la purete/ croissait a\ mesure que le jour autour de nous re/tre/cissait, que le jour devenait ce re/duit ou\ nous e/tions oblige/s de vivre serre/s les uns contre les autres, loin de toute ouverture. Mais l'obscurite/ rayonne/e e/tait compose/e de rayons de passion ou\ se 65 condensaient le secret, le silence des courants inte/rieurs que le petit visage taisait. --- Tu es beau. Intimite/... Confiance... Rarete/. Un beurre arachne/en comme des bas de soie semble gainer l'e/clairage. Et dans cette partie la plus claire du de/sir, il y a, au commencement de la clarte/, non pas le soleil mais un voile, et il y a peut-e^tre non plus l'imagination de l'adulte mais l'innocence de l'enfant ; et il n'y a de ciel solaire que dans la dentelle, que dans les jours brode/s qui accueillent le regard comme des bras vous enlacent. Et cette chambre pense/e est ame/nage/e dans un volume de lait ; et les broderies sont e/claire/es par la seule luminosite/ de la chair blanche que la respira- tion soule\ve. Et l'oreiller et l'e/dredon, me^me la nuit, sont rose/s comme la lumie\re filtre/e par la translucidite/ d'une main tre\s claire traver- se/e par le soleil. Et aller a\ la lisie\re ou\ finit le monde visuel et ou\ commence le monde du tact, le monde de la peau, aller dans une sorte de joie pulmonaire, a\ l'air et au vent et au bruissement du feuillage odorife/rant et au balancement des brindilles et des ramilles. Et 66 sortir de la maison pour respirer les bouleaux, les peupliers, les saules, les noyers, les cha^taigniers aux folioles agite/es par la brise et aller au bout du toucher pour trouver ce volume d'air qui manque et passer les frontie\ res pour de/couvrir l'apaisement et pour e^tre de/livre/ de ce qui nous oppresse et de ce qui bloque les mouvements inspiratoires dans la poitrine et aller au renouvellement de l'oxy- ge\ne, aller aux arbres et aux nuages, aller au craquement des branches, au pays du vent ou\ le jour me^le aux mouvements du ciel les feuilles ovales, lobe/es, vert clair dans la lumie\re ae/rienne. Nai^tre. Aller au sol pour marier a\ l'atmosphe\re, au volume d'air intrathoracique le corps sous l'action des muscles de la respiration, pour voir les deux seins pre\s du coeur monter et redescendre re/gulie\rement sous la gaze qui recouvre le buste. Et ne plus distinguer d'un pays de fore^ts et de champs de ble/ le laiteux de cette femme qui, dans ce coin de chambre, dans cette robe ou dans cette chemise de nuit, e/claire comme le jour mu^rit la terre : le petit garc#on m'observe. On re/ussit; dans un visage, peut- e^tre, a\ puiser de myste/rieuses forces de re^ve... 67 Et la matie\re lumineuse en s'intensifiant dans ses yeux accroissait la lumie\re et face a\ ce regard je me sentais rajeunir et le senti- ment devenait la douceur qui permettait a\ la peau de ce visage enfantin d'adhe/rer a\ l'e/clat uniforme projete/ sur le fond noir de la nuit... Et je n'e/prouvais plus le besoin de m'appro- cher du petit garc#on et de le pe/trir car cet enfant e/tait inte/rieur et j'e/tais tout irradie/e par cette force. Et l'e^tre humain a les moyens de grandir ainsi vers la victoire de l'amour sur la solitude. Enguerrand ! appelai-je a\ voix basse. Mon fils de lumie\re se profilant sur le rayon- nement nerveux des couches de peau protec- trices des organes sous-jacents rendait visible la palpitation interne du corps. Comme s'il me faisait e/merger, sortir. --- Pourquoi m'appelles-tu, Maman ? Je suis la\. Je suis a\ co^te/ de toi. Je suis tout pre\s. Rendors-toi. --- C'est vrai... Je sens ta peau. Je te sens. Tu es si gentil. Et ainsi peut luire la chair dans la voix. . . Et mon fils, enfant de scintillements, jetait ses rayons a\ toute la nuit comme si la 68 tendresse ensoleillait la chambre, comme si je n'e/tais plus aveugle. --- Qu'est-ce qu'il y a ? M'a demande/ Enguerrand. Pourquoi me regardes-tu ? L'enfant, au milieu du silence, paraissait l'aspiration qui attirait toute cette matie\re affective... Reflets qui, a\ travers la sensibi- lite/, laissaient transparai^tre la peau, le des- sous, l'eau biologique, le plasma, les courants ascendants et descendants du sang. Je t'aime. Et avec amour, je racontais, je de/taillais la coloration sanguine, ce tremblement de la lumie\re sous-e/pidermique, je me lovais dans le refuge conjonctif et fibreux, dans le tissu cellulaire des couches de peau des parties de la caresse ou\ je m'enfonc#ais dans la petite chambre de cytoplasme en observant cette lumie\re violace/e, liquide qui me permettait encore de sentir... Et par l'incessant jeu des e/paisseurs et des transparences, le coeur, la petite poitrine battante de chaleur, en se blottissant dans mes yeux, me frappent de leur rayons et me rec#oivent, peau d'imbibition qui baigne ma peau en constant e/tat d'e/changes ; et l'angoisse parvient a\ se dissoudre dans cette clarte/ qui s'insinue dans l'ombre tandis qu'au 69 travers du nimbe de chair je peux entendre la circulation du milieu inte/rieur. Et nous nous regardons. Et nous allons de l'un a\ l'autre. Et la femme e/labore son fruit d'amour. La femme met au monde la sensibilite/ qui tem- pe\re l'agressivite/. Et la vie passe de l'instinct a\ la pense/e. Les hormones de lumie\re atteignent ces degre/s de la voyance au point de constituer en nous une poche d'amour ou\ nous pouvons nous former de nouveau et nous de/velopper comme un embryon dans le placenta, a\ condition qu'on ne soit plus seul, que les vies indivi- duelles adhe\rent entre elles comme les cou- ches fibreuses sont serre/es dans la peau, comme la fille, dans cette fusion lie/e aux cellules, redonne le jour a\ la femme et rend l'enfant indistincte de la me\re, en s'allon- geant, e/lastique et molle, sur son origine, dans ce retour a\ la vie. Et je pressais Medje dans mes bras... Et ses cheveux me fro^laient. Je l'embrassais, je lui parlais et en te 70 lissant je pe/ne/trais dans la cavite/ solaire. Je m'enfonc#ais dans les kilogrammes de tissus vivants ou\ je me sentais toucher le fond. Et je marchais dans la couche adipeuse, dans cette mollesse compose/e de vers, de protozoaires et de mollusques lumineux ; et les e/poques se confondaient et tu e/tais la lumie\re brune et blanche de la peau comme si la nuit et le jour se me/langeaient dans mes mains qui s'accro- chaient a\ tes masses liquides, a\ tes oscilla- tions et j'e/tais dans la zone de l'extre/mite/ rouge du spectre de la lumie\re, la\ ou\ les radiations bleues de ton oeil n'arrivaient me^me plus, la\ ou\, seules, les radiations de ton sang pouvaient continuer d'avancer. Et tu ne m'ar- re^tais pas. Et m'aimes-tu autant que je t'aime ? Et j'e/tais entre/e en haute mer, dans les eaux de profondeur, dans ta joue, dans un lieu ou\ je ne te voyais plus, ou\, malgre/ une luminosite/ presque tropicale, tout ce qui me caressait provenait du fond et je ne pouvais plus voir le visage et je murmurais et la chaude douceur du ventre de la chair se faisait sentir... Et berce/e, toute la chair est perme/a- ble a\ cette saveur humaine, a\ cette lymphe, a\ 71 ces eaux roses du grand large biologique, a\ ces impulsions venues des couches les plus profondes. Et les de/sirs s'accumulent et l'en- tassement et l'approfondissement de l'e/pais- seur, a\ plusieurs centime\tres de profondeur dans la tendresse, ont le mouvement de la houle et des vagues d'un oce/an animal ou\ je plonge dans les bourrelets chauds en t'enla- c#ant, en te regardant, ou\ je serre contre moi ce que je sens passer par mes narines comme des bouffe/es d'air pur et ou\ je te respire. Et c'est ce visage qui, au bout de mes doigts, m'ap- porte la peau, le toucher. L'e/troite fene^tre est ferme/e. Les rideaux sont tire/s. Il fait nuit, excepte/ sur ton visage. Et tandis que j'essaye d'exprimer cet amour et de lui donner ma voix, il se contredit, il s'efface..., il se brouille..., il s'inverse. C'est la haine qui parle, c'est la re/volte qui me crispe et me raidit, j'e/mets des sons de 72 souffrance comme la flamme lumineuse pro- duit un de/po^t de noir de fume/e... Et je te vois et ce n'e/tait pas pour e^tre e/claire/e que, ce matin, a\ ton re/veil, j'ai ouvert la fene^tre car il faisait nuit noire dehors et on n'apercevait me^me pas l'horizon d'usines que les hommes, dans cette banlieue industrielle, ont substitue/es a\ la lisie\re de l'une des dernie\res fore^ts. Et pluto^t que la nuit, c'e/tait peut-e^tre du brouillard. Il e/tait impossible de respirer a\ fond. La toxicite/ de l'air se manifes- tait par des picotements du pharynx et par des de/mangeaisons qui ramenaient a\ la surface la hantise du cancer... --- Ferme la fene^tre, Maman... Je ne peux pas respirer ces gaz... --- Mets-toi un mouchoir devant le nez et la bouche et ne parle pas... ... Comme si mes mains la^chaient ce qu'elles contenaient de si fragile et que je 73 tombais de moi, que je ne pouvais plus e/viter cette chute ou\, agrandis de peur, tes yeux m'adressent leurs cernes et leurs larmes... Mais la haine, me^me si pre\s du fond de l'amour, peut survivre, crier dans ma voix. Medje, tu n'es plus alors que des cheveux que je menace d'arracher de la lumie\re du jour. Je prends le ton de la mort. J'entre dans la perte de lumie\re. Il fait sombre dans ma vue et je ne te vois presque plus. Je ro^de autour de ma souffrance. Les eaux de la violence s'e/coulent sur les eaux de la douceur, m'emportent dans ce trajet des sympto^mes ou\ passe le courant de destruction ; j'ai du mal a\ me retenir... Je t'aime ! Je t'aime ! Les lueurs de cole\re, tandis que je m'e/tais enferme/e dans ta chair, ne me permettaient plus de distinguer des traits pour reconnai^tre un visage... Mais au plus obscur de la nuit et de la confusion tentait de prendre forme, aurait-on dit, cette structure de la conscience..., cette racine de l'amour maternel... 74 Comment fuir loin de ces abi^mes, s'e/vader de cette terre inhumaine, de cette terre sau- vage, terre d'instincts et de pluies et de vents ou\ les appels s'affrontent, inutiles, dans le noir, terre du de/sir ou\ les nerfs nous soumet- tent a\ une continuelle force d'agitation, terre sans lune, terre sans soleil, terre sans e/qua- teur, sans e/quinoxe, sans repos, terre sans sommeil, terre du souffle de la peur, terre de conflits, terre dont le fracas assourdit tout mon coeur, terre ou\ aucun sentiment ne peut se calmer, terre de cette lutte qui ne finit qu'avec la mort, dans ces courants sans cesse de/vie/s par la rotation de l'enfer qui m'en- trai^ne, terre de rage et de re/bellion, terre du mal et de la fatalite/, angoisse de/sespe/rant de jamais se transfigurer en lumie\re ?... Et la transparence de ta peau diminue et tes che- veux perdent leur couleur a\ mesure que je suis pousse/e vers le fond ou\ ne pe/ne\tre plus de lumie\re... Qui es-tu ? Qui es-tu ? Turbulence ? Hallu- cination tourbillonnaire ? Barbarie que retien- nent mal des contre-courants qui ignorent ta 75 force? Mon amant n'est plus la\. Il n'y a pas d'amant. Il y a juste ces particules de me/dita- tion, ces particules qui ha^lent la peau de cette enfant quand, dans la chambre, je contemple Medje comme si la vie de toute l'humanite/ brillait dans un corps qui respire et quand je vois la chair se changer en cette composition affective de la lumie\re et que je re/ussis a\ me hausser un peu dans la conscience et a\ progresser un peu vers cette energie qui m'inspire malgre/ l'anxie/te/, malgre/ la souf- france. . . Ou\ est la vie ? Qui est-ce ? Mon corps criait... La nuit e/tait noire. J'avais un corps de lourdes mamelles noires. J'avais un ventre gonfle/ par l'obscurite/ mais j'e/tais serre/e a\ e/touffer toute cette remonte/e du de/sir qui me grossissait et je criais dans ce noir ou\ mon cri pesait; et ce chant des ovaires, ge/nitalite/ d'amertume, me reprochait mes noces obscu- res et je cherchais a\ me de/finir, a\ me purifier tandis que j'entendais sourdre de moi les sons d'une coule/e congestionne/e qui me faisait si 76 mal au ventre. Et quoique toujours se/pare/e de l'exte/rieur, je me rapprochais presque de l'autre terre et de la lumie\re du jour au point de me sentir rythme/e par la jeunesse, par mes le\vres, par mon sang. J'avais ouvert la petite fene^tre. J'interro- geais l'horizon, le lointain. D'ou\ provient, chez une femme, le besoin de se cramponner a\ de la chair ? D'ou\ provient le besoin de chercher la voix et le contact, me^me si cette voix, me^me si ce contact sont ce qu'une femme ne peut pas aimer ? Me^me si cette que^te ne sort pas de la certitude de ne jamais pouvoir acce/der a\ l'amour parce que per- sonne, jamais, ne nous apportera l'intensite/ qui alimente en nous ce besoin de vivre et de nous partager avec l'imaginaire ? avec le flou ?... avec l'e/blouissement ?... Parfois, dans la nuit spasmodique et com- prime/e, je poursuivais des hypothe\ses, je 77 parvenais a\ un lieu vide, c'e/tait le sud des possibilite/s, le chemin du soleil ou\ les rayons se dirigeaient vers moi, dans une lumie\re ardente, se multipliaient comme si mes enfants n'e/taient pas ne/s, comme si avaient cesse/ les perturbations qui avaient e/clipse/ le feu, mais tre\s vite j'e/cartais cette pense/e... Mais pour qu'il y ait maternite/, pour qu'il y ait re/ve/lation, pour qu'il y ait inte/riorite/, je devais e/teindre le feu, mais les flammes de feu continuaient de s'e/lever... Et quand sur cette plane\te du soir, mon amant me faisait si mal, j'ai eu me^me envie, o^ Medje ! de serrer, serrer ta gorge dans la douceur, dans la finesse des pulsations de ta peau, Medje, fille. Et le mal de te^te, le mal d'yeux me tenaient, me bru^laient de haine, me faisaient tomber, hypnotise/e. Medje ! Medje ! Immense dans ma chair, si seulement tu pouvais venir me secourir, me relever... Il y a quelque chose de tellement de/chu dans ce qu'on e/prouve... Orage, orage de fureur, plus rien n'e/tait nomme/, plus rien n'e/tait fixe/... Et femme- scorpion, j'e/tais toute combat, compulsion, je faisais surgir les sons-tempe^te, la dispute, 78 l'exaltation, l'abi^me, le tumulte, les attaques quand, dresse/e, j'accusais la nuit, quand mes cheveux se me^laient a\ ma salive dans cette gicle/e de mes fondements qui s'e/coulaient comme un fleuve de rancoeur et de douleurs... Mais le monde n'entend rien... Il refuse de donner plus... 6 Et je scrutais la nuit. Il faisait l'une de ces nuits noires comme du sang. Les nuits du pire. J'ai eu soudain envie de m'enfuir. Envie d'appuyer sur mon ventre. J'ai eu aussi envie d'aller voir chez les gens. Je n'en pouvais plus. Il fallait sortir ; il fallait se mode/rer. Et me^me en e/trange\re je re/clamais d'e^tre rec#ue a\ l'inte/rieur d'une autre maison. J'ai eu envie dans cette nuit d'e^tre rec#ue a\ l'inte/rieur du confort et de la jouissance. J'ai mis mon manteau comme, peut-e^tre, on prend un cou- teau et on part ro^der, pre^t a\ e/gorger, pre^t a\ assassiner. Je suis sortie de la chambre. J'avais tre\s mal. Les deux femmes n'habitaient pas loin. Je me suis tout de suite dirige/e vers le duplex. J'inhalais la nuit. J'ai frappe/ a\ la porte avec le bruit, avec la force de mon coeur 81 battant d'angoisse et de tendresse, ma poitrine a\ m'en transpercer les seins. J'ai frappe/ avec impuissance. Et la vieille a re/pondu, toute ride/e par la peur de la mort, par le destin. --- C'est moi, ma tante ! --- Ah ! c'est toi... Nous n'ouvrons pas. Nous n'ouvrons pas. --- Mais je n'en peux plus ! mais je ne peux plus continuer de perdre, perdre, perdre... Il faut que je m'agrippe... J'e/tais parvenue au col de l'ute/rus, dans cette nuit-me\re. J'entrevoyais le cadre de leur existence. Le vestibule e/tait propre. Les meubles cire/s luisaient. La fille descendait. Ma tante se plaquait de toutes ses forces de vieille femme contre la porte pour m'empe^cher d'entrer et moi, je continuais de pousser et la vieille en re/sistant a\ mes pousse/es sifflait : --- Ma fille Rosiane descend l'escalier ; elle vient toujours a\ mon secours... Le vent glacial tourbillonnait dans la ruelle. Ma tante s'e/tait retourne/e vers Rosiane qui, du haut du palier de l'escalier de che^ne, nous observait. --- Je m'assure que Rosiane a bien mis son 82 pantalon de laine sous sa chemise de nuit, disait ma tante tout en m'empe^chant de forcer la vulve, car d'habitude, comprends-tu, nous vivons colle/es l'une sur l'autre, la\-haut, dans le grand lit, pour ne pas nous refroidir. Et quand elle est oblige/e de partir, ta cousine Rosiane doit penser a\ se couvrir chaudement pour compenser la perte de chaleur. On risque d'attraper des rhumatismes si on perd l'e/treinte ou\ la chaleur animale et le de/sordre des cheveux de/peigne/s sont un abri. C'est vrai, a\ deux, on re/ussit a\ se prote/ger du froid. Mais toute seule, c'est brutal. Le froid sur- prend. J'ai appris a\ Rosiane a\ se bander les genoux avec ses anciennes brassie\res, avec sa layette que j'ai conserve/es. --- La\isse-moi un peu entrer, ma tante... Partage, e/largis ton intimite/ ! --- Non !... D'ailleurs ton oncle ne t'aimait pas beaucoup... Nous e/tions, Rosiane, sa fille et moi, son e/pouse, les seules femmes qui comptaient pour lui... --- Mais oncle Amaury est mort... --- Mais nous sommes ses he/ritie\res. Nous ne partageons rien avec personne. Va-t'en ! Bonne nuit! Rentre vite dans ta chambrette. 83 Ta petite famille a besoin de sa petite maman. Tu es me\re. --- Mais tu n'as pas... Et c'est maintenant elle qui pousse, pousse... Et mon ventre recule, broye/. --- Arre^te ! tu me fais mal, dis-je, je venais juste... C'est beau chez vous... C#a sent la proprete/... C#a sent le volume d'air des pie\ces spacieuses... C#a cou^te cher... --- Parce que nous avons de la fortune et que le capital que nous a le/gue/ mon mari nous rapporte de gros inte/re^ts. Elle m'a repousse/e et la porte s'est ferme/e. Oh! Ces fusions des noyaux des cellules, toutes les pe/ne/trations, toutes les fe/condations e/goi%stes, toute cette reproduction qui trahit l'espe\ce humaine au lieu de la perpe/tuer... Oh! toutes ces cellules... Les ovules fe/con- de/es par des spermatozoi%des. Oh ! tous ces oeufs d'ine/galite/ et d'injustice ! Ce devenir social bouleversant un acte physiologique. Il y a quelque chose de pourri de\s l'origine..., de\s le contenu de chromosomes..., de\s la cellule 84 oeuf ou\ la nouvelle vie qui se forme n'est de/ja\ plus libre, ou\ l'embryon est de/ja\ prisonnier de l'ordre d'une socie/te/ qui n'est pas nourrie par l'amour de la vie... J'ai suivi en sens inverse le chemin. Aucune lumie\re ne m'e/clairait, que ce noir de la nuit qui, a\ cause de l'habitude, me semble souvent presque clair... Il ne me restait pour lumie\re que la parole, la ce/le/bration, les symboles comme une astro- nomie de la peau ou\ l'e^tre humain, astre, me renvoyait a\ un e/clat de plus en plus lumineux comme une blessure devient plus saignante. Et toute cette douleur, cette chastete/ e/taient sugge/re/es par la recrudescence du silence que la chair garde dans l'exil, dans l'ille/gitimite/ dans l'abandon ou\ il faut passer par la nuit, par une nuit noire comme le deuil, nuit de solitude ou\ l'e^tre e/volue en souffrant, ou\ l'attente nous use, nous de/truit. Et la nuit arrivait si noire, si noire qu'on ne voyait plus l'impasse ; et je suis rentre/e, fatigue/e, et je sentais Medje revenir, ses mains de lumie\re me relier a\ cette clarte/ que prend la peau de\s qu'elle peut e^tre regarde/e avec amour, avec sensibilite/, avec gratitude : 85 --- Tu ne me rejetteras jamais, toi, au moins ?... De/ja\ cinq heures ! C'est l'heure ou\ il commence de faire nuit. Dire que dans un quart d'heure, c#a va e^tre encore la nuit noire ! Il y a ces grandes zones d'aridite/, d'insom- nie et d'absence qu'il faut franchir, ces de/serts que le langage, avec des mots d'amour et d'imagination et avec des paroles soeurs, sur le chemin nous conduisant de la vie a\ la mort, s'efforce d'atte/nuer ; il y a ce parcours impose/ par le destin; il y a cette obligation de supporter notre condition d'individu, l'obliga- tion de marcher seul dans son propre orga- nisme ou\ ne bat qu'un seul coeur. Et il faut accepter de cheminer hors de toutes les se/cre/tions chaudes et hors de toutes les moiteurs du contact charnel et il faut se re/signer, mais la chair et la peau sont trop douces, trop protectrices pour qu'on puisse s'arracher a\ elles sans souffrance ; et entre les plages de chair vibre continuellement le de/sir qui, rompant ce fatal isolement, les relie l'une a\ l'autre par les mots, par la voix, par cette 86 tendresse que l'e^tre humain, au-dela\ de sa solitude, porte aux autres e^tres. Il y a ces orifices du corps qui demandent a\ e^tre tou- jours re/chauffe/s, chatouille/s, remplis et pour qui le vide est le choc, le froid et l'angoisse... Il y a ces longues e/tapes ou\, prive/ de la tempe/rature douillette du corps de l'autre, il faut, les nerfs tendus par le besoin et par l'insatisfaction, affronter l'exte/rieur et la se/paration. Et il y a l'inde/pendance, la de/cence, l'e/ducation, la retenue, le vieillisse- ment, la ruse, l'orgueil, la peur, la civilisa- tion, la re/alite/, la mort, tout ce qui interdit au corps une sauvage jouissance... Deuxie\me Partie 7 Les rideaux e/pais cachaient le ciel et la rue. Nous e/tions assises. Medje dont j'inhalais l'odeur de sueur et de cheveux regardait pre\s de moi les fronces du velours des rideaux derrie\re lesquels, dans la nuit d'hiver, avait commence/ de tomber de la neige fondue. Les tourbillons du vent s'engouffraient sous la porte ; et j'inspirais la lumie\re de ces cheveux blonds comme une vapeur qui, contrastant avec le chauffage insuffisant, me bru^lait le visage... Et peut-e^tre que ce n'e/tait plus Medje mais l'un de ces passages flous qui nous ouvrent l'invisible et le silence... Quelque chose devrait se taire, se taire pour toujours... 91 Un rayon de lumie\re venu de la fene^tre donne du veloute/ a\ ce gou^t de rance, a\ ce re/gal, a\ ton corps que je garde au chaud, que je tasse sous le plus gros e/dredon de la chambre. Chambre-terrine, chambre de beurre, chambre aille/e comme un filet de viande, chambre a\ bouche ou\ tu reposes, clairaude, grassouillette, roussiaude, Medje, e/tendue sur la couche de beurre que forme la lumie\re ou\, entre deux feuilles de chou, tu prends cette teinte d'or, ce pigment chaud, brun, qui beurre la paroi en pa^te ; et je pourrais e^tre l'amant comme une femme est aussi une mangeuse ; et je pourrais avoir l'intestin comme un sac et recommencer jus- qu'au remplissage, jusqu'a\ boucher tout le vide ; et je pourrais continuer de te graisser et de noircir ta blondeur comme on fonce une casserole avec de l'huile ; et je pourrais continuer de manger des cuillere/es de graisse, la soupe pure/e, en me sentant tout impre/gne/e de gras par les caillots de pa^te et me rappeler que tu coulais, que tu fondais, que les paysans disaient d'une soupe nourrissante 92 qu'elle e/tait charnue et me rappeler les laita ges, les fruitages et te nommer << te/tasses ", << la halle-fessier >>, << l'ute/rine >>, << la femme grosse d'enfant ", << le gras du lard >>, << les fesses ", << la Blonde ", et dans cette cham- bre, dans la pie\ce de vie, ne plus te voir qu'a\ travers le brouillard du de/sir ou de l'imagi- naire ou du souvenir ou de l'he/re/dite/ comme une beurre/e dans ma bouche, comme on met du beurre dans un pot, chambre mitonne/e, chambre de l'archi-pot, chambre a\ pa^te/ de cuisses, chambre ou\, sous la caresse d'un ma^che-gras, sous la bite, je grossirais comme le lard gonfle dans la poe^le, chambre ou\ un toucheur, un Jean-Bontemps, dans les draps, choisirait le sein le plus gros, le plus lourd et travaillerait le dessous, et me presserait entre ses le\vres comme on boit, chambre-te/tine par ou\ coulerait le bien-e^tre, chambre hormonale des glandes qui e/vacueraient leurs se/cre/tions, sans retenue, chambre assez adipeuse pour faciliter le glissement des mains sur le corps et me permettre d'adhe/rer enfin fortement a\ toi par les se/cre/tions de la peau et je t'aime- rais sans distinguer, ton sexe, ton a^ge, ton degre/ de parente/, et je t'aimerais, re/duite 93 au myste\re du langage, au myste\re de la vie... Medje, a\ contre-jour, les yeux grands ouverts, m'observe. Ses petites le\vres, rien que ses petites le\vres se dessinent, bleuies, violace/es, prisonnie\res. La neige tombe. Quand il fera encore plus froid, Medje vien- dra se serrer pre\s de moi et je l'emmailloterai dans sa chevelure de lumie\re ; et mes mains, a\ l'endroit le plus profond du brillant, s'enfon- ceront dans le blond filasse. Et je ba^ille. Et les yeux luisants, dans la pie\ce sombre, nous continuons de nous surveiller, de nous hai%r et de jeter notre nuit au soleil et de nous dissoudre en nous rapprochant peu a\ peu du centre ou\ nous allons biento^t disparai^tre tan- dis que le grain de cette lumie\re re/tre/cit, qu'il reprend l'apparence de la peau et que la main se divise et que nous nous se/parons et qu'il nous faut traverser de nouveau ces longues, longues pe/riodes d'engourdissement et nous savoir si sombres au-dedans de nous-me^mes... Et la chambre s'obscurcit encore plus et 94 seuls, tes cheveux inte/rieurs se projettent sur le fond noir. Et la neige, sur les vitres, brille comme des flocons d'or suspendus dans cet espace interne de ma lumie\re. Et je me remets a\ appeler, appeler comme si je poussais la confusion jusqu'a\ omettre l'interrogation qui agite cette angoisse et jusqu'a\ rendre incom- ple\te ma recherche et jusqu'a\ fausser les restes que s'obstine a\ parler mon corps ; et le coeur, parfois, saille dans la poitrine au point de trouer, de tenter de forcer physiologique- ment la fermeture que la contraction des le\vres impose au cri. Par moments je sens, a\ leur regard, que Medje et Enguerrand ne me reconnaissent plus, comme s'ils s'apercevaient que j'ai cesse/ de les voir, commme s'ils savaient que, souvent, a\ force de les contempler, ce n'est plus mes enfants que je vois, que ce n'est plus eux que je peux encore voir mais que, de/passant l'inavouable, l'innommable, l'in- communicable, je flotte, porte/e par la soli- tude. 95 Je lavais les draps. Fait-il jour ? Et le silence, dans les veines battantes, dans les arte\res, se grossit de tous les mots, de tous les noms qui se cachent. Et la lumie\re muette surcharge le flou sans me mettre jamais sur aucune trace. --- Je l'ai chasse/, dis-je a\ voix basse, dans l'obscurite/, au travesti. --- Que veux-tu ?... Chuchote-t-il. --- Le de/sir est de/mesure/. Rien... Rien n'apaise... Dans cette chambre, dans ce re/tre/cissement de mon champ visuel, je me trai^ne, aveugle aux couleurs comme dans la vision de nuit ou\ l'oeil ne perc#oit qu'une grisaille. --- L'attente consume... Je sens mes pupilles se dilater... Passion. --- Ogresse ! --- ... Me\re ! 96 Mais cette lumie\re au sourire, cette clarte/ presque humaine, cette lueur de l'e/motion, cet ange, cette compassion qui me guident et me rendent l'obscurite/ moins pe/nible, je ne les quitterai pas. Et le travesti essaye de se serrer pre\s de moi comme Medje ; et la lueur continue de s'abais- ser jusqu'a\ ne plus e^tre qu'une plainte dite a\ voix tre\s basse ; et le travesti n'e/coute plus... Et la lueur elliptique erre sur mes le\vres qu'elle re/chauffe ; la fie\vre m'anime de ce souffle venu des braises ; et Medje et Enguer- rand, amaigris par mon e/tat d'alarme, remuent a\ peine, on ne voit plus de chair, plus de cheveux. Il fait nuit. J'ai faim. Je voudrais manger, mais pour me rassasier il me faudrait manger des flammes, 97 m'embraser jusqu'a\ l'e/treinte ou\ l'appe/tit atteint son paroxysme, ou\ les gencives, le palais, la salive, toute la bouche sont en feu.. . Je voudrais manger cet incendie de la chair jusqu'a\ battre dans ton sang, jusqu'a\ enfoncer mes dents bru^lantes dans la fournaise pour parvenir a\ te de/vorer, a\ me consumer, a\ me disperser comme les e/tincelles et les cendres. Et le de/sir s'apparente aux ultra-violets du soleil et posse\de un pouvoir irradiant qui bru^le le corps en profondeur. --- Tu vis un supplice. Dit le travesti en sortant de la chambre. Enguerrand murmure. Il est assis dans la partie la plus obscure de l'enfoncement : --- J'ai la gorge se\che. J'ai soif. Ce regard d'enfant semble pourtant e^tre la transparence qui, franchissant l'e/paisseur fibreuse, permet encore a\ la lumie\re de pe/ne/trer dans mes yeux... 98 Je re/pe/tais a\ Medje : --- Tu ne m'aimes pas ! Tu ne m'aimes pas ! Elle n'essayait pas de se de/fendre, de protester. Ses yeux s'embuaient sous mes reproches, sous mon doute. Et la signification de son visage e/tait douce et chaude et sa chair et son teint de/signaient un infini d'affectivite/ qui, malgre/ mon angoisse, me faisait remonter a\ la respiration et a\ la peau. Elle ne re/pondait rien comme si elle retenait ses sentiments, dans cette inflammation de son visage bour- soufle/, irrite/ par les larmes ; et tout le langage e/tait au centre de l'iris, dans l'e/toile noire de la pupille de l'oeil clair avec lequel elle semblait me supplier de la comprendre, de la deviner.. . Et nous nous regardions. Et a\ cette blondeur optique se substituait le silence; j'e/tais de/soriente/e, j'e/tais prive/e du temps et de l'espace. Je ne voyais plus. Je ne transformais plus Medje, sa lumie\re, en influx nerveux qui e/clairait ma peau. J'avais froid. Et la petite fille ne de/clenchait plus, ne propageait plus en moi que des clignotements 99 brouille/s d'ou\ je n'apercevais qu'une sil- houette qui, en vacillant, s'e/loignait de mon lit, cessait de m'illuminer, de me sourire et ne produisait plus que des paillettes de plus en plus faibles comme si j'e/tais peu a\ peu coupe/e du syste\me solaire, comme si je n'avais plus de repe\re, comme si j'e/tais enferme/e au plus profond du de/sarroi... Et je me raidissais. Et sans rien voir, je disais : --- Qui es-tu ? Qui es-tu ? a\ ce qui devenait seulement cette contrac- tion de mon ventre assoiffe/, affame/, et j'e/tais proche du fe/lin dont les pattes s'embourbent dans la chair crue et dans le sang. Et j'e/tais proche de l'avidite/ du carnassier qui met en pie\ces les boyaux, le coeur, comme si on pouvait se repai^tre de souffrance... Et je te faisais souffrir. Et des nuages de lumie\re, des nuages morbides pousse/s par le vent, dans la gri- saille, avancent vers le nord. Et Medje, pa^le sous les ombres anthracite, sanglote, le visage pris dans l'obscurite/, dans 100 le filet des figures qui quadrillent de sombre la fillette, dans un recoin du meuble/ ou\ la ve/ronique cressonnie\re, les algues des rivie\res, les herbes d'or du fond du soleil, les tiges se de/tissent, fil a\ fil, s'effilent, cheveu par cheveu, ou\ la chevelure, l'instinct de lumie\re qui, au printemps, grimpait le long des ble/s, ou\ les rayons qui faisaient pousser les fleurs s'e/teignent et nous laissent cet essoufflement, cette tristesse, ce champ visuel de/vaste/. Et nous nous confinons dans la chambre. Dans son abstraction filamenteuse, dans ses fibrilles qui strient le regard. Les gouttes d'une boue noira^tre, les flocons volaient, tournoyaient, gris sombre, sur le ciel blanc de neige ; et un flocon noir descendait obliquement devant la petite fene^tre. Il nei- geait. Le vent entassait des amas de blanc. C'e/tait cette fatigue visuelle, c'e/tait la pesan- teur, les picotements de mes yeux. Mais ailleurs, a\ l'autre bout, la\-bas, tout au bout, tre\s, tre\s au fond, tre\s, tre\s loin, a\ l'autre extre/mite/ de la vie, il y avait l'amour dans les 101 coeurs riches, a\ coeur de jour, ou\ on allumait le feu pour se prote/ger du froid. Et il y avait ces chambres de profondeur pre/serve/es des onde/es de neige par des rideaux si chauds, il y avait le creux profonde/ment enfonce/ dans le village cache/ dans un repli de terrain. Il y avait la chair mollette dans cette chaleur, dans cette prudence, dans cette graisse chaude, dans cette qualite/, il y avait des buvettes ou\ la fleurette cre/mie\re se formait sur le lait, il y avait les gros seins de/laye/s dans cette cre\me ; il y avait a\ manger et a\ boire et a\ aimer tout ce qu'il y a de cre\me, toujours, dans le lait d'amour... Il y avait, blonde, cette respiration que le feu, en e/clairant, rendait visible... Il y avait a\ sucer la mollette, la poule de beurre, la grosse grasse trempe/e dans la pa^te. Il y avait la Lulu, le meilleur du laitage sous les poutres pendant la veille/e devant la chemine/e. Il y avait celle qui donnait plus a\ manger que la plus grasse tandis que, dehors, ge/missait le vent d'hiver ; et il y avait toujours a\ se frotter contre quelqu'un, contre la poitrine de la vie, contre la tendresse qui fait gonfler les fem- mes... Il y avait ce ge/nie de la vie. Il y avait dans le pli de terrain le village, la sente de la 102 Folie qui descendait a\ la Grenouille\re, a\ la tonnelle ; il y avait le vallon et la fontaine du Point-du-Jour, la Beauce, Maillebois, le pays d'Auge, la Vaucressonnie\re, le lieu de ma peau, le re/chauffoir, le coffre aux fromages, la pie\ce si basse de plafond qu'on s'y tenait recroqueville/... Il y avait cette langue, cette couveuse, cette me\re couvoire, cette chair rose azale/e et rhododendron que mon sang ne cessera plus jamais de parler. Mais moi, je ne sais plus, je ne peux plus, je ne veux plus... On est trop seule, trop seule... dans cette difficulte/, dans cette exi- gui%te/ ou\ les sentiments ont de moins en moins de place a\ mesure que la re/alite/ se pre/cise. Et cette remonte/e de l'a^ge organique du parler, cette remonte/e de l'enfance me serre parfois e/perdument contre les battements du coeur imaginaire ou\ scintillent encore la peau, les champs et la fore^t du jour, le nord de la France, le soleil d'avant la souffrance tandis que dure et qu'augmente la souffrance, tandis qu'on devient responsable et conscient, tandis que ces tempe^tes de la solitude, de la ge^ne et de la frustration de/solent la me/moire... 103 Tandis que la se/ve/rite/ fait de nous des e^tres police/s... Et je chuchote : --- Tu as mauvaise mine, Enguerrand. C'est ce ciel de fin du monde... C'est revenu ce matin... comme un avorte- ment... Il aurait pu s'approcher... J'aurais pu le garder... J'aurais pu le vivre... l'e/taler comme un e/clair e/carlate que j'aurais re/ussi a\ faire durer dans mes jambes, dans mes groupes musculaires, comme e/clate le sang... Mais c'est une ombre qui passe toujours trop loin... toujours fulgurante... Jamais assez pre\s de ma peau... Je suis en train d'e/plucher les pommes de terre. Vers dix-neuf heures, le travesti nous rend visite. Il apporte un livre de chroniques et de 104 le/gendes et il me donne des nouvelles du Sud, de l'Est, de l'Ouest... 11 dit que la neige est en train de gagner toute la nuit et que la bise siffle, que tous les ge/raniums ont gele/ sur les balcons, que les toits des villes, dans les provinces, frileusement se recouvrent de laine et de fourrure, qu'il ne fait pas bon sortir, qu'on ne voit plus un seul trai^neau dans les rues et qu'on entend les loups. Il dit a\ Medje et a\ Enguerrand d'e/mietter du pain sur le bord de la fene^tre car les oiseaux ont faim ; et il me dit a\ l'oreille que mon amant ne viendra plus, qu'il fait froid, que les gens pre/fe\rent rester a\ l'abri, au fond des fermes et des laiteries ou\ le lait, a\ force de bouillir, caille dans les casseroles... --- Ma me\re m'a appris les e/tymologies... Et j'e/coute, incre/dule, ce corps alte/re/ par les sie\cles, je perc#ois cette rumeur francise/e, ces origines de/nature/es, la de/composition d'un monde agricole dissous pays par pays, province par province. Ces restes des vieux de/sirs, ces restes des fabliaux, cette ge/ne/alo- gie romane des peuples, ces expressions des mythologies, la philologie de l'amour de la terre, le mot gre/gorien, la forme archai%que de 105 la musique, les me\res ne/o-latines, un langage tombe/ en de/sue/tude, les pre/sences devenues inintelligibles et patoises que le travesti, le fide\le, n'utilise plus que pour essayer d'entre- tenir en lui et en moi la poe/sie, l'illusion de l'air, de l'herbe, de la re/sine et de la fore^t..., un dialogue d'amour dans ma langue mater- nelle. Et je vous regarde, Medje, Enguerrand, comme si vous de/riviez de cette lointaine lumie\re. --- Ou\ sommes-nous ? Dis-je parfois. Ou\ sommes-nous ? Dis-je me de/battant dans mon inadaptation. Et le travesti, soucieux de me secourir et de me gue/rir, continue de me mentir, me tient a\ l'e/cart de l'avenir qui s'e/labore dans les calculs des e/conomistes, des physiciens, des mathe/maticiens et des technocrates, dans les laboratoires de l'armement, dans les pre/vi- sions d'un humanicide. Et le travesti continue a\ me dissimuler le monde contemporain, la re/alite/, pour re/pondre a\ mon corps. Et le travesti me recouche presque maternellement dans ce berceau sensoriel du parler, dans le temps d'avant l'e/criture. 106 --- La\, la\... Oui... Il y a de la fari-ne, oui-, je suis la\... Oui... Nous vivions dans les arbres, oui, nous nous tenions assis sur les plus hautes branches, pre\s des plus gros fruits... Et un homme fait attention a\ moi. Et il tire les rideaux pour empe^cher cette lumie\re de s'e/vader hors de la chambre et pour permettre aux clignotements de ma me/moire de se refle/ter dans la peau, dans la chair, dans mes proches comme si cette masure couverte de neige et de branches de houx pouvait se remplir de lumie\re, comme si le velours des rideaux servait a\ passer le lait, a\ tamiser la farine, comme si, couche/e dans ma chambre, je n'e/tais plus la me\re de mes enfants mais leur fille et que je pouvais enfin me laisser glisser, glisser, inutile, dans l'onctueux, dans l'e/pais de mon matelas, dans les tresses du chanvre qui m'enveloppe et, sans contrainte, me pelotonner dans mon lit, dans ces panse- ments et ces compresses et confier a\ quel- qu'un ma vieille enfance, avouer que les hommes obligent toujours trop to^t une femme a\ vieillir comme une me\re se\vre trop to^t son enfant, avouer que les hommes obligent tou- 107 jours trop to^t une femme a\ sortir de son enfance pour entrer dans son enfant, dans cette ne/cessite/ sociale e/prouvante, surhu- maine, de devoir veiller constamment sur la vie et de devoir nourrir et produire et se de/penser sans compter, sans re/pit, sans aide, sans moyen de re/parer l'usure a\ mesure qu'on se vide dans cette ge/ne/rosite/ inlassable, ani- male et tenace d'une maternite/ anxioge\ne qui donne pour ne pas recevoir, pour ne jamais rien prendre, pour ne jamais s'apaiser, pour ne pas jouir, au cours de cette cruelle trans- formation ou\ les forces, la sante/, la vie, la jeunesse, par le travail d'e/ducation, passent de la me\re a\ l'enfant qui finira par s'e/lancer seul, vigoureux et triste, hors de la vieille femme ride/e, a\ bout de souffle... Notre visage s'e/maciait, devenait exsangue... Et je dis au travesti que je suis fatigue/e, fatigue/e, que la lutte est trop difficile, que c'est perdu d'avance, que cette socie/te/ est impitoyable, que je voudrais e^tre choye/e, que j'ai besoin d'air et de chair..., que mon amant n'a pas compris..., pas voulu..., pas 108 pu..., que personne..., que rien..., que nulle part... Et la terre est noircie par la nuit. Et cette neige est une clarte/ fausse qui ne nous isole me^me pas de ce silence du vide. Et autour de la plane\te, l'espace est noir... Et les flocons irise/s par la lumie\re noc- turne semblaient, cette nuit, remonter vers le ciel comme des cosmonautes ayant aluni sont trop le/gers, rebondissent en marchant sur le sol lunaire a\ cause de la gravite/ six fois moins forte que celle de la terre. Et les cristaux de l'ouragan, au cours de la lente chute, s'accro- chaient les uns aux autres, formaient ces gros flocons dont quelques-uns venaient s'e/craser sur les vitres ; et la luminosite/ de la neige entrait dans la chambre ; et cette blancheur semblait tendue par mes nerfs comme les ailes d'une libellule s'envolant vers le soleil sont tendues par des nervures ; et on se sentait oppresse/ par le silence ou\ volaient les flocons 109 et on voyait au loin le reflet de l'autre lumie\re rougir, par en dessous, l'horizon comme si la terre transmettait son angoisse a\ l'atmos- phe\re. . . Et je caresse la main d'Enguerrand. L'atta- chement biologique qui, a\ travers deux enfants, me relie a\ la vie humaine fait de moi une e/trange\re dans le monde de nuit et de mort qui, identique a\ des bombes, nous souffle... L'institutrice m'a dit de Medje qu'elle e/tait craintive... Biento^t ma fille serait pube\re. Et pourtant quelque chose la plaquait contre moi, la rejetait en arrie\re de cet e/lan vers l'ave- nir... Je sentais Medje... Je sentais continuer son tremblement chaud, son secret a\ chair tre\s douce ou\ bat une terreur... Je devinais l'e/cho visce/ral de ce cri que tu poussas quand tu devins ae/rienne, quand tu perdis brutalement la liquidite/ de mon ute/rus. Je savais que hors de moi tu ne retrouves pas la tendresse, je savais que la se/cheresse, que la durete/, que le conformisme sociaux et politiques sont res- 110 ponsables de cette rupture que refuse ton petit corps rendu peureux et muet par l'indiffe/rence qui t'entoure de\s que tu t'e/loignes de moi. Et je refermais mes bras encore plus tendrement, encore plus de/sespe/re/ment sur toi... Et trop sensibles, nous partagions l'angoisse. Personne, rien ne vient jamais donner de mesure au besoin impe/tueux, au manque qui m'enfle... Il neige par intervalles. Mes mains, parfois, voudraient froncer ta chair comme une robe tellement tu sens bon les cheveux... Et le fil de la lumie\re boucle dans le rayonnement du soleil. Et la lourdeur du tissu des rideaux exprime une sorte de jour... Medje dormait dans ses cheveux longs qui 111 doraient la taie d'oreiller. J'e/piais les nue/es blondes qui s'e/vaporaient de son sommeil. Je me tenais en retrait derrie\re ce grillage de cheveux dont les mailles se/paraient mes yeux de ses mains habiles a\ travailler le beurre du soleil, a\ faire sortir la graisse de la pa^te, a\ s'impre/gner de la cre\me du gras, a\ stimuler la caresse, la vapeur et je regardais Medje e/tinceler a\ travers la chevelure qui paraissait de/colore/e par l'air et par le soleil, comme si ce visage d'enfant n'e/tait plus soumis a\ ma nuit, comme si, aveugle, je continuais pourtant de voir ces feux que lance la peau... Il neige. Tandis qu'ici, a\ l'inte/rieur, la volupte/ toume sur elle-me^me dans cette sorte d'obsession et que je fro^le ces cheveux d'en- fant plus e/lastiques que les cheveux adultes et que j'entortille le fil blond autour de mes doigts maigres... Je balayais le parquet. 112 Mes yeux cuiseurs quand je te regarde sont parfois comme un four ou\ je te fais cuire pendant des heures. De/gustation de son cou, de ses pommettes... Les couches de sa joue... Peau e/cumeuse comme du lait qui vient d'e^tre trait. Peau-confiserie, peau a\ la se\ve, provi- sion de bouche ou\ la finesse et le gras en s'alternant communiquent leur chaleur aux le\vres de la me\re qui embrasse cette beaute/ que la langue, dans la salive, ferait bouillir comme de la viande. Et sur ton visage je roulais ta peau en une boule charnue pour te donner la forme d'un pain de campagne et je te bourrais de ta propre chair, de ta propre odeur comme on chemise l'inte/rieur d'une pa^te avec des bardes et avec de la farce... Sirop de sang, corps praline/, badigeonne/ par les e/paisseurs d'un beurre pa^teux d'organes qui re/veille les ancestrales pulsions de nutri- tion, le cannibalisme... Grossesse... Gros- sesse... Et au plus profond du cauchemar ou de l'instinct, la petite fene^tre prenait jour sur 113 l'imaginaire, sur l'ille/gal, sur la Chava-Torta au chignon de glace, aux cheveux d'e/toiles de neige qui, de/clenchant un courant e/lectrique, passait, inexplore/e, inde/chiffrable, dans les ombres ; et Medje pleurait de terreur ; et d'autres vieilles, d'autres revenants se succe/- daient a\ la fene^tre comme si le rideau de la chambre s'avanc#ait en progression suppliante, en supplication vers le lit, dans cette obscurite/ dont le volume est proportionnel a\ la puis- sance de la peur... Et je palpitais dans le corps de Medje que je mouillais de sueur et d'urine. Qui e/tais-je ? Qui e/tais-je ? Et je filais sa chevelure pour le soyeux de ma lumie\re. Et je de/me^lais, je peignais un soleil de folie. Et de cette blondeur vive, j'e/tais sur le point de faire une torche..., l'e/clat d'un feu..., de mettre le feu a\ ses cheveux qui me bru^laient de/ja\... Et je me tenais tout pre\s de son lit..., dans cette hyste/rie ou\ me^me la mort appelle l'amour. . . Et je me^lais mon haleine au danger... Mais j'ai ferme/ les yeux... C'e/tait insuppor- 114 table... Je ne pouvais plus continuer de regarder... Et partout autour de nous, je le savais, la neige livide s'e/tendait, aurait tout recouvert... Et quand la me\re change de peau comme une vipe\re mue, oh ! toi, sa fille ! sauve-toi ! sauve-toi !... De/pe^che-toi de grandir ! Et Medje et moi, dans cette haleine, nous ne formions de/ja\ plus qu'un seul corps. Elles gisent dans la poche des mots, dans le re/servoir du parler qu'elles boursouflent de leur corps, tout au fond, tout au fond, sous les mots qui, en partant de l'oeil, descendent vers elles, dans un lent mouvement d'analyse, d'investigation, dans une tentative de produire des sons, mais elles sont fige/es l'une sur l'autre en un tas ble^me... C'est aussi cette lumie\re de la neige... Elles sont ensevelies sous les lueurs comme si la mort les avait refroidies, mais le langage s'efforce de les tirer de l'abi^me au moyen du larynx, de la trache/e-arte\re et des bronches. Les flocons de 115 neige tombent sur les deux corps qui se confondent a\ force de re/clamer seulement la douceur de la peau. Blancheur crue et sau- vage. Elles se profilent sur l'obscurite/. Elles s'appellent : Blanche-Neige, Flandre, Blan- che, Lydwine, Norwe\ge, Blandine, Aurore, Medje, Dje/nane, a\ cause de cette pa^leur qui se transforme en re/chauffement, en blancheur comestible, a\ l'e/poque de la lactation. Et leur ventre nu est comme un tablier, comme un gi^te de graisse gele/e que la langue fera fondre quand elles se friperont et se plisseront l'une contre l'autre comme des le\vres. Hollande, Belgique, Sue\de. . . Et quand j'ouvre la fene^tre pour ae/rer, on entend la neige redevenir de l'eau, s'e/goutter des arbres, on voit les reflets de la lumie\re de la lune luire sur les feuilles trempe/es, on sent de/ja\ sous la couche d'hiver le printemps engraisser la terre... Et je lutte... Tu brilles. Nous nous regardons les yeux dans les yeux. 116 Biento^t il fera beau, il fera clair, la fille aura envie d'aimer un garc#on; les hormones favoriseront la se/cre/tion du lait ; les troupeaux seront mis a\ l'herbe et l'herbe fauche/e sera rumine/e, l'activite/ ovarienne des vaches recommencera et le veau videra les mamelles de sa me\re ; et le taureau, dans le pre/, fe/condera les ge/nisses ; le printemps de/clen- chera les chaleurs des femelles, le ve/lage. Les terres essuye/es pourront e^tre travaille/es. Les arbres fruitiers seront en fleurs. L'eau des torrents sera charge/e d'argile. Medje et Enguerrand, en liberte/, seront des bourgeons de de/sirs. Je sentirai la chair de leur corps dans cette petite chambre s'unir au renouveau de la ve/ge/tation et de la vie. Moi, e/luciderai- je la nuit? Je me serai arrache/e a\ ces deux pousses que j'aurais libe/re/es ; et, souche trop primaire, trop animale pour de/couvrir d'autres liens de mon corps, je demeurerai emprison- ne/e par mon angoisse comme l'air dans les cristaux de neige. Et dans l'obscurite/ de la chambre, je fixais 117 des yeux mon fils, son regard dont la limpidite/ estompait le reste de son visage ; et j'explorais cet e/clat comme un document, comme si je cherchais a\ donner le jour aux signes de la parente/ cosmique disparue, comme si son regard brillant allait m'aider a\ retrouver l'ori- gine de l'humanite/, les ascendants communs a\ tous les groupes sanguins, les temps mythi- ques d'avant l'oubli, d'avant l'angoisse, le moyen de nous de/livrer de la cellule familiale restreinte ou\ les sentiments manquent de liberte/, languissent, ravagent, ou\ il est demande/ a\ la maternite/ d'une femme de prendre en charge et de re/pandre l'amour que la socie/te/ refuse de donner. Nous passions l'hiver... La\ ville n'e/tait plus relie/e par aucune route au lait, au beurre, aux moulins, aux provinces de neige et de verglas, aux zones sinistre/es, aux campagnes blanches ou\ le ble/ mourait sous la neige, ou\ les vaches enferme/es dans les e/tables grelottaient de fie\vre, ou\ les branches des pommiers et des sapins pen- 118 daient, casse/es par le poids de leur enveloppe de glace. . . . Mongolie, Caucase. . . Je regardais Medje luire, le torrent de lumie\re s'e/couler de sa peau, l'eau gele/e redevenir chaude dans l'obscurite/. Il n'y a pas de limites aux instincts. Il faut alors mettre ce regard, les yeux, entre l'autre et soi. Il faut e/loigner de ce corps les mains, la peau et diminuer cette chaleur, cette moiteur que le corps exhale. Il faut se refroidir. Mais partout la joie est pre^te a\ rejaillir, mais partout il faut se remettre a\ la repousser et reprendre la vieille lutte morale qui finit toujours par e/touffer le de/sir et par tuer... Et la vie finit par e^tre prise dans la discipline et dans l'inhibition comme le gel immobilise un rouge-gorge dans une gaine de mort... Je te tenais par la main... Et dans la chambre a\ donner de l'amour, dans la nourrice qui a donne/ trop de lait et 119 trop de soins, dans la me\re qui a donne/ le jour, dans le ro^le universel, il ne reste presque plus de vie, que des muscles malades d'e^tre reste/s trop longtemps tendus par l'effort de prote/ger et il n'y a plus qu'un me/tabolisme calcique de/traque/, et il n'y a plus que des os qui s'effritent, sous la graisse de la femme appauvrie. Et Medje me regarde et pleure, nous ne comprenons pas comment tant d'amour peut tant de/truire... --- Vous ne m'avez pas aide/e. Personne ne m'a aide/e. Je suis essouffle/e. J'ai appele/ a\ l'aide pour trouver la force de continuer d'endurer... --- On n'entend pas... --- Je suis trop loin, trop loin ; je suis alle/e trop loin pour que, d'ou\ vous e^tes, vous puissiez m'entendre... La coureuse de nuit, la Heurte-nerfs qui casse les membres a commence/ de venir en cachette ; et la souffrance s'accentue dans cette chambre ou\ la chair s'obstine a\ briller dans ce demi-sourire d'Enguerrand, dans ce 120 demi-soleil des longs cheveux de Medje qui laissent encore une lumie\re suffisante a\ ma respiration parvenir a\ mes poumons tellement je contemple les petits visages blond sombre. Et enferme/e dans mes carences, dans ma noirete/, je me sens e^tre encore pour quelques anne/es la fore^t qui boit l'eau par les racines, par les branches, par les feuilles. Et dans ma faiblesse, je me sens encore vigoureuse comme si j'avais les seins grossis par des ruisseaux de lait. Et je demeure nourrissante comme la femme a des lolos, a des tettes, a des totos pour rendre du jus. Et j'ai allaite/. Et l'amour me mu^rit comme le soleil. Et l'amour me fonce comme les renoncules de l'herbe, comme les soucis cultive/s dans les jardins colorent le beurre. Et je me re/pands, pare/e de l'habit a\ viande, pour e^tre donne/e a\ manger a\ ma petite, a\ la viandie\re, pour e^tre trempe/e dans sa salive, dans ses larmes, dans son sang ; et je suis douce a\ toucher pour saupou- drer ses doigts comme les corolles du prin- temps ; et je suis les fleurs femelles de l'arbre seulement le temps d'embrasser, seulement le temps d'e/treindre l'enfant, seulement le temps de la plonger dans mon coeur battant... Et je 121 te rela^che, nous n'avons pas droit a\ plus... ... Comme si les sentiments devaient tou- jours arriver a\ ce point ou\ ils ne peuvent plus que reculer, croupir pour rester humains, comme si au fond du corps se dessinait l'instinct d'une animalite/ mal domine/e, ce spectre du cannibalisme, de la possessivite/, l'ombre informe et forcene/e d'un a^ge pre/histo- rique enfoui dans la me/moire qui nous oblige a\ nous arre^ter, comme si l'amour au lieu de nous de/livrer renforc#ait la menace. Et de/sem- pare/e je regarde Medje, je regarde Enguer- rand, je me crispe dans ma retenue... --- Que vois-tu ? --- La neige sur les toits. --- Et a\ l'inte/rieur ?... Qu'est-ce que tu vois, a\ l'inte/rieur ?... --- Je ne sais pas... Il y a toute cette neige qui couvre la rue... --- Mais a\ l'inte/rieur de nous ? --- Ce n'est peut-e^tre pas moi que tu vois, ce n'est peut-e^tre pas moi, tu me transfigures, il n'y a peut-e^tre personne d'aussi bon, d'aussi beau que ce que tu imagines. --- Mais toi ?... 122 --- Non... Je n'ai pas tant de lumie\re... Ne me regarde pas !... --- Tu jettes des reflets autour de toi-... --- Ce n'est pas moi... --- Mais ces couleurs ! Ce qui se touche sur ta peau comme si c'e/tait la palpitation du soleil... On aime toujours trop... On souffre. Je prononce cette lumie\re avec quelque chose d'e/perdu, de brise/, dans la voix. Et les mots sans rien re/soudre s'usent, rauques, contre ce fils de soleil, contre son duvet dore/, contre sa peau, contre ses veines, contre le modele/ insaisissable, contre cette petite fille coiffe/e de lumie\re, contre cette monotonie ou\, dans la chambre, erre, flambe le rayon. --- Mon fils unique! Ma fille unique! La chambre m'ensoleille, semblable a\ un vertige. Tout tourne, se me/lange tandis que je m'arc-boute au corps de la lumie\re. --- Il ne faut jamais aller trop loin, trop loin..., a\ la limite de ses forces, la\ ou\ ce n'est plus supportable... Et dans cette pesanteur oculaire ou\ un soleil passionnel aux gerbes de cheveux doux me bru^le inte/rieurement et vivifie la qualite/ 123 des couleurs, je distingue la tendresse qui me rend le jour a\ mesure que je le perds. --- Qu'y a-t-il? Qu'y a-t-il?... --- Tu t'es e/vanouie. Chuchotent les ombres. Je dis, re/signe/e : --- C#a vaut mieux... On s'en va... On se rela^che... C#a fait du bien. C#a permet de re/sister a\ la pression parce que tout est si fort sinon..., si fort... Cette force tuerait. Et dans ce duel mille/naire de la vie et de la mort, seul, l'amour fournit l'intelligence, l'acharnement ne/cessaires a\ la de/fense de la vie. Et Medje respire, si chaude, et je me suis penche/e gravement vers elle, vers ce monde satine/ que je n'habiterai jamais, vers ces bras tachete/s de lumie\re comme si de ciel en ciel j'approchais des rivages d'une autre terre, comme si j'apercevais de tre\s loin les terres des autres vies que j'aurais pu vivre, sentir. 124 Mais ce n'est de/ja\ plus moi cette peau, cette chair, ces poils qui, ne se limitant pas a\ mon corps, continuent, se propagent dans la petite fille dont le visage, lacte/ comme un brouillard de plane\tes, s'appuie sur les petits bras et ressemble aux espaces que la lumie\re met des sie\cles a\ franchir... Et l'amour se sent parfois happe/ par cet infini side/ral comme par un gouffre de maladie et de souffrance... Et j'ai peur de te contempler sans e/cran entre mes yeux et ce que je vois. La\ chair, la respiration deviennent dangereuses comme le soleil, comme l'invisible, quand on fixe des yeux le ciel trop longtemps dans le silence charge/ de nervosite/ . Medje si proche, si proche, pourtant irre/- versiblement se/pare/e, tu es grasse. L'adipo- site/ de tes bras d'enfant qui sortent de tes manches ballon en plumetis s'arrondira avec l'a^ge, avec le cycle menstruel. Et le de/sir, un jour, te de/shabillera et la dentelle, la mousse- line, les voiles de tulle, aux e/poques de l'amour, aure/olent le corps d'une femme 125 comme un halo entoure la lune, par les nuits humides et nous attire... --- Dans ce secret, a\ cet extre^me... A cet extre^me degre/ de la conscience..., on pre/fe\re ne pas savoir... Medje respire. Il pleut sur la neige. Et me^le/es a\ un liquide boueux, les masses neigeuses alourdies par l'eau glissent en face sur les pentes des toits. J'ai e/teint la lampe de chevet pour laisser dormir la petite fille. Et seul, l'espace paillete/ e/claire le lit. Et a\ l'extre/mite/ de cette tension nerveuse, a\ ce degre/ d'excitabilite/, je suis au bord de la crise comme si je demandais a\ la nuit de se changer en lumie\re et a\ mon corps d'oser e/clater et a\ la bru^lure de s'e/chapper de ma poitrine comme la lave sort de la terre... Et j'appelle en ge/missant. Le jour. Le jour... L'issue... J'at- tends que mon corps e/puise/ n'en puisse plus, que le supplice finisse, que l'angoisse se dissipe... Oui, cet amour vient d'ou\ ?... et va ou\ ? Mais de nouvelles forces renaissent sans cesse pour renouveler en moi l'activite/ des 126 mole/cules de la vie, cette puissance qui me permet de lutter et de me de/passer et de m'oublier et d'e^tre absorbe/e dans le tourbillon ou\ les atomes passent d'organisme en orga- nisme tandis que la sensibilite/ continue, a\ l'e/tat lumineux, de jaillir de l'univers inte/rieur et que je tourne ma peau vers cette peau, mes yeux vers ces yeux, dans une lumie\re spon- gieuse dont je sens la purete/ me dissoudre et le rayonnement freiner ma sensualite/ de me^me qu'une lumie\re intense ralentit la croissance des plantes, de me^me que le vent, a\ la lune rousse, le roux-vent, dans la campagne, bru^le les ve/ge/taux. Et je progresse dans l'angoisse. Et ce qui me lie a\ ces profondeurs, c'est cette force qu'on s'acharne a\ conduire vers la bonte/. Parole qui nous de/borde, qui vient d'ailleurs, va ailleurs pour rejoindre quel imaginaire, quelle recherche qui, si atroce a\ contenir, nous entraine plus loin que tout e^tre humain ? plus loin que notre vie? Et la petite fille entrouvre ses le\vres, pour expirer l'air inspire/ par mes narines, et je respire a\ travers ce souffle que je fixe des yeux. Et Medje est si douce. Et la chair fleurit comme la primeve\re cache/e sous la neige, 127 comme les oeillets et les jonquilles se gonflent remplis d'eau par la neige fondue, comme le vent, sur les monts, fond les glaces, comme le soleil se\che la boue, comme la neige, en fondant, alimente en eau fraiche et e/cumeuse les torrents, comme la fonte des neiges libe\re les arbres et les nids et permet le retour des oiseaux migrateurs. Et je passe mon haleine chaude sur son visage, sur le monde, et je pressens la puberte/ qui, au contact de la chaleur affective, se muscle sous le coton des draps et des chemisettes, sous le lainage des ve^tements de mes enfants et sous le langage de l'amour, sans accorder de repos a\ ma vie, comme le lait a besoin de soleil et de chaleur pour cailler, pour fermenter, pour prendre forme dans le moule a\ fromage. Et je suis vide/e de mes forces par cette mue maternelle ou\ je perds d'anne/e en anne/e mon corps de femme pour prendre peu a\ peu corps dans cet enfant qui deviendra la jeune fille, la jeune femme que je ne serai jamais plus, l'homme que je ne serai jamais, un nouvel e^tre vivant qui succe/dera a\ mon corps en train de disparai^tre dans le travail de donner, dans ce travail de vie rendu insurmontable par l'isole- 128 ment, par la passion, par le manque de secours, par le tarissement des sources... Et au-dela\ de cette nuit s'e/tendent une nuit encore plus fune\bre, ces parties de l'esprit que hantent l'envie, les meurtres et le sang, nuit ou\ la femme grelotte, se sent la soeur du chat-huant et de la vipe\re dans des impulsions morbides traverse/es par les queues des come\ - tes de haine et par les odeurs sulfureuses qui s'e/chappent par les fentes de la Terre des Rites et des Magies pulsionnels qui continuent de trembler au plus profond de l'e^tre... Et je nomme : --- Medje... Medje... Pour me raccrocher a\ la lumie\re du jour, pour m`agripper a\ ce qui me rassure, pour remonter vers l'air, vers une ouverture, pour canaliser la ve/rite/ dans ce trop e/troit passage de la chair a\ l'amour... Pendant son sommeil elle a tousse/. Je me suis pre/cipite/e vers elle. J'ai effleure/ son bras, sa petite main, cette pa^leur nue qui chauffe sa chemise et chiffonne/ le linge, les 129 dentelles qui, sous le poids des cheveux, absorbaient sa blancheur. Mais la confusion et la dissimulation bloquent la lumie\re. Et cer- taines zones, sous le fro^lement, jettent leur feu troublant, font vaciller les identite/s, les certitudes. Il fait nuit. La maternite/, a\ travers les mots e/pars, a\ travers les tentatives d'e/clai- rage, tisse l'irre/pressible comme si, vacants, nos orifices nous condamnaient a\ souffrir... Et Medje se re/chauffe a\ la chaleur de ce regard maternel qui, au lieu de distinguer l'enfant, la confond avec le souvenir et avec le scintillement comme le fait toujours l'e/change amoureux dans cet excessif me/lange des faims et des soifs... Et la nuit se/pare et racle. Et quelle re/volte nous libe/rerait? Et mon fils et ma fille dormaient et mon corps cherchait la chair, la peau, ces pousse/es affectueuses ge/ne/ratrices de perfection et d'e/ternite/ dans une matie\re toujours obsce\ne et toujours be/ante et jamais comble/e... Se retenir d'aimer essouffle, est impossible me^me si aimer nous livre a\ l'insondable. Et 130 ma main en parcourant ma chair, en tremblant essayait de palper une pre/sence, mais j'avais renonce/ a\ croire que le de/sir de jouir peut aboutir. Car au-dela\ de la continuite/ de la vie qui, sur terre, a relie/ toutes les formations les unes aux autres, il y a cette se/paration..., cette se/paration immense, horrible... J'ai essaye/ d'ouvrir la petite fene^tre pour donner un peu d'air a\ la chambre, au sommeil, pour respirer, mais de la combustion du sang par l'absence re/sultait ce feu, ce dard qui, en me maintenant pre\s de la plus haute tempe/ra- ture, me faisait fondre, me lique/fiait et divisait la nuit en obscurite/ et en flammes de me^me que le globe terrestre tournant sur lui- me^me d'occident en orient est divise/ en he/misphe\re sombre et en he/misphe\re de rayons. Et refermant la fene^tre je me suis trai^ne/e jusqu'a\ mon lit et je me suis jete/e sur les couvertures en grelottant... Peut-e^tre que tout au long de l'existence le po^le de la mort ne cesse pas de fasciner... Peut-e^tre que l'obscurite/ est encore plus 131 noire, encore plus obscure, encore plus e/touf- fante... Peut-e^tre qu'en nous quelque chose ressemble a\ ces plantes d'ombre qui se pres- sent dans le ventre de l'humide... Je frissonne. Je me recouche. Biento^t des torrents couleront, ce sera l'e/quinoxe. L'obscurite/ sera e/gale a\ la lumie\re. Le sol de/ge\lera. La terre se gonflera d'eau. L'herbe reverdira. Les fleurs du tussi- lage s'ouvriront. La dure/e du jour s'allongera. J'irai a\ l'humus, aux ronces pour reprendre contact avec la ve/ge/tation, avec l'air, avec la brume. Il y aura des jonquilles d'un jaune tendre presque vert sous les ronces et j'irai a\ coeur-de-jour jusqu'au carrefour, je m'e/chap- perai pour quelques heures et je retrouverai fugitivement ma poitrine, mes poumons, mon nez, ma bouche de jeune fille, je retrouverai le moyen de respirer, je retrouverai l'exte/- rieur. Je sortirai de ma prison. Je m'e/loignerai de Medje et d'Enguerrand. Je cesserai d'e^tre << la Grisarde >>, la me\re, je deviendrai la buveuse de clarte/; les perdrix et les cailles 132 chanteront, j'e/pouserai le printemps, la fore^t de cerisiers, l'amant aux cheveux de che\vre- feuille, d'aube/pine et d'e/glantine qui m'ap- prendra a\ rire, j'habiterai dans la maison ve/ge/tale de la pe/riode de lumie\re. Je marche- rai, irresponsable, dans l'atmosphe\re qui enveloppe notre plane\te dont elle nourrit les animaux et les plantes et je prome\nerai mon coeur a\ la lisie\re de la cha^taigneraie, le long des jardins d'amour ou\ les roses seront en fleur, ou\ mes e/motions refleuriront... Oui, il viendra biento^t. Et mon attente et mon de/sir le me/tamorphosent, l'illuminent, dans mes pri- vations. La surface de la couche a durci sur le rebord de la fene^tre ou\ les flocons se sont tasse/s, ou\ l'oxyge\ne est emprisonne/ dans les cristaux de neige. Et je regarde ce blanc..., cette main blanche de Medje, cette peau neigeuse d'un hiver e/ternel comme les neiges des glaciers..., cette passion, cette pa^leur obsessionnelle. --- Medje... Ai-je murmure/. Qui es-tu ?... Qui es-tu ? Combien de mortes gisent dans ta chair?... Combien de bras doux qui ne me re/pondent plus ?. . . 133 Medje e/tait dans son lit. La couleur spec- trale de la neige e/clairait les draps. J'avais ouvert la fene^tre. Il pleuvait. Les gouttes de pluie alourdissaient l'e/paisseur de la couver- ture de neige. Je me penchais pour aspirer cette lourdeur boueuse qui tombait des nuages et des fume/es. Le jet grossissait. Je devais me contenter de ce seul gou^t de la vie, de ce gou^t du froid et de la boue et je laissais avidement la nuit remplir mes narines et ma bouche comme le sperme e/jacule/ par le pe/nis de/borde du vagin, comme une femme incendie/e par ses nerfs descend en pleine nuit dans la rue a\ la recherche d'un homme encore plus bru^lant, comme un chien flaire une chienne. Mais mon monde e/tait blanc. . . ; blanc et virginal. . . , gele/ dans sa purete/ meurtrie\re... Dehors c'e/tait une autre nuit que dans la chambre. La pluie avait succe/de/ a\ la neige. Le climat se radoucissait. Je suis sortie pour aller acheter un pain de me/nage. Ce n'e/tait plus comme ces nuits de silence ou\ il y avait tant de neige sur le trottoir qu'on ne pouvait pas 134 avancer. J'ai marche/ pendant plus d'une heure. Je sentais la confuse activite/ du monde exte/rieur me de/tendre, couler de la nuit comme le porphyre sort de la terre par e/ruption. C'e/tait la fie\vre. Les miasmes d'une sexualite/ collective. Je suis alle/ jusqu'au bord. J'ai croise/ une jeune fille, mon double, qui, au bord du trop-plein, attendait en chantant d'e^tre entrai^ne/e plus loin dans ces e/manations, plus au fond dans cet e/clat du sang, dans ce de/bordement que le printemps commenc#ait d'impre/gner ; je regardais mon sosie, la femme e/lectrise/e qui se dessinait sur le ciel e/toile/ au-dessus du flot de viscosite/ et de bestialite/ qui semblait jaillir de ses san- glots, mais je me sentais en me^me temps immobilise/e par la ne/cessite/ de rentrer et oppresse/e par ce qui m'empe^chait de m'aven- turer dans cette nuit nouvelle et je n'osais pas rejoindre l'autre femme, cette femme que j'aurais pu e^tre, que je re^vais d'e^tre. J'aurais beau franchir tous les ponts de la ville, me rappeler tous mes re^ves, c'e/tait inaccessible, inaccessible ; et a\ reculons je suis revenue chez moi ; j'ai repris possession de cette surveillance et de ces espaces restreints ou\ la 135 vie s'atrophie dans la noirceur qui cache ce qui ne peut ni se voir ni se dire, dans la noirceur qui nous de/prime. Et je ne parvenais pas a\ me de/gager, a\ reprendre ma respiration et, a\ bout de souffle, a\ bout de forces, je haletais, je me noyais dans ce flot en crue que j'essayais anxieusement d'enfermer dans ma poitrine, dans mon ventre que le liquide sensitif submergeait... Une femme, c'est quelque chose de gluant, de gonfle/ comme une e/ponge par les se/cre/tions. Et aucune e/treinte, jamais, ne la presse assez fort pour e/vacuer tout l'afflux, tout le feu... I love you, my Lady. Modulait en moi la chanson rauque qui faisait danser l'e/rotisme de cette nuit rythme/e par la nostalgie. Oh ! mon amant, sur ma bouche, prends ton plaisir. Apporte-moi a\ la main les e/toiles et la lune; touche les seins qui sont dans mon corsage de tulle ; au bout de mes seins, il y a deux boutons de lumie\re. Te amo, te amo. I can't say anymore 'cause I love you. Te quiero. Te adoro. 136 Te espero. Hbbetak. No puedo vivir sin ti. Te deseo, te tengo en la sangre. Je t'aime, oui, je t'aime, je ne peux pas dire plus... I love you, yes, I love you, I can't say any more... Querida, querida... Nights in white satin... Tu es Dieu... Cris d'amour de/chire/s par ce qu'ils conte- naient aussi d'exaspe/ration, d'inconnu et de doutes... Mais a\ la chaleur de l'inte/rieur, se ravivait cette lumie\re rose que donne la tendresse a\ la peau. J'observais les longs cils recourbe/s. Medje et Enguerrand, en haut, reposaient dans la re/gion la plus e/vidente de l'amour, dans l'acceptation, dans le respect du corps, dans l'altruisme, dans la translucidite/ couleur chair qui e/clairait leur visage avec nettete/ et qui me remontait, qui me tirait vers la chambre, vers notre logement, vers ce som- 137 met, vers l'espoir, vers un sentiment de ple/nitude, vers l'extase, tandis que je me calmais, que mon regard re/ussissait de nou- veau a\ enfanter, a\ se de/livrer... Non, tout n'est pas passif, tout n'est pas individuel, tout n'est pas e/goi%ste et aveugle dans l'e^tre humain. Et cette volonte/ de vivre me mettait au soleil ; il n'y a pas que des gouffres, il n'y a pas que le de/couragement, il n'y a pas que le brouille/, que l'inquie/tude, que la mort. Il y a me^me peut-e^tre d'autant plus de lumie\re que l'angoisse est plus profonde. Et a\ la chair, la chair, apre\s chaque crise, apre\s chaque renoncement, apre\s chaque pe/riode de fe/ro- cite/, de suffocations, apre\s chaque crime, finit toujours par s'attacher, par revenir comme les religions nous faisaient renai^tre de la mort. Et brusquement radieuse j'atteins parfois un paroxysme impre/vu ou\ enfin plus rien ne me dissimule la grandeur de la vie, comme si j'avais pu de/passer le monde d'in- fantilisme et de concupiscence ou\ une sorte de fatalite/ semble toujours s'opposer a\ la solida- rite/, a\ la se/curite/ et a\ l'harmonie et ou\ les me^mes gestes et les me^mes comportements qui nous lient les uns aux autres provoquent 138 des ra^les de douleur et des convulsions et enfoncent des ongles pour transpercer, pour de/chirer, pour griffer, pour tourmenter, sans qu'on sache toujours discerner l'acte cre/ateur de l'acte destructeur ni reconnai^tre les senti- ments... Et avec rage, parfois, j'appuyais sur son bras, sur sa joue sans entendre qu'elle hurlait, qu'elle pleurait, que cette chair e/tait trop fine, trop douce et trop blanche, trop blanche, blanche de ce blanc qui rend pres- que noires les gouttes du sang rouge qui perlent poisseuses et se coagulent sur la peau qu'a e/corche/e cette angoisse mal arrache/e au de/sir... Et dans nos humeurs changeantes qui peu a\ peu rident et plissent le visage, on vieillit comme la terre dont le relief, au cours des a^ges, s'est transforme/, comme la chaleur du soleil continue de se modifier, comme les yeux de celle qui va mourir continuent de luire, comme notre plane\te dont le mouvement de translation dans l'espace est celui d'une humanite/ de cruaute/... Et j'ai allume/ pour voir. Et j'ai contemple/ les cheveux releve/s en masse de boucles et de bouclettes sur l'oreil- ler. Et chaque nuit, a\ la me^me heure, je 139 traverse le me^me passage de lumie\re pour me rendre jusqu'a\ ton souffle, jusqu'a\ cette source de la peau et du regard et pour veiller sur toi et sentir la passion accroi^tre l'abon- dance de ce lait de lumie\re que tu me donnes a\ boire... Et la me^me ce/re/monie se re/pe\te, me rassure dans la lumie\re de la chair du petit garc#on endormi a\ quelques me\tres de toi, dans cette chambre protectrice ou\, au coeur de la tendresse, sont jalousement pre/serve/s tout ce duvete/, tout ce satine/ humain que les yeux ou la main ne se lassent jamais de tellement lisser, de tellement caresser dans les accal- mies de l'incessante lutte des forces contra- dictoires qui, au bord de l'enfer, s'affrontent dans cette chaleur a\ haute tempe/rature et nous e/prouvent. Et j'apprends a\ Enguerrand et a\ Medje : --- Domine-toi ! Domine-toi ! Mais on a tant de mal, tant de mal, parfois, a\ se hausser jusqu'a\ cette clarte/. On est tellement me/prise/ culpabilise/ exploite/, abe^ti, trompe/, spolie/, mutile/, intran- sigeant, menace/, jaloux, perverti, que nous conside/rons pour seule re/alite/ le triomphe de la torture, des massacres, de la re/signation, de 140 la cupidite/ et de la duplicite/, et que nous prenons souvent la luminosite/ de l'affectivite/, sa capacite/ d'abne/gation et de de/passement pour de la spiritualite/ ou de l'ide/alisme ou l'absolu alors que la tendresse est notre solidite/, notre e/quite/, la seule puissance, le salut, si nous nous unissons, alors que nous pouvons travailler a\ chasser du monde le malheur, alors que nous pouvons combattre la souffrance... Et je me penchais tendrement sur son corps, je regardais cette lumie\re qui, sembla- ble a\ la brume, estompait les arborisations, les tissus, l'he/moglobine, je regardais ce pigment des lointains, ces perspectives de veines, d'arte\res et de capillaires tamise/es par la peau. Et je sentais soudain que je pouvais aller au bout de ma respiration, que je pouvais respirer a\ fond, que j'e/tais mieux, comme si je sortais d'un long bain, comme si l'oxyge\ne de son sang s'e/tait concentre/ dans mon corps pour me re/ge/ne/rer... Mais par moments je me remets a\ frisson- 141 ner, des acce\s de cole\re m'empe^chent de respirer, me mouillent d'une sueur glace/e : Comment vivre si me^me la tendresse se veut e/trange\re au de/sir ? Quand ton corps est chaud, que son trem- blement est nourricier. Le vent a frappe/ la fene^tre toute la nuit. Le ciel s'est de/gage/ au nord. L'obscurite/ est derrie\re notre toit. La neige, cette nuit, projette sa blancheur sur les murs qu, elle e/claircit. La respiration de Medje, dans le lit blanc, siffle comme si la nuit s'e/levait de cette poitrine de petite fille dont la peau scintille a\ travers la chemise comme le cre/puscule fait chatoyer le gravier au fond d'une rivie\re, comme une plage nacre/e de coquillages. Et je veille, ne comptant le temps que par nuits. Il neige a\ petits flocons. Il n'entre jamais beau- coup de jour dans l'e/tat de demi-conscience, dans ces lueurs entretenues par la ne/cessite/ de cacher l'e/clatement dont les gicle/es vis- queuses ne nous trempent qu'intimement, que secre\tement. Et plus on avance en maturite/, 142 plus il faut brimer ses le\vres, sa langue, sa peau, ses mains, ses doigts, ses ma^choires. Et devant ce qu'il peut y avoir de si lisse et de si rayonnant dans la chair, dans les cheveux, il faut parvenir a\ se retenir, il faut transformer en sentiment le juteux, le fie/vreux, ce qui rend du liquide, ce lait qui vient aussi bien du ma^le que de la femelle de\s qu'on ta^te et qu'on presse et que la peau se serre contre la peau. Et on se ronge quand on sublime mal... Et l'accumulation l'aure/olait. Et lors de la solidi- fication, le torrent d'or prenait des formes de longues boucles, se roulait en spirales de lumie\re, formait des anglaises autour de son visage, comme si Medje, dans la cavite/ de pe/nombre travaille/e par le surcreusement de mon adoration, devenait blonde, soyeuse comme le soleil, parfois, e/claire les cheveux jusqu'a\ les rendre transparents. Et je voyais ses yeux cligner, au fond de l'alco^ve. 143 Mais je partirai au printemps pour les herbages, sous le ciel moutonneux. Mais j'irai te disperser dans l'air et dans le sol en autant d'odeurs que je pourrai caresser, en autant de sensations que je pourrai retrouver, en autant de tre\fles, de pa^querettes, de marguerites, de primeve\res, de violettes, d'avoine et de ble/ que je pourrai mettre en petites meules de beurre dans les bouches de ma peau. Et ton rougeoiement, o^ mon amant, le beurre du lait, ma bien-aime/e, ma gwen, ma bissale/e, ma galinetta, mon enfant, sans disparai^tre, s'e/parpillera dans les pores de ma peau pour produire cette recrudescence de la lumie\re, se condenser dans mon ence/phale et devenir encore plus laiteux et dans mes yeux semer ses flocons de nimbe, son soleil de douceur, ses libellules de sperme, les paysages de campagne et de montagne. Et vers mon coeur seront attire/s les courants, les tourbillons qui m'exacerberont quand la neige aura fondu a\ la chaleur du soleil et que les pluies rempliront de re/coltes les silos et les greniers et que les bourgeons dans les vergers se seront ouverts et que j'aurai triomphe/ de ce froid inte/rieur qui, par moments, envahit l'organisme et le glace 144 comme la frigidite/, quand le feu e/tant trop de/vorant, trop important, il faut d'abord e/tein- dre le foyer d'incendie pour surmonter le risque... Et je devinerai. Et je finirai par quitter cette luminosite/, je re/ussirai a\ m'arracher a\ ce qu'il y a de plus visible, de plus sensoriel dans cet extre^me de la lumie\re. Et je ne fuirai pas dans la culpabilite/ libe/ratoire. Et je serai encore plus bru^lante que la bru^lure, que l'ardeur. Et je m'humanise. Et mes nerfs captent ta peau et t'illuminent, tu te reposes, ta chevelure se propage en frisant sur la taie d'oreiller ou\ tes longues boucles blondes jettent leurs reflets aux rayons de la lampe allume/e et me lient a\ toi comme un signal physiologique est lie/ a\ l'influx nerveux et je souris a\ cette surstimula- tion optique en de/bordant de pitie/. Et la maternite/, a\ ton chevet, me maintient en e/tat d'e/veil et d'alerte et je re/pe\te : << J'ai faim de te voir. >> 145 Les liserons des ble/s appartiennent a\ la lumie\re comme les gerbes d'e/tincelles d'un voyage dans le feu... Et au-dela\ de la se/paration et de l'arrache- ment, le placenta, la vision, la pense/e, cette fusion, cette traverse/e du mucus et du jus continuent peut-e^tre de travailler, travaillent a\ croi^tre, a\ nous de/passer, a\ se perfectionner... Il ne suffit pas d'une femme, il ne suffit pas d'une me\re pour donner le jour et nous voulons e^tre les fils, les filles d'un monde, d'une terre de vie. Sinon la ge/ne/rosite/ se de/courage. Sinon l'homme et la femme renon- cent l'un a\ l'autre... --- Ou\ vas-tu, Maman ? J'avais e/teint la lampe de chevet. Medje, en sursaut, s'e/tait re/veille/e. On entendait la neige fondre comme de la graisse et tomber, goutte a\ goutte, de la gouttie\re. Le ciel lanc#ait 146 des feux noira^tres sur le parquet ou\ de/filaient les ombres des gros nuages d'orage. Et nous nous sentions cependant abrite/s dans la cham- bre comme dans une bonne cave ou\, malgre/ l'humidite/ de l'air, le charcutier peut se/cher des saucissons et des jambons. J'avais pre/pare/ un morceau de pa^te/ aux pommes et une pa^tisserie farcie de foie de ge/nisse pour notre de/jeuner et j'appuyais mes enflures, mes le\vres gerce/es par le froid contre la cuiller, contre le le/cheron, en mangeant mon pain avec du fruit comme pour masser ma bouche malade ; et cette compote de pain m'agac#ait la langue et mettait des fritures de prune rose tendre et des miettes de pa^te feuillete/e dans mes gencives, entre mes dents. Il faisait chaud. Le barome\tre remontait dans la cham- bre meunie\re, dans l'oralite/ dont les miches, le seigle m'entrai^naient loin des onde/es de neige, loin de cette Europre mamelonne/e, m'enveloppaient de mie au beurre. Et j'enfi- lais les morceaux de fruit en colliers et en bracelets autour de mon cou et de mes poignets qui s'abandonnaient a\ la gourman- dise, aux appe/tits, au soulagement, au bien- e^tre, tandis que Medje a\ qui je n'avais pas 147 re/pondu s'e/tait rendormie dans la beurre/e et qu'Enguerrand, a\ co^te/ de moi et de l'e/cuelle/e, ronflait comme ronronne un chat, que l'eau, sur le re/chaud fre/missait pour la tisane et que je commenc#ais d'avoir douillettement sommeil comme si je me serrais pre\s de quelqu'un en mastiquant cette brioche dans ce coin de feu qui tenait lieu d'a^me. Et mes enfants e/taient chauds contre moi. Quelque chose de cette volupte/ domestique rend trop lumineuse la pa^leur qu'aucune effusion ne peut atte/nuer sur ton visage ou\ la neige se refle\te, devient mentale... Le ciel d'hiver est charge/ de neige dans ce blanc fondu en un seul bloc, comme si tout mouvement avait re/gresse/ jusqu'a\ cesser, comme si la terre, l'eau et l'atmosphe\re s'immobilisaient, ne de/plac#aient plus leurs mole/cules dans des e/changes continuels, comme si les vents n'e/rodaient plus les monta- gnes, que l'e/corce terrestre ne se plissait plus, ne se relevait plus, ne se cassait plus, ne se ridait plus, ne s'affaissait plus, que les reliefs et les de/pressions de la plane\te n'e/taient plus sans cesse modifie/s, sans cesse use/s, sans cesse recommence/s, comme si la vie e/tait en train de s'achever. Et dans cette chambre, 148 dans ce ca^lin, nous sommes presse/s douce- ment les uns contre les autres comme la neige, dehors, est tasse/e. --- C#a retombe toujours... --- Essuie les vitres avec ton mouchoir. J'ai retenu le bout du doigt de Medje bien chaud dans ma main comme si je tirais a\ moi une branche de cerisier pour cueillir une grosse cerise expose/e au soleil, comme si c'e/tait l'e/te/, qu'on e/tait dans un verger. Medje avait soupire/. La\ blondeur de la lumie\re de la lampe capitonnait l'e/dredon. Tu es ne/e. Rythme de femme, mais une femme peut e^tre pousse/e par la force de cette lumie\re que l'enfant en venant au monde tire de sa me\re... Mais l'initiation a\ la vie ne peut pas e/viter d'initier a\ la mort... Il faut apprendre lente- ment a\ se re/primer, a\ s'e/teindre, a\ s'e/parpiller comme les cendres sous le souffle... 149 Il faut re/fle/chir, mai^triser, re/prouver, choi- sir, se forcer, quotidiennement. Et il n'y a pas de jouissance car l'imaginaire finit toujours par aller plus loin qu'il n'est permis au corps d'aimer. Medje, dans les plantations d'arbres frui- tiers peints en rose sur le papier tapissant les murs de la chambre, tressait tranquillement en nattes la lumie\re filasse de ses cheveux. Enguerrand m'observait. Je traversais les fibres de ses yeux. J'e/tais enfonce/e par ses neurones dans sa re/tine, a\ l'endroit le plus net de sa vision. Et ses pupilles grossissaient et je voyais mon fils me percevoir : --- Ouvre ton oeil. Ouvre grand ton oeil. J'e/tais cet instant transmis au cerveau le long des nerfs optiques d'un petit garc#on cha^tain qui me regardait le regarder. J'e/tais cette expression de ses yeux allonge/s. J'e/tais cette densite/, cet amour qu'il e/tait su^r de recevoir de moi. J'e/tais sa me\re, ces braises du feu, j'e/tais aussi ce trou noir dans son champ visuel la\ ou\ mon fils ne pouvait plus 150 me voir, la\ ou\ j'e/tais interdite, refoule/e, la\ ou\ j'e/tais une femme, la\ ou\ le langage devient aveugle, la\ ou\ la lumie\re ne pe/ne\tre plus notre parler, la\ ou\, au plus chaud de la chaleur, il n'y a plus de mots pour oser dire, la\ ou\ le monde moral et le monde physique se se/pa- rent, la\ ou\ commencent l'inconscient, la vio- lence, l'a^prete/, la souffrance, la sexualite/ qui nous attisent... Medje de/me^lait ses cheveux. Il continuait de neiger, de faire clair, de faire cette lumie\re blanche, ce froid re/verbe/re/ par les deux bancs, par la table, par le bahut, par le tapis, par le plafond qui semblaient enneige/s comme la rue. Il tombait une neige le/ge\re. Et la conscience se cherchait, se cherchait. --- Quand va-t-on sortir ? --- Sortir d'ou\ ? --- Il faut attendre. --- Ou\ sommes-nous ? --- Il n'y a nulle part assez de tendresse, assez de bonte/... --- Cette chambre est minuscule. --- Il n'y a pas assez de compre/hension entre les gens. 151 Je cousais un ourlet. Et c'est inhumain..., inhumain... Les forces, les sentiments mace\rent, se re/duisent, et le sang fermentant e/crase ses arte\res et ses veines dans cette maturation, dans cette solitude, dans cette longue, longue douleur ou\ la vie se de/fait... Et mes doigts glissent sur les cheveux fins... Ai%e ! Se coucher alors, le ventre contre ciel. Se blottir comme si on passait la main sur le ciel pour effleurer l'atmosphe\re, comme si on caressait de la main l'e/ternite/, ces vapeurs, ces nuages de lumie\re qui entourent de brume les corps, les visages qui se perdent dans notre vide, dans ce halo imaginaire, dans notre ce/cite/ affective, dans notre que^te sans nom, sans re/ponse, comme si le monde s'e/loignait de plus en plus, comme si cette crainte au creux de ma poitrine, quand je te contemple, quand je te re^ve, aboutissait aux 152 bue/es e/vacue/es par le panache de la flamme liquide, gluante que nos glandes arrivent si mal a\ contenir, comme si ce manque, ce besoin d'amour bru^laient me^me le feu... Tandis qu'autour, en s'e/vitant, les mortels, les habitants de cette couche de me/langes, les Terriens, les angoisses radiatives, les familles suspendues dans l'espace se de/pensent, si loin de toute proximite/, jusqu'a\, isole/s dans le destin, exploser... Octobre 1977, 5 de/cembre 1978.